
La décision de ne pas jouer la Marseillaise, initialement annoncée par les dirigeants du Sporting de Bastia avant le début de la rencontre opposant ce club au GFC Ajaccio, a suscité une vague d’indignation compréhensible. Il n’est pas sûr qu’elle ait réveillé, chez nombre de ceux qui ont exprimé cette indignation, le minimum de lucidité politique qui aurait dû, depuis longtemps, leur éviter les atermoiements, accommodements, calculs, lâchetés, qui ont conduit à la situation que l’on connaît aujourd’hui dans notre île.
Les dirigeants bastiais, en programmant initialement le Dio vi salvi Regina à la place de l’hymne national, n’ont très probablement fait qu’obéir à une sorte de principe de précaution dans la mesure où ils ont craint que la Marseillaise soit sifflée comme elle l’a été dans le passé, mais cette fois dans un contexte complètement différent qui aurait provoqué une sorte de tsunami médiatique et politique au niveau national, conduisant à une véritable mise au ban du club bastiais et peut-être des mesures très préjudiciables à l’avenir de celui-ci : on pouvait, en effet, s’interroger sur la légitimité du maintien au sein du championnat de France d’un club dont les dirigeants cédaient aux injonctions de supporteurs qui considèrent comme illégitime l’hymne de la France dans l’enceinte de Furiani.
Ils sont revenus sur leur décision à la suite de réactions nombreuses et diverses parmi lesquelles celle du maire de Bastia mais aussi celles de l’entraîneur et de certains joueurs ont dû peser assez lourd. Ils ont également mesuré, sans doute, l’effet de toute façon catastrophique de leur décision qui revenait, comme on l’a très largement relevé, à faire du stade de Furiani le seul en Europe où la Marseillaise n’aurait pas été jouée.
C’est d’ailleurs probablement ce dernier point qui explique, en grande partie, la position de Gilles Simeoni puis celle de Corsica Libera : dans la mesure où nombre d’étrangers – y compris les Anglais ! – ont entonné ce chant, par solidarité avec la France, on pouvait, à Bastia, en faire de même dans le même esprit. Sauf que l’on a vu les Anglais à Wembley et les Espagnols à Madrid, comme d’autres ailleurs, sans parler évidemment des stades français, afficher le drapeau tricolore totalement invisible à Furiani.
Le spectacle monté par les dirigeants bastiais, là où la sobriété et la clarté s’imposaient, ne saurait tromper que ceux qui ne cherchent qu’à se laisser tromper : il s’agissait bien de faire diversion ; de faire oublier les atermoiements et les craintes ; de donner des gages aux plus obtus des supporteurs nationalistes. La complaisance de Corse-Matin a atteint, de ce point de vue, des sommets : à lire le quotidien insulaire, on a fait, à Bastia, beaucoup plus et beaucoup mieux qu’ailleurs et sans surprise tant il est évident que « la Corse a une plus haute conscience du respect que les autres ».
Quant au Dio vi salvi Regina, on ne saurait croire qu’il était là pour un autre motif que politique. Il est évident que les dirigeants bastiais ont joué sur son ambiguïté pour faire croire que c’est le chant religieux qu’ils donnaient – ce qui, au demeurant, était discutable au moment où l’on célèbre partout les vertus de la laïcité – alors que c’est comme prétendu « hymne de la Corse » – statut imposé progressivement par les nationalistes ces dernières décennies – qu’ils l’ont fait entonner. A qui en douterait, on rappellera qu’habituellement les joueurs entrent sur le terrain à Furiani sur l’air du So Elli, chant dédié aux plastiqueurs et aux flingueurs du FLNC ; et la comédie dure depuis longtemps sans que personne, en particulier parmi les élus, ne s’en émeuve et vienne remettre en cause le financement public d’un club assujetti depuis des décennies aux nationalistes.
Ce que les palinodies initiales et les démonstrations finales ont mis en exergue, d’une manière si évidente que nul ne pourra désormais l’occulter, c’est que la France n’est plus chez elle sur certaines portions du territoire corse.
L’inconscience, la lâcheté, la complaisance, le calcul électoraliste ont, peu à peu, légitimé le projet des nationalistes. On a repris certaines de leurs idées avec l’espoir de les banaliser ; on a cru judicieux de flatter ou de promouvoir certains de leurs dirigeants avec l’espoir de les intégrer ou de les engluer. C’est évidemment le contraire qui est arrivé. Il n’a pas suffi de faire de Jean-Guy Talamoni le président d’une commission des affaires européennes pour le « notabiliser ». Il n’a pas suffi de faire voter des motions d’initiative indépendantiste pour faire disparaître l’indépendantisme.
Aujourd’hui une partie importante – et peut-être majoritaire – de la jeunesse corse ne s’identifie plus à la France qu’elle voit au mieux comme une vache à lait et au pire comme une intruse.
Faute d’avoir mené un combat sur les idées et contré point par point le discours nationaliste, la plupart des élus ont nourri un nationalisme qui joue habilement de l’opposition, en grande partie factice en Corse, de la droite et de la gauche, pour faire monter les enchères et récupérer les mécontents, lesquels deviennent nationalistes moins par conviction que par opportunisme.
On peut espérer, sans trop y croire, que certains élus finiront par comprendre que le danger séparatiste est une réalité et non un épouvantail ringard. Une réalité bien plus actuelle qu’elle l’était il y a trente ans, lorsque des milliers de gens défilaient contre la violence nationaliste.
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