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Billet de blog 20 janvier 2022

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covid et guerre de religion

Le clivage élève au rang d'idéologie la croyance défendue (que ce soit la religion, la politique ou la science). Pourtant, c'est le débat qui fait la richesse de l'humain. Si l'Homme a besoin de croire pour exister, et de s'opposer pour s'affirmer, contre quoi pourra-t-il s'opposer si la croyance devient certitude et ne supporte plus la controverse ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous, humains, aimons nous disputer, que ce soient autour de questions politiques, religieuses, culturelles... Comme si, pour s'affirmer, l'Homme avait besoin de s'opposer. Des guerres de religion aux conflits de territorialité, les groupes s'affrontent depuis que le monde est monde, dès lors qu'ils cherchent à se distinguer. Et quand les mots ne suffisent plus, la violence fait place à l'argumentation. Alors, l'Homme sort les couteaux, rentre en lutte, et parfois, en guerre.

Nous, occidentaux, pouvions penser que les conflits armés ne concernaient que de lointains pays. Nous nous pensions à l'abri, spectateurs de révoltes sanglantes retransmises à la télévision, de corps mutilés à l'autre bout de la planète, pour des raisons qui souvent nous échappaient. Aujourd'hui, nous découvrons avec étonnement qu'une guerre fait rage chez nous, sur nos terres dites civilisées. L'écho bruyant se fait entendre sur les réseaux sociaux, dans les dîners de famille, dans la rue... Les nouvelles armes sont essentiellement numériques, téléchargeables en podcast, mais les #hashtags sont acérés comme des épées, et le combat est parfois violent.

L'époque moderne ayant relégué la religion monothéiste dans un placard (que certain.e.s voudraient d'ailleurs ressortir, dans une nostalgie d'un système effectivement en déclin), ce qui agite désormais le web et scinde la population en deux fronts irréconciliables semble toujours être une question spirituelle, mais d'une autre nature. Oui, l'Homme, avant de s'affirmer, a surtout besoin de croire.

Nouvelle ère, nouvelles croyances, nouveau combat :

A ma gauche, les ayatollahs des médecines douces et alternatives, du bien-être et des théories New Age et de l'approche dite anthroposophique.

A ma droite, les gourous de la rationalité, des statistiques, de la médecine dite allopathique, de la zététique et de la recherche scientifique.

D'un côté les idiots, de l'autre les imbéciles. Ou inversement, selon où l'on se place. Mais des deux côtés, des croyances vissées, et une lutte acharnée, violente, pour qu’éclate la Vérité, à savoir qu'ils ont raison et que ceux d'en face ont tort.

Pro et anti enflamment la toile et les conversations, et soufflent sur les braises d'un conflit millénaire. La philosophie et les sciences sociales en ont fait leur fond de commerce, les universités s'opposent depuis leurs fondations dans des querelles de chapelle et des rivalités intestines (qui motivent aussi leur dynamisme). La plupart du temps, ces courants de pensées réussissent à co-exister. Sauf quand l'un et l'autre se sentent menacés. Alors les esprits se crispent, se chauffent et on montre les crocs.

Non, les tenants des médecines alternatives ne sont pas tous des adeptes de sectes. Et s'interroger sur l'opportunité ou non d'un vaccin ne fait de vous un complotiste. Ce serait une simplification tout aussi arbitraire que de jeter au feu la médecine conventionnelle et le principe de la vaccination au motif qu'il existe un certain nombre d'erreurs médicales, ou que les conflits d’intérêt pullulent dans les laboratoires pharmaceutiques...

Dans ce climat manichéen, garder une posture mesurée, prudente, vouloir s'ouvrir aux deux courants de pensée, semble être de plus en plus difficile. Dans les deux camps, des groupuscules se constituent et sermonnent celles et ceux qui hésiteraient entre les deux rives, les forçant à sauter le pas, au travers de podcasts, d’émissions radiophoniques ou de vidéos youtube, accentuant le clivage idéologique.

Le fait de vouloir réduire à néant la position adverse procède effectivement d'un mouvement psychologique qui s'apparente au clivage. Pour la psychanalyse (autre église paganiste s'il en est), le clivage est un mécanisme de défense pathologique, à situer du côté de la psychose. Il s'agit d'une rupture radicale qui vise à séparer le monde en deux réalités distinctes. Dans cette non-résolution de conflit, pas de formation de compromis, pas de refoulement et finalement pas de renoncement, de perte, de deuil. L'idée, la croyance, ne s'effondre pas, et la négociation, le débat, deviennent impossibles.

Alors peut-on décrisper le débat deux secondes, et reconnaître que les deux approches, pour ce qui concerne la pandémie de covid, sont légitimes, et ont le mérite d'obliger à la nuance, en lieu et place de positionnements radicaux et excessifs ?

La science a pu évidemment apporter toute sa contribution dans la lutte contre cette pandémie, que ce soit en étudiant les chiffres de contamination et d'hospitalisation au jour le jour, ou en accélérant la recherche médicale pour les traitements et les vaccins.

Le camp des anti vax a pu nous amener aussi à nous interroger sur la place de la médecine conventionnelle dans nos sociétés, la place de la mort dans nos vies, ou encore la place de la liberté dans nos corps.

Les imbéciles rendent même parfois hommage aux idiots, puisque, à force d’expérimentations scientifiques randomisées, les scientifiques mettent en lumière des concepts autrefois théorisées par des mouvements plus ésotériques : ainsi, grâce aux techniques d'imageries médicales et aux méthodes cognitives, les chercheurs découvrent la puissance des processus inconscients, la magie de l'autosuggestion ou encore la force de l'esprit sur le corps.

Finalement, pro et anti se doivent beaucoup, et plutôt que de vouloir se crisper autour de nos croyances, nous ferions mieux de remercier celles et ceux qui nous obligent à argumenter nos idées.

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