« Je suis oiseau : voyez mes ailes »
« Je suis souris : vivent les rats »
(Jean de la Fontaine : La chauve-souris et les deux belettes)
Une étude a montré que, dans un affrontement au pistolet comme on en voit dans les westerns, celui qui dégaine le premier abat presque toujours son adversaire. Ce constat sera-t-il vérifié en décembre prochain et Paul Giacobbi, qui a été le premier à présenter sa liste, sera-t-il également le vainqueur final ? Pour l’heure, en tout cas, il fait figure de grand favori.
Il est vrai que, d’un point de vue strictement électoral, la liste qu’il a présentée est plutôt impressionnante.
Avec 40% des places occupées par des maires, dont beaucoup président des communes relativement importantes (à l’échelle de la Corse), mais aussi des adjoints, des conseillers départementaux ou municipaux, la liste présente un avantage indépendant de tout positionnement politique puisque le rôle de ces élus – de droite comme de gauche – est de rabattre vers la liste sur laquelle ils figurent, le maximum d’électeurs de la commune sur une base essentiellement municipale.
Seuls trois hommes et quatorze femmes n’ont aucun mandat, mais ont, parfois, des liens familiaux avec des élus influents.
Et la répartition géographique de tous ces candidats couvre la quasi totalité de l’île.
Par ailleurs, on remarque que certaines candidatures ne peuvent s’expliquer autrement que par la volonté d’affaiblir des listes concurrentes à des titres divers.
Ainsi François Tatti est avant tout celui qui apparaît aujourd’hui comme l’ennemi principal de Gilles Simeoni à Bastia.
Initialement il devait, comme les autres, faire ses preuves au 1er tour avant de pouvoir être éventuellement absorbé.
C’est sans doute parce qu’il avait du mal à former une liste lui donnant un minimum de chances d’être présent au second tour qu’il a été coopté par Paul Giacobbi.
Il est vrai que c’est le soutien apporté par Tatti, dans le canton du Cap, à François Orlandi, candidat giacobbiste, contre Jean-Jacques Padovani, candidat adoubé par Gilles Simeoni, et sa présence à la fête de la victoire au Conseil départemental le soir des élections, qui avaient avait provoqué l’ire de Gilles Simeoni et de ses laquais de droite et de gauche.
La bonne place accordée à Anne-Marie Luciani ne peut s’expliquer que par la volonté d’enlever des voix, à Ajaccio, au coéquipier de Jean Zuccarelli, François Casasoprana, avec lequel elle a mené campagne aux dernières municipales, l’objectif étant sans doute d’essayer d’éliminer une liste dont le positionnement républicain peut être gênant, et de récupérer des électeurs qui se résigneront à voir en Giacobbi le meilleur rempart électoral à la prise du pouvoir par les nationalistes.
L’appel à Marie-Noëlle Culioli, présidente des Jeunes agriculteurs de Corse-du-sud et, surtout, conseillère municipale de Bonifacio, présentée comme ayant des sympathies pour les nationalistes, peut également s’expliquer par un calcul : affaiblir Jean-Charles Orsucci dans sa propre ville avec l’espoir, là encore, de récupérer un électorat sans doute majoritairement à gauche ou au moins de réduire ses prétentions en cas de fusion.
Dans le compte rendu de la conférence de presse de présentation de la liste (qui a la faveur de la deuxième page), Corse-Matin cite ce que Paul Giacobbi considère comme les succès de sa mandature : les « grands travaux », le Padduc, la SNCM [?], le rallye [retour en Corse de la manche française du championnat du monde], l’office foncier, les crédits européens, les emprunts toxiques [leur renégociation sans doute].
Même si cette énumération se termine par des points de suspension, on peut douter que ceux-ci remplacent le « statut de résident » ou la « coofficialité » que le journal n’aurait évidemment pas manqué de mettre en évidence s’ils avaient été cités (sauf énorme erreur).
Cette manière de présenter son bilan laisse supposer que Paul Giacobbi ne mettra pas l’accent en priorité sur les fameuses délibérations qui ne peuvent que renforcer ceux qui les ont inspirées : les nationalistes.
Après tout, le ralliement du Vénacais devait probablement tout à la tactique et rien à la conviction. Sachant que ces deux dispositions aventuristes ne peuvent pas être reprises par le gouvernement sans un bouleversement philosophico-politique de la Constitution, Paul Giacobbi se montrait à bon compte « ouvert » aux nationalistes dont il embarrassait certains (les autonomistes) et neutralisait les autres (les indépendantistes), ces derniers lui garantissant une majorité pour le vote de ses budgets, nécessaire à la pérennité de son mandat.
Soit dit en passant cela ne signifie en rien que Jean-Guy Talamoni a été la dupe de Giacobbi : au contraire, il a utilisé celui-ci pour faire avancer ce qui l’intéresse au premier chef : sa cause. Et il a réussi, car nul ne peut soutenir que les majorités larges qui ont approuvé deux délibérations nationalistes n’ont pas donné une crédibilité plus forte aux idées qu’elles véhiculaient (la fermeture et le repli de l’île).
A la différence de Gilles Simeoni et de Jean-Christophe Angelini, les dirigeants de Corsica libera ne se préoccupent pas d’arriver au pouvoir : d’abord parce qu’ils n’y formeraient qu’une force d’appoint, ensuite parce qu’ils considèrent qu’une assemblée territoriale nationaliste (surtout si c’est par le jeu de la bonification et non d’une majorité absolue des suffrages) aurait plus de difficultés à rassembler le « peuple corse » qu’une majorité giacobbiste. Celle-ci est donc sans doute considérée comme une sorte de cheval de Troie du nationalisme.
Pour un peu anecdotique qu’il puisse – à tort – paraître, le choix de l’intitulé de la liste par le non corsophone Paul Giacobbi est significatif de cette avancée des idées nationalistes : Prima a Corsica. Le choix de la langue corse, sans traduction, montre que le bilinguisme n’est qu’une façade. D’autres suivent comme la liste de Bucchini. Et d’autres suivront sûrement …
Bien sûr, Paul Giacobbi ne prend pas plus la langue corse aux sérieux que le « statut de résident », la « coofficialité » et, au final, la Corse elle-même, dont il s’est résigné, pour l’instant, à faire son champ d’action faute d’en avoir un qui soit à la mesure de ses immenses compétences.
C’est pourquoi, en fonction de ses intérêts, il n’hésite pas à reprendre les idées des nationalistes comme il n’hésitera pas se présenter comme le seul obstacle à leur arrivée au pouvoir.
Sauf que c’est échanger un intérêt à court terme : celui d’une carrière, contre un intérêt à long terme : celui de la Corse.
France-Corse
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