Tout a été dit apparemment sur la crise que la Corse vient de connaitre pour fait de grève des marins CGT de la SNCM… 16 jours sans liaisons maritimes, une opinion publique « remontée », de regrettables désagréments subis par les passagers particulièrement nombreux en ces débuts de période de vacances, des préjudices et des manques à gagner pour les socioprofessionnels -à des degrés divers certes- des manifestations de protestation, certaines compréhensibles, d’autres condamnables parce qu’assorties d’actions violentes (vandalisme des locaux de la Compagnie maritime concernée) ou de tentatives de récupération par les nationalistes (menace d’« occupation » de la préfecture… quand on sait comment ce genre d’initiative dégénère). Ne revenons pas sur les faits… l’heure est au constat et aux enseignements que l’on peut tirer de cette crise, qui a été le révélateur de faces plus ou moins cachées jusque-là d’un dossier plus complexe qu’il ne paraît.
Requiem
La familière « compagnie des bateaux blancs » est bel et bien morte et personne n’est dupe des 3 ou 4 mois de sursis qui lui ont été accordés, le temps de combler un trou financier à la faveur de la pleine saison estivale et de réamorcer provisoirement la pompe à passagers et à fret. Si on peut en tirer quelque bénéfice, cela permettra de limiter le recours qu’on ne manquera pas de faire au fonds de réserve de la prime d’assurance perçue à la suite des avaries subies par le fleuron de la flotte, le Napoléon Bonaparte.. triste symbole anticipateur du naufrage auquel nous assistons. Le délai accordé avant le déclenchement du processus de mise en liquidation judiciaire a été le point d’accord négocié entre le médiateur de l’ Etat et l’intersyndicale en grève pour sauver la face, mais sans plus. Même si on parvient à une solution liée à un éventuel « repreneur », genre Tapie et affaire Adidas, ou à la réduction du « périmètre d’activité » de la compagnie (entendons son cantonnement aux liaisons Marseille-Corse), il s’agira de tout autre chose et il n’est même pas sûr que le sigle de la compagnie survive à l’épreuve. Comme dans le feuilleton judiciaire bien connu… « Omar m’a tuer », il convient de se poser la question : qui est venu à bout de l’honorable compagnie, qui avait jusque-là réussi à tenir la dragée haute à son concurrent « prédateur »… la Corsica Ferries, qui est en passe de tirer les marrons du feu et de nous placer sous le joug de son monopole, dont les inconvénients se révèleront à l’usage, car cette compagnie privée n’a pas vocation à assurer un service public ?
Les « tueurs »
En premier lieu, la SNCM elle-même qui, comme on dit trivialement, « s’est tiré une balle dans le pied » par la mauvaise gestion de son affaire, dont elle porte la pleine responsabilité mais, ce qu’on oublie trop souvent de dire, c’est que ce sont les marins syndiqués de la compagnie (STC ou/et CGT) qui sont la cause de la gabegie qui s’offre en spectacle plus que les dirigeants qui, comme Marc Dufour, « débarqué » injustement et sans ménagement, ont tenté l’impossible. La crise que l’on vient de connaitre a fait remonter à la surface l’implacable rapport Derrien datant de 2013, qui mettait en cause les pratiques du personnel navigant accroché à une véritable rente de situation : salaires surdimensionnés, primes exorbitantes, temps de travail « rogné », absentéisme record, commerce parallèle, défense abusive des acquis sociaux, corporatisme étroit aux dépens du sens du service public, délégués syndicaux permanents « à terre », hérédité des emplois, absence de prise de conscience du contexte de concurrence implacable… etc. Un tableau qui ne va pas sans rappeler la charge contre les dockers syndiqués qui ont tué le port de Marseille. Mais ne soyons pas cruels en allant au-delà, et corrigeons le tableau noir en relevant qu’en janvier 2014, lorsqu’il fut question du plan de sauvegarde consécutif à la menace de mise en redressement judiciaire de la compagnie, Marc Dufour avait pu obtenir des syndiqués quelques sacrifices (temps de travail réduit et mini plan social portant sur la suppression de 500 emplois, avec promesse à la clé d’un renouvellement de la flotte).
Reconnaissons également à la décharge des marins syndiqués que, sans jeu de mot facile, ils se sont fait « mener en bateau » par le gouvernement et ses représentants (le ministre des transports Cuvillier et en dernier lieu le premier ministre), qui jusqu’aux échéances électorales de mars ont fait semblant d’adhérer au plan de sauvegarde sans y croire, avant de le renier après les élections et de se ranger aux cotés des actionnaires de Transdev (principalement Veolia)… En parodiant le fameux feuilleton judiciaire « Omar m’a tuer », c’est bel et bien l’Etat qui figure en bonne place parmi les suspects, lui qui a donné son aval aux actionnaires de la Transdev soucieux de se débarrasser du fardeau de la SNCM -jugé définitivement comme non rentable- et prêts à se retirer de l’ affaire pour le prix d’un euro symbolique. Les tergiversations du gouvernement -avant que Manuel Valls, fermement mais tardivement, se prononce dans ce sens- sont à mettre au compte du parti pris de faire passer, avant « le langage vrai », le souci de paix sociale voire de paix civique. C’est raté !
Les « charognards »
Derrière les « tueurs », et comme en embuscade, on ne s’étonnera pas que France-Corse qui n’a pas vocation à commenter l’actualité pour elle-même, s’attache surtout à démasquer les « charognards », qui ont contribué à la mise à mort de « la bête » pour la dépecer et la faire renaître sous un jour prometteur, comme dans le conte de la belle au bois dormant. Evoquons en premier lieu le comportement du STC, syndicat des travailleurs corses cornaqué par le « pirate des mers », l’indépendantiste Alain Mosconi, qui n’a pas participé à la grève. Fini le temps où on se contentait de sucer le sang de la moribonde compagnie, en faisant état de prétentions inacceptables (corsisation des emplois et surenchère par rapport aux exigences de la CGT) ; le but ouvertement affiché est dès lors de remplacer la défunte SNCM par une compagnie régionale corse avec statut de société d’économie mixte (SEM). Dès lors il suffisait de donner une chiquenaude à l’attaque frontale dont nous avons fait état, en laissant faire le gros du travail par les collègues suicidaires de la CGT, avant de proposer la solution de rechange.
Les nationalistes dits modérés, MM. Simeoni et Angelini, ressortent des tiroirs leur plan B, qui va dans le même sens d’une compagnie aux emplois réservés aux Corses résidents, « ouverte sur l’Europe et la Méditerranée » et affranchie des contraintes nationales, financement mis à part car c’est l’Etat français qui continuera à « banquer ». La boucle se referme lorsqu’on constate que l’acteur déterminant du feuilleton « Omar m’a tuer », l’ « assassin » numéro 1 de la compagnie, n’a été autre que le président de l’exécutif de la CTC, Paul Giacobbi qui a mené, main dans la main, le même combat que le séparatiste Alain Mosconi. Il n’ a cessé de tirer à boulets rouges contre la SNCM et s’apprête à mettre en avant son propre projet de compagnie régionale en liaison étroite avec les nationalistes, lesquels nous promettent séminaires, « consultes », mobilisation et débats sur le thème des transports maritimes, à inscrire à l’ordre du jour de la CTC pour la rentrée.
Quelle aubaine clientéliste pour notre président : des centaines d’emplois à pourvoir et un confortable coussin électoral à la clé. La bataille de la SNCM est perdue… apprêtons-nous à mener le combat contre un projet présenté par les nationalistes comme un pas décisif dans « la voie de l’affranchissement » et de la prise de distance par rapport à « l‘Etat colonial français ». En soi, économiquement parlant et dans le cadre de la décentralisation, il n’y a rien de choquant à la mise en place d’une compagnie régionale, mais les considérants anti-nationaux et les préoccupations claniques qui accompagnent le projet sont inacceptables. Nous aurons certainement l’occasion de le redire haut et fort en temps voulu…
Francis Pomponi (France-Corse)
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