Les Français ont élu un homme qui affichait une vision équilibrée, conscient des contraintes économiques, mais socialement "libéral" au sens anglo-saxon du terme, c'est à dire attaché aux libertés individuelles de pratique de religion, d'orientation sexuelle. Cette synthèse est alors illustrée pour moi par son premier "sacre" en 2017 sur fond d'hymne européen, l'hymne à la joie de Beethoven, pendant que des français d'origines manifestement diverses applaudissent à tout rompre. Les Américains et les Anglais modérés sont sous le charme, nous envient notre président. Ils crèvent de jalousie.
Même Edwy Plenel, qui n'est pourtant pas tombé de la dernière pluie, est séduit.
Le vernis se fissure
L'homme avait promis une république exemplaire, dans laquelle tout homme public qui mentirait, volerait, décrédibiliserait la parole publique serait mis à l'écart. Il semble intelligent, modéré, structuré. Il promet.
Le premier débat avec Marine Le Pen
Avant même l'élection de 2017, j'ai une première petite déception: le débat de 2017 entre Le Pen et Macron tourne nettement à l'avantage de ce dernier, certes, pourtant je le trouve très moyen. Le Pen débite de telles âneries, qu'elle lui offre sur un plateau des arguments (notamment sur le retour au Franc) pour littéralement la pulvériser.
Mais c'est choquant, il ne les saisit pas. Comme s'il ne les voyait pas. Il se contente de quelques effets de cabotin, lui jetant un regard bleu désapprobateur et profond comme celui de Christophe Lambert dans Graystoke. En un mot, il est décevant.
L'affaire Benalla
Après son élection, une autre fissure apparaît avec l'affaire Benalla, dans laquelle un proche de l'Élysée agresse des manifestants, usurpant le titre de policier, bref, accumule une liste impressionnante de délits, et ... rien ne se passe. Pour ajouter l'insulte à l'indignité, il fait manifestement disparaître des preuves l'incriminant, mais la justice reste impuissante. Enfermé dans son château, Emmanuel Macron brille par son silence complice. Rien ne se passe. Benalla semble jouir d'une protection exorbitante. Comment un personnage aussi sulfureux, et plus tard aussi Mimi Marchand peuvent faire partie du cercle étroit de l'Élysée et bénéficier d'une telle protection?
L'affaire Kohler
Une autre affaire va empoisonner le quinquennat de Macron, c'est l'affaire Kohler. Kohler est un conseiller de Macron qui s'est empêtré dans un conflit d'intérêts calamiteux en dissimulant ses liens avec une société qui appartient à sa belle-famille, alors qu'il prend des décisions pour lesquelles il devrait se désavouer. Là encore, la sanction de l'Elysée ne vient pas. Le nombre de ministre ayant des démêlés avec la justice ou des comportements indignes de leur fonction s'allonge, Darmanin, Dupont-Moretti, la liste est longue.
Traverser la rue
Une autre sortie surprenante de Macron fait la une quand il dit à un horticulteur au chômage qui ne trouve pas de travail qu'il lui suffit de "traverser la rue" pour lui en trouver un en restauration. L'affaire fait grand bruit, et on rapporte que Brigitte Macron, présente, l'aurait houspillé "t'es complètement con". Effectivement, il faut singulièrement manquer de matûrité pour régurgiter sans réfléchir le point de vue d'un restaurateur qui se plaignait de manquer de main d'oeuvre.
Toutes ces sorties étranges ne cadrent pas avec l'image du président passé par l'ENA, une banque d'investissement, un ministère, qui aurait dû avoir acquis un savoir, et une expérience qui lui ont permis de se propulser au sommet de l'État.
Un début d'explication: Juan Branco lève le voile
Ma perplexité devient de plus en plus grande, jusqu'à ce que je tombe sur un petit livre, "Crépuscule", écrit par Juan Branco. Son livre est un peu cryptique, avec un style de prétoire, mais le contenu est clair: selon Branco, Macron est une créature de Xavier Niel, qui cherche à peser dans les politiques publiques. Sa société, Free, se fait attribuer des licences d'opérateur mobile et des fréquences par les services de l'État. Pour réussir, avoir un président dans sa poche ne peut pas nuire.
La couveuse à présidents
Comment Macron a-t-il rencontré Niel? Il a eu sûrement des occasions multiples avec son parcours en banque d'affaire et au ministère des finances. Niel le prend sous son aile, le finance, lui fait profiter de son entregent, lui donne de la crédibilité auprès des jeunes entrepreneurs en en faisant un champion de la "start-up nation". Comme on incube une startup, Niel met Macron dans sa couveuse à présidents.
Xavier Niel, fondateur de Free, a eu plusieurs vies. Il a été condamné pour proxénétisme, s'est lancé dans le Minitel rose. Des activités qui ont dû lui faire connaître des personnes peu recommandables comme Mimi Marchand (accusée de subornation du témoin Ziad Takkiedine, condamnée à de la prison pour trafics de stupéfiants), Alexandre Benalla (aux frasques multiples), et la liste ne s'arrête sans doute pas là. Voici l'élément manquant qui explique pourquoi des personnes peu recommandables ont pu graviter autour d'un président qui donnait l'impression d'être pur comme l'agneau qui vient de naître. En fait ces gens peu recommandables sont des amis et des protégés du patron, Xavier Niel.
L'acteur et le président
Et c'est là que la logique de l'ensemble m'apparaît. Macron n'est pas un président. C'est un acteur. Un acteur qui a besoin qu'on lui donne un texte taillé au cordeau.
Dès que Macron se lance dans de l'improvisation, sans texte, sans souffleur, cela menace de tourner au désastre: quand il parle de traverser la rue à un chômeur, quand il annonce qu'il veut "emmerder" les Français non vaccinés, les exemples ne manquent pas.
C'est pour cela qu'il s'est désespérément accroché à Kohler alors que celui-ci a été pris la main dans le sac avec ses conflits d'intérêts insensés. Il faisait parler le Président.
C'est pour cela que le gouvernement a massivement eu recours aux services de McKinsey. Ils faisaient parler le Président.
Le bâteau ivre
Depuis l'invasion de l'Ukraine, mais encore plus depuis les événements du 7 octobre en Israël, le Président est encore plus apparu comme un bâteau à la dérive. Il s'est précipité pour affirmer son soutien inconditionnel à un ennemi déclaré de la paix, Benyamin Netanyahou. On a ensuite entendu qu'il avait été malheureusement conseillé par Bernard-Henri Lévy, un intellectuel toujours prompt à conseiller des interventions souvent désastreuses.
Mais ce n'est pas une excuse recevable. Le Président devrait être capable de se forger sa propre opinion, et de consulter ses myriades de conseillers de la Défense et du Quai d'Orsay.
Ensuite, il a lancé au jugé la proposition d'une coalisation "anti-Hamas", proposition qui a été reçue avec un silence mêlé de pitié à peine voilée.
Il semble que le Président n'ait plus personne pour lui écrire ses textes. Il cherche un auteur, comme les personnages de Pirandello.
La loi sur l'immigration
Et la situation continue de déraper inexorablement. On pousse l'infâme loi sur l'immigration dans laquelle le gouvernement se fait renvoyer dans ses buts, avant de bricoler un texte en Commission Mixte Paritaire (CMP) dans lequel toutes des exigences les plus extravagantes de l'extrême droite sont intégrées. On ne compte pas
- les décisions injustes contre les étrangers, et sans doute de nature à être retoquées par le Conseil Constitutionnel, ou par la cour européenne de justice;
- les décisions contre les étudiants étrangers qui feront de la France, un pays qui prétend attirer des cerveaux, le repoussoir le plus ignoble d'Europe.
Le parti de Macron est en train de se déchirer à cause de l'alliance nauséabonde avec l'extrême droite. C'est un suicide collectif.
Comment baisser le rideau
L'entourage de Macron cherche désespérément des dauphins. Certains, comme Roselyne Bachelot, ont tenté le coup infâme de la révision de la constitution pour autoriser trois mandats, dans la droite ligne des manoeuvres de Poutine et de la Tunisie de Ben Ali. Raté.
Le nouveau ministre de l'Education, Gabriel Attal, dont le degré d'improvisation est effarant, a eu droit à un concert de louanges très chorégraphié de l'ensemble de la presse qui a pour mission d'en faire un présidentiable. D'autres candidats, comme Édouard Philippe et Bruno le Maire croient en leurs chances. Mais ce sont de bien mauvais acteurs.
Les seuls personnage publics de premier plan qui ont encore un peu d'épaisseur et de dignité dans le concert actuel sont Jean-Luc Mélenchon et Dominique de Villepin. Ils ont une stature, des principes, une loyauté, une réflexion et une pensée propre. Tout ce que la couveuse à dauphins de l'Élysée a produit, ce ne sont que de mauvais acteurs, parfois doublés de mauvais écrivains.