
Si les nationalistes sont sortis en tête du second tour de l’élection territoriale ils doivent ce succès non seulement à la constance de leur lutte et à la clarté de leurs idées mais aussi et surtout à l’incroyable accumulation d’erreurs commises, depuis trente ans, par la plupart de ceux qui considèrent à juste titre que ces idées sont préjudiciables à la Corse et à ses habitants.
Contrairement à ce que disent et écrivent presque tous les journalistes, avec une complaisance extraordinaire, les nationalistes n’ont pas réalisé un « score historique » le 13 décembre 2015. Avec un peu plus de 35,34 % ils ne font pas mieux qu’en 2010 (35,73 %), les gains de la Haute Corse équilibrant les pertes de la Corse-du-sud.
La différence tient au fait que, cette fois, ils étaient unis. Il est probable qu’une fusion en 2010 aurait provoqué une déperdition des voix. Mais depuis qu’une grande majorité d’élus et la quasi totalité des journalistes affirment (à tort) que le FLNC a déposé les armes, les amis de Jean-Guy Talamoni n’apparaissent plus comme un repoussoir : c’était évidemment le but de l’annonce faite par l’organisation toujours clandestine et armée, en juillet 2014, avec le succès que l’on constate.
Mais pour l’essentiel, la victoire des nationalistes doit presque tout aux erreurs et faiblesses de leurs concurrents de gauche et de droite. Ce ne sont pas les nationalises qui ont progressé, c’est la gauche qui s’est effondrée (elle perd près plus de huit points) tandis que la droite stagnait.
D’un point de vue strictement électoral, la poussée du Front national, présent cette fois au second tour, s’est faite naturellement (à ce type d’élection) au détriment de la gauche et de la droite même si les glissements sont plus compliqués. En effet, l’amplification au second tour du résultat des nationalistes vient en partie du transfert d’une partie importante des voix qui s’étaient portées sur les listes De Gentili et Orsucci, on le constate dans les communes dont le maire était engagé en faveur des deux listes. Les attaques portées contre la « gouvernance » du président de l’exécutif ajoutées aux thèses autonomistes défendues depuis longtemps par les deux têtes de listes ont naturellement servi Gilles Simeoni.
La droite, par un mouvement inverse de celui des nationalistes, gagne en Corse-du-sud où la division du Conseil général a été résorbée, ce qu’elle perd en Haute Corse au profit de Paul Giacobbi pour diverses raisons d’aussi mauvaise facture les unes que les autres : rancoeurs ou clientélisme.
A quoi il faut ajouter la stratégie conduite par Paul Giacobbi pendant sa mandature puis sa campagne.
Rappelons-nous ce que disaient et écrivaient la plupart des journalistes : ils nous vantaient l’intelligence du génie de Venaco, qui manœuvrait à la perfection son assemblée et n’allait faire qu’une (petite) bouchée de tous ses concurrents.
Faire remarquer que cette stratégie pouvait être électoralement suicidaire, en plus d’être politiquement aventureuse, vous propulsait dans les poubelles de l’histoire. Et pourtant, comme on l’a écrit plusieurs fois ici, et encore à la veille du 1er tour : « reprendre à son compte les idées défendues depuis plusieurs décennies par les nationalistes ne peut avoir qu’un seul résultat immédiat : valider et légitimer ces idées ; et un résultat différé : renforcer le poids électoral des nationalistes. Il est, en effet, logique de donner crédit à ceux qui ont compris les premiers, et soutenu longtemps seuls, des idées reprises par d’autres, y compris ceux qui les avaient critiquées initialement. Certes, on peut toujours parier sur l’incohérence des électeurs ou spéculer sur l’influence des élus pour tirer bénéfice d’un ralliement tardif à des thèses autrefois honnies. Mais c’est un pari risqué. »
Sans parler du traitement infligé par le lider maximo à tous ceux qui avaient eu l’impudence de ne pas le suivre aveuglément aux territoriales de 2010, de sa gestion tortueuse des collectivités qu’il contrôlait, de son autocratie personnelle ou déléguée à l’incroyable M. Viola.
On ne sait si Paul Giacobbi est un homme aussi intelligent que ses flagorneurs (fort peu compétents en la matière) l’ont prétendu, mais on peut difficilement appliquer le qualificatif à la manière dont il a mené sa barque.
Sa première erreur de président de l’exécutif aura sans doute été de commettre un contresens sur les raisons du succès nationaliste de 2010.
Il était aisé, à qui voulait s’en donner la peine, de voir qu’à cette échéance les nationalistes dits « modérés » avaient bénéficié, déjà, des errements de la droite (au premier tour) et de la gauche (au second tour).
Rappelons-nous le « ôte-toi de là que je m’y mette » de Camille de Rocca-Serra à Ange Santini dont l’action à la tête de l’exécutif était ainsi désavouée et la mise à l’écart de nombreux élus territoriaux qui n’avaient pas démérité, au regard des exigences courantes, et, en conséquence, les résultats surprenants obtenus dans certaines communes de droite par la liste Simeoni.
Rappelons-nous les critiques (justifiées) adressées par Dominique Bucchini sur l’entourage de Paul Giacobbi avant le premier tour, suivies de son ralliement à celui-ci, et la stagnation du total de la gauche au second tour, accompagnant la deuxième poussée nationaliste « modérée ».
A quoi les « modérés » ont ajouté une campagne dépourvue de toute référence au nationalisme pour élargir leur influence.
Ce qui permettait d’attribuer le succès électoral nationaliste de 2010 beaucoup plus à la bouillasse politicienne qu’au basculement idéologique d’une partie de la population en faveur des nationalistes.
Or Paul Giacobi, comme d’autres, a pris pour une progression des idées nationalistes ce qui relevait d’une conjoncture favorable, doublée d’une tactique politicienne. Ce qui l’a amené à faire voter par ses godillots les fameuses délibérations présentées par les indépendantistes qui n’en attendaient pas tant, à accorder un satisfecit au FLNC pour de simples déclarations d’intention, en un mot à banaliser le nationalisme en croyant le neutraliser.
Mais, au-delà des causes immédiates du succès nationaliste rendu possible par l’implosion de la gauche (dont le suicide bastiais fut la quintessence) et de la droite (dont il y aurait trop d’exemples à citer), c’est l’accumulation, depuis trente ans des erreurs commises tant dans l’île qu’à Paris qui explique la victoire des nationalistes.
Car enfin il faut rappeler que ce dimanche « historique », les deux adversaires principaux du nationalisme étaient deux hommes qui, au cours du dernier quart de siècle, ont tout fait pour favoriser la prétendue « insertion » des nationalistes dans la vie politique insulaire.
José Rossi – il s’en est encore vanté à l’occasion de cette campagne – a été le rapporteur de la loi Joxe, puis un acteur zélé du « processus de Matignon », avant de confier à Jean-Guy Talamoni sa première présidence à l’Assemblée de Corse, celle de la Commission des affaires européennes.
Paul Giacobbi, après avoir été discuter de l’autonomie dans les îles Aland en compagnie des nationalistes, a proposé dans son projet de motion le 10 mars 1999 (toujours dans le cadre du «processus de Matignon ») que le pouvoir législatif soit accordé à la CTC, avant de faire adopter les deux fameuses délibérations indépendantistes sur la « coofficialité » et le « statut de résident ».
Et on ne parlera pas de tous ces élus, de droite comme de gauche, qui n’ont cessé d’encenser les nationalistes depuis plusieurs années, certains acceptant même d’aller discuter sous un chapiteau cortenais qui avait un jour retentit des applaudissements saluant la revendication par le FLNC de l’exécution d’un de ses militants pour déviationnisme.
Quand des dizaines de Conseils municipaux – donc des centaines d ‘élus – votent une demande d’amnistie au bénéfice des auteurs d’actes violents au prétexte que le FLNC aurait déposé les armes, ce qu’il n’a jamais prétendu avoir fait, quel signal croit-on (et croyaient-ils) donner à la population ?
Si on pouvait déclarer, en 1981, comme Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur, en instituant le (premier) statut particulier : « quand ceux qui revendiquent l’autonomie ou l’indépendance constateront que dans le cadre de la République française ils ont obtenu la possibilité de s’exprimer, de se faire entendre, de faire enseigner la langue corse, de respecter les traditions corses, alors (…) la concorde reviendra et l’unité nationale sera consolidée », la réitération de la même stratégie en 1988 (statut Joxe) puis en 1999 (statut Jospin) pouvait difficilement être plaidée avec la même bonne foi.
Alors qu’il aurait fallu sanctionner tous les actes de violence et poursuivre toutes les démonstrations de soutien à ceux-ci – du discours politique tenu par les organisations publiques aux exhibitions d’images et d’insignes à la gloire de la pseudo clandestinité – on n’a cessé d’amnistier, d’effacer les fautes, de fermer les yeux et d’accepter toutes les complaisances administratives qui ont donné aux thèses nationalistes, au sein de l’Education nationale en particulier, un droit de cité qui, sans être toujours aussi spectaculaire qu’à l’Université (entièrement sous la coupe des nationalistes et de leurs lâches affidés), a peu à peu imposé une normalité en rupture avec les principes républicains.
Aujourd’hui, une prétendue Festa di a Nazione, inventée de toutes pièces par les nationalistes il y a une trentaine d’années, s’est peu à peu imposée dans nombre d’établissements scolaires où, à côté de diverses manifestations folkloriques, on entonne un chant religieux érigé, là encore par les nationalistes, en hymne national, sans que les autorités réagissent.
Si la responsabilité, dans la montée du nationalisme, des gouvernements successifs – à quelques exceptions aussi rares qu’éphémères – est écrasante, elle s’est accompagnée de la démission symétrique de la « classe politique » au sein de laquelle on a vu les barrages céder les uns après les autres, les résistances faiblir, au rythme imprimé par les reculades gouvernementales qu’elle inspirait et dont elle s’inspirait.
Rappelons-nous ces votes en faveur de la « reconnaissance du peuple corse » ou de l’enseignement obligatoire de la langue corse, dont on ne pouvait ignorer l’inconstitutionnalité. Rappelons-nous cette séance extravagante de l’assemblée territoriale qui vit, le 10 mars 2000, les élus voter deux motions dont l’une (majoritaire) rejetait et l’autre (minoritaire) réclamait le pouvoir législatif, sans une voix contre ! Ce qui a permis au gouvernement, qui n’attendait que cette ouverture, de donner satisfaction aux minoritaires grâce à ce qu’il croyait être une astuce juridique qui n’a pas abusé le Conseil constitutionnel.
Et on serait surpris du résultat du 13 décembre !
France-Corse
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