
Conseiller régional d'Île-de-France, Jean-Marc Brûlé est le fondateur de la Commission Asie des Verts. Secrétaire national adjoint d'Europe Écologie chargé des élections et des institutions et président de L'Atelier, il a aujourd'hui fondé à Yangon Green Lotus, un think-tank dédié à l'écologie en Asie. Il nous donne en exclusivité ses impressions sur les premières élections libres en Myanmar.
Qu’on le veuille ou non, la Birmanie vit aujourd’hui un aboutissement à la fois logique et inattendu d’une révolution tranquille. Un jour d’élections générales qui vont permettre à ce grand pays de devenir officiellement dès demain lundi une « démocratie ». Non pas un petit paradis où coule le lait et le miel, simplement une nation où l’on est (en gros) libre de ses opinions, (en gros) libre de les exprimer, et où existe (en gros) un débat politique permanent sur tous les sujets. Et où, dès aujourd’hui, se déroulent régulièrement des élections à peu près libres et équitables.
Ni plus ni moins que la France, l’Inde ou les Etats-Unis.
Dans ces 3 derniers pays, à diverses récentes élections, il y eut un peu de fraude, il y eut un peu de tricherie, il y eut des minorités empêchées de voter. Et il y a, encore et toujours, du clientélisme et de la corruption…
C’est ce que nous disons toujours à nos amis birmans dès qu’ils se plaignent (et ils ont raison !) : « Et bien oui, vous êtes une démocratie, maintenant… ».
Dans une démocratie, quand on veut nuire à quelqu’un (un rival politique, par exemple), on essaie de tricher.
Dans une dictature, on essaie de le tuer.
Pourquoi rappeler cela ? Parce que, quand on tente une analyse politique, il est toujours bon de comparer, à l’aune de l’Histoire. Et, à l’aune de l’Histoire de l’Humanité et de ses systèmes politiques, la révolution démocratique birmane bat des records de vitesse et de tranquillité. Et le citoyen birman de base, pour aller toujours plus loin, a besoin qu’on lui témoigne estime et admiration pour la victoire dont il hérite aujourd’hui, après des décennies de patience et de résistance non-violente. Et non pas qu’on décrète que – juché sur notre pupitre post-colonialiste occidental – la Birmanie n’est toujours pas une démocratie parce qu’elle n’a pas encore atteint les sommets de suavité et de transparence du Danemark de la série « Borgen »…
Oui, de 2011 à aujourd’hui, la Birmanie est devenue une démocratie, sans violences excessives, et surtout en ayant passé le point de non-retour, malgré tout ce qu’on peut dire sur Tatmadaw (l’armée), dont le sort devrait logiquement suivre le destin de l’armée indonésienne. Et avoir moins de pouvoir arbitraire que – par exemple – l’armée thailandaise, ou encore l’armée américaine (qui a tout de même lancé deux guerres d’Irak pour « rendre service » aux lobbies militaro-industriel et pétrolier).
Pourquoi préciser tout cela ?
Parce que le débat politique birman porte déjà sur d’autres thématiques. Si les hauts-gradés de Tatmadaw ont si facilement laissé tomber la dictature, c’est bien qu’ils se sont massivement convertis en hommes d’affaires, investisseurs, propriétaires terriens et immobiliers. Et que leur enrichissement futur est la source des futures injustices sociales, des futurs drames écologiques que pourraient connaître ce pays.
Oui, il faut dire que les prochains enjeux de droits de l’Homme dans ce pays sont maintenant liés au modèle de développement, à la lutte contre la corruption, aux choix économiques qui seront faits. Heureusement, sur toutes ces questions, la bouillonnante société civile veille. La même qui a permis, après des décennies de lutte, la victoire des droits de l’Homme et de la démocratie.
Et qui passe aujourd'hui à une autre étape.

Quant aux résultats du jour, là aussi, ne boudons pas notre plaisir : la NLD va remporter un raz-de-marée et être en position de force pour construire la « réconciliation nationale » que tout le monde attend. Ca va prendre quelques mois, avec les cris et les coups de théâtre que toute démocratie connaît bien, mais cela va aboutir, car aucune force politique birmane n’a d’autre choix que de participer.
Alors, oui, aujourd’hui, savourons dans les rues de Yangon et d’ailleurs, cette belle victoire qu’on a tant attendu, que l’on soit citoyen birman ou militant démocrate occidental.
Et demain, portons d’autres combats, dans les domaines sociaux et écologiques, ou celui du dialogue inter-religieux et inter-ethnique.
Et surtout face au changement climatique, qui est sûrement le plus grand défi de l’Histoire qui attend ce pays, comme pour le reste de la planète.
Le premier des droits de l’Homme, ce serait peut-être maintenant de ne pas mourir du fait des choix productifs et consuméristes, portés d’abord jusque-là par... les démocraties occidentales !!!
Jean-Marc Brûlé
Co-Fondateur de Green Lotus
Conseiller Régional d'Ile-de-France