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Billet de blog 28 septembre 2012

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Soleil d'hiver, plage de la Grande Conque.

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De ma fenêtre je regarde le temps passer. Pas le temps passé qui nous semble mieux qu’aujourd’hui, mais le temps présent qui passe. Dans ce monde si tourmenté où s'étiole l'Amour, chacun est en droit de se poser mille questions sur le futur. Dans le tamis du temps, les grains de sable paraissent de plus en plus fin et s'écoulent de plus en plus vite. Autour de nous nous voyons l'indifférence grandiret s'amenuiser la Fraternité. Alors je ferme les yeux, j'imagine une plage, la plage de la Grande Conque au Cap d'Agde à quelques encâblures de notre Pézenas si cher à Molière...

Soleil d’ hiver, plage de la Grande Conque

 Depuis son arrivée fin octobre dans son appartement de villégiature, Sagamore entretenait sa forme chaque matin par deux heures de course à pied. Toujours le même parcours, comme un rituel, du quartier de la Pinède jusqu’à la jetée Richelieu en passant par les Falaises et s’arrêtant à la Plage de la Grande Conque.  Les derniers touristes s’étaient depuis longtemps rhabillés et avaient déserté les plages. Les voiliers dévoilés s’endormaient sur le port, bercés par la froide  brise de décembre et le cliquètement  des filins d’acier sur les mâts. Assis sur la Plage de cette ancienne Cité grecque, berceau de l’Ephèbe, abrité par la falaise de lave délavée par la mer, érodée par  les vents artistes et les siècles sculpteurs, il regardait à l’aube du solstice d’hiver, cette mer d’huile dans ce calme de jours alcyoniens, quand la mer tranquille est au repos.

Son regard fut  attiré par une mouette posée sur l’eau comme l’alcyon sur son nid. Elle se laissait insensiblement bercer et porter vers le rivage par une planche de bois qui éveilla la curiosité de  Sagamore.

— Ce n’est pas banal, je vais assister au  naufrage d’une mouette. Allez... Allez… plus qu’ un mètre se dit-il dans un encouragement amusé.  

La mouette accosta, se déplia et s’éloigna, faraude, vers les noirs rochers en abandonnant sa frêle et blanche embarcation. Ce manège excita vivement la curiosité de Sagamore qui porta ses yeux sur l’inscription en lettres peintes en bleu sur la planche de bois : « Mer dangereuse. Arcane ». Amateur de bois flotté il ramassa l’objet sans se poser de questions :

— Très intéressant, je lui trouverai bien une  place sur le mur de  la loggia.

Le lendemain, même parcours, même heure, même endroit. La mouette, sur un nouvel esquif, fit sa régate matinale, aborda et rejoignit toujours dédaigneuse les roches brunes. Il s’approcha intrigué encore une fois par la planche de bois où était inscrit «  Tendresse. Arcane ».

— Curieux, pensa-t-il,  mais le mot « arcane » reste vraiment un mystère. Il est peut-être le nom d’un bateau ou…

Il  appréhenda le lendemain sa descente à la Grande Conque et regarda du haut de la falaise. Il aperçut voguant  à la dérive une nouvelle pièce de bois flottant sur l’eau qui s’échoua inévitablement sur le sable.

Il regarda autour de lui, inquiet, avant de rejoindre la Plage.  Ce jour-là, point de mouette,  seulement ce morceau de bois blanc aux lettres bleues :  « Probité. Arcane ».

— Cela ressemble à un puzzle et « Arcane » à … une signature. Qui me l’envoie ? Noël approche, est-ce un cadeau ?… je n’en sais rien après tout.  

Ainsi de jour en jour, la course à pied  était devenue une simple promenade, un jeu de piste, une sibylline chasse au trésor : chaque   planche de bois à l’inscription mystérieuse, dérivant sur la mer d’huile, était accompagnée le plus souvent  d’une mouette hautaine. 

De retour chez lui, Sagamore alignait sur le sol ses découvertes cherchant une interprétation logique.

« Grand esprit. Arcane ». « Sensibilité. Arcane ». « Estime. Arcane ».

Chaque nuit devenait de plus en plus blanche et les lettres bleues commençaient à se superposer aux souvenirs  traduisant un début de solution encore vaporeuse.

Le 24 décembre au matin, la mouette marin dans un dernier flux attendu  toucha le rivage: « Empressement. Arcane », nouvelle énigme qui rejoignit le sol de la loggia.

— Il ne manque plus qu’une seule pièce à ce  puzzle pensa-t-il.

Le soir de Noël, sa constante solitude invita ses souvenirs en se remémorant les deux vers d’un poème: « … aux hivers pénibles  de ma vie,  j’attends les jours alcyoniens… » .

— Ce serait merveilleux se dit-il… et il s’endormit cette nuit-là dans un sommeil d’enfant.

Il délaissa le lendemain, ses vêtements de sport, mit sa chemise blanche, une cravate et son costume bleu. Il descendit vers la Plage romantique et déserte  en ce matin de Noël. Il aperçut à quelques dizaines de mètres, la mouette matinale portée sur l’eau par une nouvelle  planche de bois. Il s’assit en attendant l’accostage. La mouette se déplia, altière, et s’envola dans un cri monocorde et strident au dessus des rochers noirs, tel un chant d’adieu. Il se saisit du bout de bois aux lettres peintes en bleu :  « Oubli ? Ar…. »

Il entendit derrière lui des pas qui descendaient l’escalier conduisant à la Plage. Il ne se retourna pas.

— M’ as-tu oublié, Sagamore ? lui dit  une  fluette voix  féminine.

— T’oublier ? Comment aurais-je pu t’oublier Ariane répondit Sagamore le regard pointé vers le bleu horizon argenté.

 Il se retourna, ils étaient face à face, se considérant. Il lui prit les deux mains.

— Même en saison d’hiver, à t’entendre, à te regarder, je retrouve  nos printemps comme au temps de nos  douze ans  où j’avais gravé au canif nos prénoms sur ton bureau de classe, entre  « Nouvelle -Amitié » et  « Tendre sur Estime » sur la Carte du Tendre. Ce qui  me valut une mise à pied de trois jours par ta mère, mon professeur de Grec et de Français. Souviens-toi, l’encrier bleu était « Le Lac d’Indifférence ». Ponctuant sa punition, elle m’empêcha ensuite d’interpréter au théâtre du lycée, Céyx qui épousa Alcyone, dans un bonheur parfait et qui furent métamorphosés par Héra et Zeus, elle en alcyon et lui en mouette. Alcyone, fille d’Eole, le rôle que  tu jouas si bien. Elle a su me faire aimer les mots et cette légende que je n’ai jamais oublié. Comme je ne t’ai jamais oublié, toi, mystérieuse Ariane, qui fut mon  premier amour. Et puis la vie...

— ...N’efface jamais un premier amour, Sagamore. Il ne faut jamais piétiner les souvenirs. Je t’ai vu, depuis octobre, passer chaque jour sous ma fenêtre et avec  certitude j’ai tout de suite reconnu mon Céyx. Je ne savais comment t’aborder, te parler, alors   j’ai eu l’ idée des planches de bois et de la Carte du Tendre, comme un doux parfum d’enfance. Mais pour la mouette... je n’y suis pour rien, c’est  un  clin d’œil du Destin,  ajouta en souriant Ariane.

 Si vous croisez un jour de soleil d’hiver, quelque part vers les Falaises ou la Grande Conque, un couple d’amoureux aux doux cheveux de neige, marchant main dans la main, suivez leurs pas, mais de loin, en toute discrétion. Ils vous conduiront tout droit au plus beau des Pays, sur les rives du Tendre.

François CANAGUERAL

Dépôt  janvier 2006

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