Sur les ondes du 7 janvier 2015 dès lors de sinistre mémoire, l’homme du jour des principales matinales radiophoniques était l’écrivain Michel Houellebecq. Le célèbre ex-prix Goncourt y faisait la promotion de son nouveau roman « soumissions » sur un ton désabusé et quelque peu provocateur. Il y voit la France à l’horizon 2040 tombée sous la coupe d’un imaginaire calife d’origine africaine présenté comme un islamiste modéré, somme toute assez bienveillant envers « feu la République française ». Dans le même temps tombait l’effrayante nouvelle de la tuerie perpétrée dans les locaux de Charlie Hebdo par des islamistes radicauxqui, brusquement, ramenait la gentillette prophétie de Houellebecq à la triste réalité des faits : pas d’amalgame certes mais pas d’aveuglement ni de minimisation du phénomène non plus, face au terrorisme islamiste qui est entré en guerre ouverte contre l’occident chrétien.
Soumissions qui vient d’être publié est le dernier en date d’une série d’ouvrages, doublés d’une longue série d’articles de presse ou de revues savantes (cf. Le Débat ou encore Esprit) qui ont consacré le genre littéraire et philosophique des déclinologues, qui ne donnent pas cher de l’avenir de ce qui fut pourtant « la Grande Nation », fille des lumières et phare des idéologues, hommes de progrès dont « le Grand Capitaine », génie des armes, fut aussi le plus illustre disciple. Fini le temps de la grandeur française et, si l’on passe en revue rapidement leur argumentation, qui peut varier d’ailleurs d’un auteur à l’autre, on a affaire à un panel impressionnant et propre à ébranler les convictions des chantres de « l’impérissable grandeur française ».
N’évoquons que les principaux contestataires ou détracteurs de ce que Michelet appela le premier le roman national, prélude du mythe national consacré par l’école historique d’Ernest Lavisse. En toile de fond certes la crise économique et, peut-on dire politique, illustrée par la montée en puissance du populisme et l’absence de ligne de mire dans la conduite de la nation. Ne nous y attardons pas, nous le vivons au quotidien avec des voyants qui ne cessent de s’allumer au rouge, le dernier en date étant le fait d’avoir été détrôné par la Grande- Bretagne et relégué du 5ème au 6ème rang que nous occupions au titre des grandes puissances. Nos « amis » anglo-saxons ne nous ont pas fait de cadeau et le New-York Times est allé jusqu’écrire que nos deux prix Nobel, dont la France a été honoré cette année, n’étaient que le chant du cygne d’un inexorable déclin.
Un mal récurrent
En fait la sinistrose est plus ancienne… L’historien serait même porté à dire qu’elle est récurrente dans la longue durée, marquée par des cycles où le doute s’est installé (le temps des monarchies constitutionnelles au XIXème siècle initié par l’éclipse de l’astre napoléonien et clos par les révolutions de 1848, où la France fraternelle et à nouveau exemplaire reprenait son leadership en termes de modèle et de progrès social. Les débuts de la IIIème République ont été laborieux mais l’affaire Dreyfus fut conclue par la victoire des intellectuels dreyfusards (Zola, Péguy) et des politiques hommes de progrès (Clemenceau, Jaures..) qui ont redoré le blason d’une république héritière de 1789 et non discriminatoire.
Robert Frank retraçant l’histoire du déclin de la France de 1920 à nos jours insiste sur la pâle période de l’entre-deux-guerres et sur la débâcle de 1940 dont elle ne se serait jamais remise. Il est un des premiers à mettre l’accent sur « le choc » de la décolonisation. On sait comment la fin de la période coloniale à laquelle de nombreux corses ont participé, a en partie généré dans l’île l’enfermement sur soi-même, et chez quelques-uns les rancœurs et la distanciation par rapport à l’unité nationale. Certaines de ces considérations ont été reprises et vulgarisées par Eric Zemmour dans son essai à succès sur le suicide français.
Puis il y eut l’éphémère temps gaullien, mais « la grandeur retrouvée » fut gravement compromise par la crise de mai 1968, un tournant qui tient une place essentielle chez le même auteur à propos de l’engagement de la France dans la voie du déclin, ce qui figurait déjà dans cet autre best-seller des déclinologues, l’identité malheureuse (entendons de la France) du philosophe Alain Finkielkraut, un essai plus fouillé, mieux argumenté, plus intellectuel que le tout venant d’Eric Zemmour… portant sur la décadence des mœurs, également liée à l’excessive féminisation de la société, à la remise en question du socle de la famille et de la patrie, à la perte des repères moraux, à la crise d’une éducation qui sacrifia les grands classiques, y compris ceux de l’Antiquité gréco-romaine…
La journaliste-essayiste à la mode, Natacha Polodny, pur produit de l’éducation traditionnelle des élites de l’ère gaullienne fustige dans son recueil d’éditoriaux parus dans le Figaro sous le titre révélateur (Ce pays qu’on abat) les ravages de l’ère post-soixant’huitarde. D’autres sont allés plus loin encore en dénonçant l’entrée du marquis de Sade dans la prestigieuse collection de La Pléiade ou encore la consécration de la vie d’Adèle par les jurys du septième art.
A coté des poids lourds nostalgiques de la grandeur française, on pourrait citer d’autres seconds couteaux, dont VGF lui-même (Europa), prêt à troquer la nation contre les Etats-Unis d’Europe, sous prétexte qu’elle est décadente et qu’il ne lui reste qu’à s’amarrer à une Allemagne forte. C’est d’ailleurs autour du thème de la décadence française que s’est animé le débat entre souverainistes et partisans de l’Europe. Citons encore les lettres béninoises où l’auteur, Nicolas Baverez, déjà en 2003 prédisait l’apocalypse de la France sur le mode des lettres persanes de Montesquieu, une anticipation qui à plusieurs égards nous ramène au roman de Houellebecq.
Cette production littéraire a contribué à créer et à entretenir un climat de pessimisme et de sinistrose, aggravé par la vogue de repentance à l’égard du passé historique de la France, systématiquement noirci et réclamant réparation. Rappelons-nous la malencontreuse charge de Christiane Taubira contre la place faite à Napoléon dans notre histoire, sous prétexte qu’il a rétabli l’esclavage un temps supprimé par la Convention et combattu Toussaint Louverture, occultant ainsi l’ensemble de son œuvre et les évènements glorieux que la France lui doit. Et que dire de la valse hésitation de Dominique de Villepin, boudant la commémoration de la bataille d’Austerlitz mais s’associant à la célébration de la victoire de la flotte anglaise à Trafalgar… Tout cela fait beaucoup et, comme on dit chez nous, u troppu stroppia (trop c’est trop).
Debout la France Républicaine
Pour actualiser notre propos et revenir au fait tragique de la semaine, rappelons que dans la production littéraire que nous avons citée et plus particulièrement dans les essais d’Eric Zemmour et d’Alain Finkielkraut, l’immigration d’individus de religion et de culture musulmane en France et l’islamophobie qui en découle sont une composante essentielle du sentiment de décadence de la France. Or, à la lumière des lendemains immédiats du tragique événement que nous venons de subir, une faible consolation mais consolation quand même nous vient de la dignité et de la détermination du peuple de France, composé d’individus de culture, d’ethnie ou de religion différentes, à réagir contre cette insupportable atteinte aux valeurs nationales, en l’occurrence la liberté d’expression.
Rarement on a autant évoqué sur notre sol et dans les capitales étrangères combien les valeurs républicaines et les droits de l’homme étaient attachés à notre nation au point d’en devenir le symbole. C’est ce qu’ont exprimé en particulier les milliers de citoyens d’origine ethnique ou culturelle différente descendus spontanément dans la rue pour exprimer leur solidarité et leur indignation. Cela est à interpréter comme le signe d’une France vivante, prête à résister à l’ennemi, en puisant dans ses racines historiques.
En Corse aussi ce fut le cas, même s’il ne semble pas que les mouvements nationalistes corses y aient pris part : la France il faut l’aimer pour se sentir solidaire dans les temps de malheur !… Mais tous ceux pour qui le concept de France a encore un sens et qui se sentent « à l’aise » dans le cadre national sont nombreux et ils ont pris part à ce remarquable élan de solidarité porteur d’un message d’espoir et d’union sacrée.
La République tant décriée, bafouée et enterrée avant l’heure, est encore en mesure de se dresser comme un rempart efficace contre la violence aveugle, l’intolérance, le fanatisme, la xénophobie et le repli sur soi-même incompatible avec l’attachement à des valeurs universelles.
Debout la France Républicaine, c’est notre raison d’espérer au cœur de l’adversité.
France-Corse
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