Mercredi 16 juin. Nous venons de recevoir le nouveau protocole sanitaire qui reste cependant provisoire, à 2 jours d’un retour de tous les élèves "selon les règles normales de présence", dixit notre Président.
J’avais espéré lors de la phase 2 du déconfinement, qui devait nous permettre « de reprendre une vie presque à la normale, de souffler après l’épreuve » (E. Philippe, le 2 juin 2020), que ce protocole si strict pour la réouverture des écoles, serait quelque peu allégé pour nous permettre d’accueillir un plus grand nombre d'élèves, d’autant que notre ministre poussait les parents à les remettre, quitte à demander aux gens de dénoncer leur voisin dans le cas contraire.
Mais non, il a fallu à nouveau, à peine un mois après une première reprise, inventer un dispositif, une organisation interne pour permettre de répondre aux nombreuses obligations du protocole.
Aujourd’hui, j’avais à nouveau l’espoir fou que les aménagements du protocole annoncés dans la presse, nous permettraient un retour de l’ensemble des élèves (300 dans mon école) dans des conditions à peu près normales.
Mais non, les légères adaptations de la distanciation ne seront pas suffisantes pour nous éviter une nouvelle fois le casse-tête de l’aménagement des classes, des rotations de groupes, des plannings d’entrées, de sorties, de récréations…
Depuis 3 mois, nous passons notre temps à nous adapter pour répondre aux injonctions du ministre, que nous apprenons comme n’importe qui à la télévision. Ordres, contre-ordres, demandes irréalisables, pressions... Reprise avec un protocole sanitaire très lourd alors qu'en dehors de l'école la vie reprend de plus en plus normalement.
Depuis 3 mois, nous essayons d'accompagner au mieux nos élèves quelque soit les difficultés qu'ils rencontrent (niveau scolaire, problèmes techniques, manque de motivation...).
Depuis 3 mois, nous essayons d’accompagner les parents, dans ce nouveau rôle d'enseignant qui leur est tombé dessus, dans leurs difficultés diverses (matérielles, sociales, culturelles, techniques, morales...), nous essayons de répondre au mieux à leurs demandes, à leurs obligations (accueil des enfants pour les parents qui travaillent, remise de photocopies...), nous les sollicitons quand nous n'avons pas de nouvelles, nous les rappelons quand nous les sentons démunis, nous ne les lâchons pas pour ne pas abandonner leurs enfants.
Depuis 1 mois et demi, nous avons organisé 2 rentrées en fonction des annonces gouvernementales entendues dans les médias et du protocole sanitaire toujours aussi lourd. Groupes d'élèves, rotations, plannings des entrées, sorties, récréations, installation des classes, fléchages, marquages au sol...
Depuis 1 mois et demi, nous assurons les cours à l'école pour les élèves présents, tout en continuant à faire travailler les enfants restés chez eux. Nous organisons des distributions de photocopies pour simplifier les choses aux familles.
Depuis 2 semaines, nous entendons dans les médias des critiques, des propos mensongers à l'égard des enseignants qui nous blessent, sans que notre ministre prenne notre défense, bien au contraire.
Aujourd'hui, nous n'en pouvons plus !
Alors que nous avons réussi à prendre à peu près un rythme, à faire en sorte qu'à l'école les choses se passent au mieux pour les élèves malgré les consignes sanitaires.
Alors que nous devrions commencer à penser à l'année prochaine, à organiser nos classes, à ranger, faire nos commandes, imaginer de nouveaux projets...
On nous demande à nouveau de tout réorganiser pour 8 jours de classe !!!
On nous demande de "reprendre normalement" alors qu'il n'y a rien de normal dans le protocole.
On nous demande d'accueillir tous les élèves alors que les consignes ne le permettent pas.
On nous demande de faire preuve d’inventivité !!! Mais que pensez-vous que nous avons fait depuis 3 mois ?!!!
Si l’inventivité qu’on me demande aujourd’hui, c’est de faire classe sans bureau ou les élèves dos à dos, pour en accueillir le plus possible dans les classes, ou de faire classe dehors, alors qu’on nous annonce des hausses de températures pour la semaine prochaine, je ne me sens pas l’âme d’un inventeur, encore moins d’un artiste.
Mon inventivité, depuis des années, je la mets au service de mes élèves et de leur famille, et non pas d’un dispositif qui ne tient pas compte de ce qu’est l’école réellement, un lieu d’apprentissages certes, mais aussi un lieu d’échanges, de rencontres, de convivialité...
Mon inventivité, elle me permet d’essayer d’aider cet élève qui a du mal à comprendre les problèmes de math ou les règles de grammaire, cet autre qui ne comprend toujours pas ce qu’il lit car il lui manque beaucoup trop de vocabulaire pour ça. Ou encore cette petite fille qui ne voit plus sa maman depuis 2 ans. Et celui-ci souvent violent avec ses camarades car en colère contre son papa qui ne veut pas de lui. Et tant d’autres encore !
Aujourd’hui je suis épuisée par ce qu’on nous demande et ce mépris incessant, qui n’a cessé de grandir depuis ces dernières années.
Aujourd’hui je suis en colère contre ce ministre incompétent et ces sbires qui n’ont aucune connaissance du terrain et ne voient pas notre souffrance.
Aujourd’hui, je suis écœurée par ce que l’on veut faire de l’école et de l’Éducation Nationale, à laquelle je reste pourtant attachée.
Aujourd’hui, je dis ÇA SUFFIT !