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Billet de blog 4 juin 2023

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Le succès de l'école privée est le symptôme de la faillite du public

Je suis un enfant du public. J'ai fait l'intégralité de ma scolarité dans le public. Malgré la reconnaissance que j'ai pour l'école publique, j'ai mis mes enfants dans le privé sans état d'âme. Voici pourquoi.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quand on devient adulte, on comprend à quel point la violence et le harcèlement à l'école est nuisible et inacceptable. Des comportements qui seraient du ressort du pénal entre adultes sont monnaie courante dans les cours d'écoles. Et manifestement, les administrations des écoles, collèges et lycées sont très souvent dépassées et s'enfoncent dans le déni.

Des suicides d'enfants viennent de temps à autre nous le rappeler. On pourrait être tenté de croire que ces événements sont "pas de chance". Mais non. Ce sont plutôt des symptômes qui montrent que les problèmes de harcèlement et de violence sont monnaie courante.

Récemment, notre brillant ministre de l'éducation s'est fendu d'une tirade contre l'enseignement privé qui "ne jouerait pas le jeu" de la mixité sociale. Celui-ci ne s'intéresserait qu'aux bons élèves de familles aisées. Pressentant que les parents mettent en général leurs enfants dans le privé pour éviter les milieux trop hostiles pour leurs enfants, il a mollement ajouté que la lutte contre le harcèlement était aussi une priorité.

Plouf. Plouf.

Évidemment, Pap Ndiaye est totalement inaudible quand il marmonne quelques remontrances contre le privé. Il a lui-même placé ses enfants à l'École Alsacienne, ce qui leur permet de vivre dans une bulle en compagnie d'enfants de stars et de ministres. L'inconséquence est décidément une marque de fabrique dans ce gouvernement. Pap Ndiaye est dans la droite ligne d'autres tartuffes comme Lionel Jospin, Laurent Fabius, François Hollande etc.

La violence au collège et au lycée est un échec de l'éducation publique

Les suicides heureusement rares d'enfants scolarisés sont à mettre sur le compte de l'incapacité de l'école à assurer un environnement serein aux élèves qu'elle accueille tout au long de la semaine. Certains seront tentés de faire une lecture pathologique de la situation de l'élève qui aurait eu des tendances suicidaires.

On dira que ce sont sans doute les plus fragiles qui recourent au suicide. Il n'en reste pas moins qu'ils sont victimes de comportements qui sont punis pénalement dans le monde de l'entreprise. De plus, pour un enfant qui se suicide, on aura des légions d'autres qui souffrent en silence.

Pourquoi un tel déni? Parce que ceux qui font l'analyse de la situation sont juge et partie. L'éducation nationale a failli, mais jamais un fonctionnaire de l'éducation nationale le reconnaîtra.

La violence et le harcèlement ont des conséquences beaucoup plus larges que cela. Les élèves apprennent à vivre avec, à s'en prémunir en apprenant des manoeuvres d'évitement, la flagornerie, la sournoiserie, la dissimulation. Là où les qualités cardinales des citoyens en devenir devraient être la loyauté, la sincérité, l'honnêté et la liberté de s'exprimer. Bref, les enfants se rabougrissent et s'étiolent au lieu de se développer.

Résultat : quand un suicide d'enfant fait la une, on gère l'indignation du public. On balaie sous le tapis et on laisse pourrir. Il n'y a pas de doute que la paresse et la couardise sont de très grandes causes de souffrance humaine.

D'où vient la violence?

La violence naît pour deux types de raisons qui sont reliées. Elle naît dans un milieu où des institutions sont absentes ou s'effondrent. Une guerre, des troubles, et des petits caïds locaux vont s'imposer par la force et la maltraitance. Que ce soit en Libye ou en Europe à la fin de la deuxième guerre mondiale. Robert Merle le décrit bien dans son roman Malevil. Dans l'école, les institutions ne sont pas absentes, mais elles sont inaudibles pour trop d'élèves. Ceux qui ont des problèmes à la maison, qui décrochent, ont l'impression que l'école n'est pas faite pour eux, mais contre eux ou malgré eux. Les professeurs ne sont pas leurs professeurs. Ils ne sont pas là pour eux. Ils sont là en censeurs.

Qu'est-ce qui ne marche pas?

Quand on lit la biographie de penseurs ou de scientifiques célèbres, comme Schrödinger, on réalise qu'ils ont eu une éducation très différente de la nôtre. Le plus souvent, ces penseurs ont appris auprès de tuteurs qui enseignaient à un élève à la fois.

Évidemment, l'éducation nationale ne peut pas placer un tuteur devant chacun des quelque 15 millions d'élèves qui sont à l'école, au collège, au lycée ou dans le supérieur. Ceci n'empêche pas de rechercher à s'approcher de cet idéal. Une éducation sur mesure. Pourquoi ne peut-on pas s'en approcher? Le problème, c'est que ce n'est pas dans l'ADN des idéologues en bois brut qui sont à la tête du ministère.

La sélection c'est mal

Depuis des décennies, on entend un discours essentiellement démagogique qui prône que la sélection c'est mal. L'université devrait être accessible à tout le monde. Pas seulement aux meilleurs. Les classes de niveau c'est tabou, et tous les parents qui cherchent des classes de meilleur niveau en faisant faire de l'allemand ou maintenant du chinois à leurs enfants, en les mettant dans des classes européennes sont de mauvais citoyens. Ils vont rapidement déchanter, le ministère s'en charge.

Pourtant, il est facile de comprendre que lorsque le niveau d'une classe est très hétérogène, le professeur ne pourra pas s'adresser à l'ensemble des élèves en même temps.

  • Soit il s'adressera aux élèves moyens, perdant l'attention des élèves trop en retard, et celle de ceux qui ont déjà tout compris.
  • Soit il s'adresse aux élèves qui sont en retard, et les autres s'ennuient et chahutent.
  • Soit il s'adresse aux bons et les autres sont perdus.

Le principal reproche fait aux classes de niveau est que dans une classe hétérogène, les bons élèves sont des locomotrices qui emmènent en tandem avec eux les moins bons. Ceci vaut peut-être quand les différences de niveau sont faibles. Sinon, le tandem décroche.

La barque des enseignants est chargée de fanfreluches

Les programmes sont souvent chargés d'objectifs assemblés en listes à la Prévert. Après tout, les élèves sont à l'école entre 28 et 45 heures par semaine à leurs pupitres. Il faut bien qu'ils apprennent des choses.

Il n'est pas très surprenant que cet apprentissage se transforme en un apprentissage par coeur. Face à la liste interminable des savoirs que l'élève devra acquérir, le professeur est contraint de parer au plus pressé.

L'élève devra donc savoir régurgiter au mot près une phrase apprise sur la Révolution française, sur la tolérance, sur le développement durable, sur la solidarité. Aura-t-il compris ce que cela veut dire? Non. Ce n'est pas utile pour avoir de bonnes notes. Il s'en fiche.

Les professeurs qui ont le souci de faire comprendre quelque chose à leurs élèves feront presque figure de bêtes curieuses. Il devront trancher, sacrifier des "savoirs" pour se réserver plus de temps. J'avais un professeur d'histoire qui a pris à coeur de nous faire comprendre les mécanismes économiques qui ont mené à la crise de 1929. Pour une fois, on ne m'assénait pas des listes interminables. On m'expliquait, on me faisait comprendre. J'étais conquis. L'administration et les parents qui avaient les yeux rivés sur le programme, beaucoup moins. Ma reconnaissance à son égard n'a pas faibli.

Le programme doit chercher à parler à l'intelligence des élèves. Leur faire comprendre, et pas leur remplir le crâne. C'est le meilleur service à leur rendre pour qu'ils deviennent des citoyens intelligents qui pourront se faire leur propre opinion sur le programme d'une personnalité politique et déjouer les manoeuvres des entreprises de désinformations qui pullulent sur internet.

Il ne faut pas leur faire ingurgiter des textes, qu'il régurgitent par coeur le lendemain, et oublient le surlendemain. En plus de ressembler à l'apprentissage du petit livre de Mao ou de Xi par la jeunesse chinoise, c'est un exercice vain. Cela fait des décennies que les auteurs de programmes le savent et s'en accommodent.

La paresse et la couardise sont les plus grandes causes de la souffrance humaine.

Les enseignants sont abandonnés en rase campagne

Les cris d'orfraie poussés après le meurtre de Samuel Paty montrent pour moi que ceux qui s'indignent bruyamment sont sourdement conscients de leur responsabilité. Les professeurs sont souvent laissés seuls face aux élèves et à leurs parents.

Le cas le plus extrême est la réforme du baccalauréat qui est maintenant en grande partie fait par du contrôle continu. Le professeur décide donc de l'avenir de ses élèves. C'est une erreur majeure. D'allié de l'élève à qui il est censé donner les clefs de la réussite, il devient également censeur qui peut lui fermer la porte.

Comme ces professeurs ont peu d'intérêt à s'attirer les foudres des élèves et de leurs parents, contre lesquels ils seront bien mal protégés, il s'adaptent et notent généreusement. L'école est devenue l'école des fans (une émission des années 1980 dans laquelle tous les enfants avaient toujours la même note, qu'ils ânonnent laborieusement une chanson ou qu'ils chantent magnifiquement).

La paresse et la couardise (de l'administration) ...

L'éducation nationale a abandonné les professeurs en rase campagne. Ils s'adaptent donc et notent suffisamment généreusement pour que les notes ne veuillent plus dire grand chose. La conséquence, c'est que l'orientation après le bac devient de plus en plus difficile et se rapproche de la loterie. Ce qui doit faire plaisir à ceux qui pensent que la sélection c'est mal.

Si le ministère a réaménagé le baccalauréat pour faire des économies (ce qui est sans doute le plus probable), alors autant l'assumer pleinement, et le remplacer par le test utilisé pour les universités américaines: un "SAT test" qui est un simple QCM. Coût de la correction des tests: quasiment zéro. Un ordinateur va scanner les cases cochées par les élèves.

Comment améliorer l'enseignement?

Quelques clefs:

  • Séparer le rôle d'enseignant de celui de ceux qui attribuent des notes déterminantes (brevet, bac, passage). Le professeur doit être perçu comme un allié des élèves.
  • S'approcher du modèle du tutorat. En particulier à l'école, les élèves n'ont pas la capacité de concentration pour encaisser 7 heures de cours magistraux. Les cours magistraux devraient être donnés par des professeurs (éventuellement pour plusieurs classes en même temps avec de la vidéo), et limités à 1 à 2 heures par jour. Le reste du temps devrait être réservé au travail personnel, encadré par des enseignants qui peuvent assister les élèves qui n'ont pas encore tout compris. Ceci sera d'autant plus efficace que certains élèves auront des facilités dans certaines matières et moins dans d'autres, et qu'on leur épargnera de faire de la chaise pour rien.
  • La pandémie a forcé de nouvelles expérimentations qu'il faudrait développer: l'apprentissage inversé dans lequel les élèves prennent en main leur apprentissage et le font à leur rythme. Les professeurs sont alors là pour tester les apprentissages et les renforcer. Ces exercices de développement de l'autonomie seront très fructueux pour les élèves. Tant qu'un élève n'a pas acquis un sujet, il l'approfondit, comme le prônent les écoles Montessori. Le professeur restant le juge final pour déterminer si un sujet a été acquis.
  • Constituer un programme dont le but est de faire comprendre des choses aux élèves. Apprendre ne consiste pas à apprendre des formules toutes faites qu'il suffit de recracher mot à mot. Évidemment certaines choses doivent être apprises. Les conjugaisons, la table de multiplication. Quand un enfant a compris quelque chose, il en tire une exaltation qui lui rend l'enseignement brusquement utile et sympathique.

Pourquoi l'enseignement privé est-il tellement la cible des "progressistes"?

C'est difficile à comprendre a priori. La qualité de l'enseignement est marginalement meilleure ou identique à celle dans le public. Les classes sont plus homogènes et l'ambiance de travail plus sereine.

Mais sa croissance est le symptôme irréfutable que quelque chose est défaillant dans l'éducation publique en France. Et comme il est tellement plus pratique d'accuser les autres d'être la cause de ses propres défaillances (par une sorte de "morale du cancre"), elle est une cible parfaite. Pour camoufler les véritables responsabilités dans l'échec du système public, on accuse les écoles privées accusées de ne pas jouer le jeu de la mixité sociale (ou de la diversité, ou tout autre mot totem répété à l'envi par l'intellectuellariat de l'éducation nationale au point de les vider de leurs sens).

À l'inverse, le ministère est très peu vocal quand il s'agit de dénoncer de vraies défaillances de certains lycées privées. Stanislas ou bien Saint-Jean de Passy à Paris sont des institutions qu'on peut qualifier de "séparatistes", comme Médiapart l'a fait.

De plus, dans ces casernes, l'éducation y est basée sur la maltraitance et la remontrance, car comme les femmes, les enfants mineurs sont des pécheurs en puissance. Les nombreux témoignages des anciens élèves sont édifiants. Là encore, les enfants apprennent la sournoiserie, l'évitement, la dissimulation, la flagornerie, bref ils se rabougrissent. Certains finissent par pouvoir appliquer ces apprentissages à bon escient, comme Carlos Ghosn, ancien de Stanislas, formé à bonne école.

La maltraitance étant une des marques de fabrique de ces établissements, la domination malsaine d'éducateurs sur de jeunes enfants attire évidemment les encadrants qui ont des tendances pédophiles, et on ne sera pas surpris que l'histoire de ces établissements soit émaillée de scandales depuis des décennies avec une régularité remarquable. On ne sera pas surpris non plus qu'à Saint-Jean de Passy, même des enseignants se soient plaints de harcèlement par l'administration (pardon "pratiques managériales dysfonctionnelles").

Ces lycées sont sans doute des exceptions, mais ils profitent au même titre que les autres des défaillances du secteur public.

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