A lire et à entendre presque tous les journalistes on pourrait croire qu’un raz-de-marée nationaliste a submergé le paysage électoral de la Corse le 13 décembre. Or il n’en est rien. Et les chiffres sont impitoyables ; c’est peut-être pour çà qu’on les a prudemment omis : avec 35,34 % la liste Simeoni-Talamoni fait légèrement moins bien, en 2015,que les listes Simeoni-Talamoni en 2010 (35,73 %). C’est à l’effondrement de la liste de Paul Giacobbi, qui perd 8 points, et à la stagnation de la liste de la droite, au profit d’un nouveau venu – le Front national – qui frôle les 10 %, que les nationalistes doivent leur victoire. Et c’est à la prime de 9 élus qu’ils doivent l’aisance de leur majorité relative, prime dont ils critiquaient le niveau et qu’ils veulent réduire à 3 dans la prochaine assemblée de la collectivité unique, ce qui pourrait limiter l’ampleur de leur majorité en 2018, s’ils sortent encore en tête ; remarquable lucidité !
Et on ne s’est pas contenté, dans l’embellissement des résultats des nationalistes, de passer (la plupart du temps) sous silence la réalité de ces résultats. On a poussé ce qui ne peut être, à ce niveau, autre chose que de la manipulation, tant on a du mal à croire que des journalistes aient omis de comparer les résultats de cette élection avec ceux de l’élection précédente, jusqu’à faire dire aux résultats le contraire de ce qu’ils disent . Là encore les chiffres sont impitoyables.
Ainsi, on a laissé entendre que les nationalistes ont connu un succès remarquable dans deux villes « emblématiques » – Ajaccio et à Porto-Vecchio – en s’appuyant sur les écarts en chiffres : à peine 800 voix à Ajaccio et 200 voix à Porto-Vecchio ; sous-entendu : une broutille. Or les nationalistes se sont effondrés dans ces deux villes : ils tombent dans la première de 39 à 32 % et dans la seconde de 48 à 39 % , alors que la droite monte respectivement de 26 à 35 % et de 38 à 43 % ; l’écart qui était à Ajaccio de 2500 voix en faveur des listes nationalistes est passé à 800 voix en faveur de la droite soit un gain de 3300 voix pour celle-ci ; l’écart qui était à Porto-Vecchio de 500 voix en faveur des nationalistes est passé à 200 voix en faveur de la droite soit un gain de 700 voix pour celle-ci. Bref , les nationalistes qui étaient devant la droite en 2010 dans ces deux villes sont devancés par elle en 2015
Et, on retrouve la même situation sur l’ensemble de la Corse-du-sud avec des nationalistes chutant de 39 à 33% et passant derrière une droite montant de 29 à 34 %.
C’est la Haute Corse qui rééquilibre le résultat total des nationalistes qui y passent de 32 à près de 37 %. Mais c’est à partir de ressorts ultra classiques (j’allais écrire claniques) : gain important à Bastia avec un effet maire (!) que l’on retrouve dans un certain nombre de communes depuis le Cap jusqu’au sud du Fiumorbo et à l’ouest comme à l’est, les nationalistes ayant bénéficié de coups de pouces providentiels d’édiles municipaux meurtris par la vindicte giacobbiste (de ce Giacobbi que nombre de journalistes nous présentaient, il y a peu, comme un génie de la stratégie politique …)
Par conséquent si on veut bien se pencher sur les résultats – et on ne risque pas de lumbago tant il n’est guère besoin de beaucoup se baisser – on constate que la victoire électorale des nationalistes ne correspond absolument pas à une poussée de nature politique et ne justifie en rien les propos dithyrambiques, voire carrément délirants, qu’on entend et lit depuis trois jours sans savoir si, chez certains de ceux qui les disent ou les écrivent, cela correspond à des opinions longtemps cachées ou simplement à un ralliement opportuniste.
Cela étant dit pour éclairer la manière dont les médias ont très majoritairement présenté le succès nationaliste, on ne saurait négliger des mouvements de fond qui, s’ils ne se sont pas encore traduits par des résultats électoraux, devraient, dans l’avenir, trouver une concrétisation électorale dès lors qu’on a :
- d’un côté des gens qui croient à ce qu’ils disent (même si on peut soi-même ne pas y croire, à juste titre) et se battent pour faire partager leurs idées,
- de l’autre côté, dans la majorité des cas, des politiciens qui (l’âge ici ne faisant rien à l’affaire) sont avant tout préoccupés par la conservation ou la conquête d’un mandat ou d’une fonction, sans aucune pensée claire, et surtout sensibles à l’air du temps et aux modes identitaires, la différence se faisant entre eux sur une plus ou moins grande intégrité et indépendance à l’égard de milieux interlopes.
Ces élections ont montré, jusqu’à la caricature, cette différence de conception et de pratique de la politique : tandis qu’à droite comme à gauche certains réglaient des comptes personnels sans se laisser arrêter par les conséquences politiques de ces règlements de compte, on voyait un candidat nationaliste, Paul-Félix Benedetti, ignoré et même un peu méprisé par ses frères de lutte, appeler de fait à voter pour la liste qui défendait le même idéal que le sien. Il est vrai qu’il a, lui, un idéal, même si on peut avoir beaucoup de raisons de craindre les conséquences de la réalisation éventuelle de celui-ci, en rappelant avec Pascal que « qui veut faire l’ange fait la bête ».
Les élections du président de l’assemblée et du Conseil exécutif n’ont fait que conforter cette constatation inquiétante.
Aucun élu n’a manifesté sa réprobation, d’une manière ou d’une autre, fût-ce en déployant ostensiblement un journal, lorsque Jean-Guy Talamoni a prononcé son discours d’investiture en langue corse, alors qu’il a mené toute sa campagne en français, et on a même eu droit à une manifestation de compréhension de Laurent Marcangeli dans le Figaro. Aucun n’a quitté ce qu’on appelle (à tort) l’hémicycle, au moment de l’extravagante prestation de serment des nouveaux élus, tout le monde regardant l’invraisemblable spectacle avec les yeux du lapin hypnotisé par le serpent. Pire, après quelques secondes de flottement tous les élus (à l’exception paraît-il de l’élue du Front de gauche Josette Risterucci) se sont levés pour écouter, quand ils ne l’ont pas entonné, un chant qui n’avait sa place dans ce lieu ni en tant que cantique religieux ni en tant que soi-disant hymne national.
Pire encore, aucun élu n’a (sauf erreur) relativisé la victoire nationaliste, chacun se faisant un devoir, au nom du fair play, de souligner que le peuple a toujours raison, ce qui exonérerait donc le peuple allemand de son vote en faveur d’Hitler en 1933. Et on n’a guère entendu dans l’île, à l’exception de François Tatti, de critique à l’égard du discours de JG Talamoni, non seulement en raison de la langue dans laquelle il l’a prononcé (qui le rendait incompréhensible à une très grosse minorité ou à une petite majorité du peuple de cette île) mais également à cause de son contenu qui assimilait la nouvelle assemblée d’une collectivité territoriale à une assemblée nationale. Avec, dans le même ordre d’idée, l’assimilation du Conseil exécutif à un gouvernement chargé non pas d’administrer mais de gouverner.
Deux interrogations se posent aujourd’hui : quelle sera l’attitude du gouvernement ? Quelle sera la réaction des élus pour lesquels la Corse est une portion du territoire français et non une nation ?
Pour l’heure, le gouvernement semble vouloir poursuivre avec la nouvelle majorité le processus qu’il a mis en œuvre avec la précédente, à savoir l’élaboration des ordonnances destinées à donner un contenu à la collectivité unique, en considérant que l’élection, à la majorité relative, d’un exécutif nationaliste n’a rien changé à la situation. Il lui faudra pourtant élever la voix et poser publiquement les enjeux dans l’hypothèse, confinant à la certitude, où la nouvelle majorité exigerait que les délibérations « historiques » votées par l’assemblée territoriale soient actées, en faisant savoir, sans ambiguïté, que ces délibérations étant insolubles dans la République française telle qu’elle est, il appartient aux élus et éventuellement aux Corses de dire s’ils donnent la priorité à ces délibérations ou au maintien dans la République .
Quant aux élus qui prétendent s’opposer aux visions nationalistes de la Corse, il faudra qu’ils en tirent enfin les conséquences et qu’ils arrêtent de se comporter en fourriers (inconscients?) du nationalisme. En commençant par prendre conscience qu’en Corse la tripartition actuelle – droite, gauche, nationalistes – favorise ces derniers dans la mesure où, ils se servent de l’affrontement entre la droite et la gauche soit pour faire monter les enchères (on soutient, là où on n’est pas en position de force, ceux qui se montrent les plus « ouverts » aux thèses nationalistes) soit pour siphonner à droite comme à gauche.
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