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Billet de blog 8 décembre 2024

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"Est-ce que c'est ok si...?"

Après #metoo, le concept de consentement semble passé dans le langage courant et on ne peut que s'en réjouir. Mais l'autre est-il vraiment pris en compte dans la formulation "est-ce que c'est ok si...?" ?

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Avez-vous remarqué cette nouvelle expression qui consiste, dans des contextes variés, à demander le consentement d'une personne avant de faire quelque chose qui pourrait la heurter ? Par exemple : « est-ce que c'est ok si je pose ma main sur ton épaule ? » ou bien « est-ce que c'est ok si je te pose telle ou telle question ? »...

Cette expression est le signe d'un changement dans notre rapport à l'autre : par cette précaution langagière, on veut désormais s'assurer que l'autre est d'accord avec l'action que l'on s'apprête à initier et qui le concerne. Le consentement est maintenant recherché systématiquement avant une action qui engage l'autre dans son corps ou son intimité, et l'autre est enfin pris en compte dans le quotidien des interactions.

Mais cette expression dénote aussi une désubjectivation inquiétante (le « je » et le « tu » sont absents des signifiants utilisés) et une tendance à un repli égocentrique. Car à se demander en permanence si « c'est ok » ou non, on invite l'interlocuteur à une introspection qui peut couper le lien à l'autre. En effet, il ne s'agit pas d'une négociation entre l'expression du désir de celui qui propose et l'exploration du désir de celui qui reçoit, mais d'une injonction pour celui qui reçoit à donner son accord. Il ne s'agit pas d'un débat entre deux subjectivités mais d'un accord contractualisé entre deux individus en présence.

Cette formule magique, sésame à un passage à l'acte qui serait donc pleinement consenti une fois la réponse positive obtenue, semble agir comme une façon supplémentaire d'éviter le conflit, dans une époque où la conflictualité est mise à mal. Concrètement, quelle place réserve-t-on à la colère, à la frustration, dans ces interactions de plus en plus aseptisées ? Est-ce pour seulement éviter les conséquences fâcheuses d'une absence d'accord (plainte, conflit...) qu'on demande si « c'est ok » ? Dans ces formulations parfois creuses issues de la psychologie positive ou de la communication non violente, l'expression d'un « c'est ok » ou d'un « c'est pas ok » permet-il de vivre pleinement une relation dans toute sa dimension conflictuelle ?

D'autres alternatives sont heureusement possibles, voire souhaitables :

L'ouverture d'un débat, avec explicitation des désirs des uns et des autres, serait autrement plus pertinente pour ouvrir une relation d'engagement mutuel : par exemple, dans une application pratique en psychothérapie où le praticien serait amené à s'interroger sur le consentement d'un patient à répondre à des questions personnelles, à la place de « est-ce que c'est ok si je vous pose telle question ? », on pourrait dire « j'aimerais vous poser telle question, parce que je pense que c'est important pour notre travail ensemble, mais j’aimerais d'abord savoir comment vous vous sentez si on aborde ce sujet... »

Il y a même des situations où on sait qu'on peut se passer du consentement du sujet : dans l'éducation, poser des limites à des enfants et des adolescents n'implique pas qu'ils soient d'accord avec ces limites mais qu'ils les comprennent. Et cela suppose pour les adultes d'être en capacité d'accueillir la conflictualité, qui passe par l'expression de la colère et de la frustration.

Dans d'autres situations, on peut se demander si ce recueil d'accord contractualisé par un « c'est ok » est suffisant : lorsqu'une relation de pouvoir ou d'autorité est présente, comment s'assurer que l'on consent à la demande et non qu'on est pris dans une relation d'emprise ?

Enfin, dans nos pratiques professionnelles, on remarque une tendance au désengagement du patient au profit de son confort individuel. Le contrat tacite qui régissait les rapports patient/soignant, à savoir que chacun s'engage dans un travail thérapeutique mais que c'est le praticien qui fixe et garantit le cadre, est remis en question. Les patients négocient leur présence en fonction de leur agenda, de leurs impératifs, et se plient parfois difficilement aux nôtres, exigeant que nous soyons disponible en dehors des horaires habituels, ou invoquant un service que nous leur devons. Le soin devient alors davantage consommé qu'investi, et nous nous voyons parfois contraint d'intégrer avec plus ou moins de facilité le droit des usagers dans nos suivis.

En conclusion, le consentement est loin d'être une notion simple, et qu'on le veuille ou non, les relations humaines sont inscrites dans une conflictualité et une intersubjectivité qu'il nous faut remettre au goût du jour.

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