Plusieurs motions ont été votées et plusieurs déclarations ont été faites en faveur d’une amnistie des condamnations pénales pour des crimes ou délits commis au nom de motivations politiques en Corse. Une motion doit être soumise à l’Assemblée de Corse bientôt.
Ceux qui demandent et ceux qui soutiennent le vote par le parlement d’une telle amnistie prétendent que celle-ci est justifiée par la situation nouvelle créée dans l’île par le dépôt des armes et l’arrêt de la violence annoncés par le FLNC le 25 juin 2014.
La teneur précise du communiqué du FLNC
Or, déposer les armes c’est les remettre publiquement, comme cela s’est déjà fait en d’autres lieux et en d’autres temps. Sauf erreur, personne n’a vu la remise aux autorités de la moindre arme détenue par des activistes clandestins. Et pour cause, le FLNC n’a jamais dit qu’il avait ou allait déposer ses armes, contrairement à ce qui a été affirmé, ici comme sur le continent, par à peu près tous les médias. Il suffit de relire son communiqué pour le constater.
Après avoir subi de longs développements pseudo-historiques et des incursions délirantes sur les perspectives ouvertes à une Corse indépendante – qui imposera la réorientation de la politique européenne ! -, on peut lire : « notre organisation a décidé unilatéralement, d’enclencher un processus de démilitarisation et une sortie progressive de la clandestinité ».
Les termes sont précis : « enclencher » signifie « mettre en marche » tandis qu’un « processus » est une suite d’actions ou un changement par phases ou étapes successives. A aucun moment le dépôt des armes n’est mentionné et les observateurs qui ont utilisé l’expression sont allés au-delà de ce qu’a déclaré le FLNC. Par ailleurs, la sortie de la clandestinité se fera « progressivement » c’est-à-dire peu à peu. On se hâtera donc très lentement. Bref il n’est à aucun moment question du dépôt des armes, action ponctuelle qui ne nécessite ni processus ni progressivité.
L’organisation clandestine reste « vigilante »…
Au demeurant, le FLNC justifie le maintien de la clandestinité et de l’armement : « nous resterons vigilants face au système déliquescent qui gangrène aujourd’hui la société corse. (…) Nous voulons sincèrement croire que cette vigilance est temporaire ».
Cette « vigilance » est justifiée par une allusion aux pratiques mafieuses qui menaceraient ses militants. Mais, outre qu’on ne voit pas pourquoi certains nationalistes seraient visés par des truands, sauf à penser qu’ils fricotent avec ceux-ci (l’assassinat d’un membre de leur direction, Philippe Paoli, a été vengé mais toujours pas expliqué), la suite montre qu’on pense à autre chose puisque cette vigilance « cessera d’être, lorsque la Corse sera apaisée grâce à une solution politique négociée avec l’Etat français ».
Comme il est improbable que les « clandestins » soient assez naïfs pour croire qu’une « solution politique » fera disparaître brusquement le grand banditisme (tout laisse au contraire à penser que ce sera l’inverse …), on est conduit logiquement à estimer que cette « vigilance » armée est destinée à faire pression sur le gouvernement pour qu’il accède aux revendications portées par les nationalistes et reprises par la majorité de l’assemblée régionale.
Qu’en est-il de la renonciation aux actions violentes ?
Il est, de surcroît, improbable que le FLNC ait renoncé complètement à toute action violente puisqu’il peut, pour le prouver, s’auto-dissoudre et remettre ses armes, ce qu’il n’a pas fait. On n’a, d’ailleurs, pas eu le moindre signe d’un début de mise en œuvre du fameux « processus » depuis qu’il a été « enclenché »…
Une phrase explique ce mystère : « nous récusons par avance toute paternité d’actions militaires sur le territoire corse et français ». Outre que déni de paternité ne signifie pas forcément absence de paternité, on peut légitimement penser que la précaution n’est pas seulement dictée par l’hypothèse selon laquelle des d’attentats risquent d’être encore perpétrés sans l’aval du FLNC ; elle consiste à prendre les devants en récusant toute responsabilité dans des actions en phase avec les orientations nationalistes : on pense aux plasticages de résidences secondaires qui ont continué nonobstant le communiqué de l’organisation clandestine.
Comme autrefois pour « l’impôt révolutionnaire », longtemps nié, on apprendra sans doute un jour que la direction du FLNC a continué de cautionner les attentats contre la « spéculation ».
Peut-on croire à la sincérité des activistes du FLNC ?
On croirait à la sincérité des activistes du FLNC si, à l’occasion d’une conférence de presse, ils enlevaient leurs cagoules, annonçaient la dissolution de leur organisation, puis jetaient leurs armes que la gendarmerie viendrait récupérer. Tant qu’ils ne le font pas, on peut les soupçonner, comme on dit, d’ « en garder sous le pied ». Ce qui est d’ailleurs logique.
Car enfin, lorsque le FLNC se félicite des votes survenus à l’assemblée régionale, dont celui sur le « statut de résident », présenté comme le « premier acte de reconnaissance de la nationalité corse », il semble oublier que tous ces votes ne sont que des vœux et que rien de concret n’a encore été obtenu (la collectivité unique n’ayant rien de particulièrement nationaliste).
Or, on a du mal à croire que les dirigeants nationalistes qui ont rédigé le communiqué sont naïfs ou ignorants. On pense, au contraire qu’ils savent parfaitement que rien n’est encore gagné, que l’on peut difficilement compter sur des manifestations pour contraindre le gouvernement à prendre des mesures qui remettent en cause les principes fondamentaux de la République, et qu’il vaut mieux garder la possibilité de relancer les actions violentes contre l’Etat (et pas seulement contre des villas).
Par conséquent, l’amnistie ne saurait se justifier par un changement radical du paysage politique corse : pour l’heure le FLNC dit qu’il va démilitariser et sortir de la clandestinité ; la prudence voudrait qu’on attende qu’il donne suite à ces belles promesses.
Les leçons à tirer des précédentes amnisties
D’autant qu’on a connu déjà dans l’histoire récente de la Corse deux amnisties qui n’ont eu d’autres résultats que ceux de remettre en liberté, et donc en état de reprendre leur activité, des militants déterminés, de décourager les forces de police et d’apporter une caution au combat nationaliste.
En effet, lorsque l’on amnistie, et on le voit encore aujourd’hui dans l’argumentaire nationaliste, on reconnaît que ceux qui ont été condamnés avaient de bonnes raisons de recourir à des actes illégaux, et que l’on n’a pas su répondre à des revendications légitimes. On leur donne donc raison et on les renforce aux yeux de l’opinion.
C’est très exactement ce que sous-tendait la première amnistie en 1981 : les socialistes n’avaient cessé de dénoncer l’aveuglement des gouvernements de droite face aux justes revendications « des Corses » ; ils se faisaient fort de démontrer qu’une autre politique mettrait fin à la violence et tiraient donc un trait sur le passé par l’amnistie. On connaît la suite, le gouvernement n’avait pas encore eu le temps de mettre en œuvre le statut particulier que le festival des nuits bleues reprenait force et vigueur.
Echaudé par cette expérience, François Mitterrand a refusé d’engager son gouvernement sur la voie d’une nouvelle amnistie en 1988 ; celle-ci fut cependant votée par l’extension à la Corse de la loi d’amnistie qui suit habituellement toute élection présidentielle, sur proposition d’Emile Zuccarelli et de José Rossi. Là encore on connaît la suite : dix années de violences débouchant sur le « processus de Matignon ».
Rien ne justifie une nouvelle amnistie
Parce qu’il n’a obtenu aucune avancée tangible dans la voie de la réalisation de ses objectifs stratégiques, le FLNC, organisation qui se qualifie de politico-militaire et s’attribue la prééminence sur les organisations publiques de la « lutte de libération nationale », n’a aucune raison de mettre définitivement fin à quarante ans de combat armé.
Son annonce, aussi spectaculaire dans la forme que limitée dans le fond, n’a pas d’autres buts que celui :
1 – de faire tomber l’obstacle à l’union de tous les nationalistes et de mettre fin à la menace de marginalisation électorale de son organisation publique (Corsica libera).
2 – d’obtenir l’amnistie et la libération de tous les condamnés pour actes de violence en relation avec le combat nationaliste ainsi que de mettre fin aux recherches des auteurs de violences, dont certaines sont postérieures au communiqué, et d’assurer l’impunité à ceux qui commettront de nouvelles exactions.
La question est de savoir combien d’élus sont décidés à jouer les « idiots utiles » dans cette mauvaise farce.
France-Corse
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