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Billet de blog 29 mai 2017

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Cas de biopiraterie Quassia Amara: la défense laborieuse de l’IRD

La Fondation France Libertés agit pour la protection et la valorisation des savoirs traditionnels et lutte depuis près de 10 ans contre la biopiraterie. Un an après avoir accusé l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) de biopiraterie en déposant un dossier d’opposition à l’une de leur demande de brevet, l’Institut répond à nos arguments.

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Une défense juridiquement, éthiquement et moralement critiquable qui ne remet absolument pas en cause les fondements de notre opposition, ni sa légitimité.

Le brevet en question porte sur l’utilisation d’une molécule extraite de la plante Quassia Amara (la Simalikalactone E) pour traiter le paludisme. Cette molécule a été identifiée grâce à des enquêtes ethnobotaniques menées auprès des populations autochtones et locales de Guyane au début des années 2000. Pourtant, seuls les chercheurs scientifiques sont associés au dépôt du brevet.


L’opposition, déposée par France Libertés, le professeur Thomas Burelli et l’avocat Cyril Costes, se fonde notamment sur le non-respect du consentement préalable, libre et éclairé des communautés autochtones et locales qui ont partagé leurs remèdes traditionnels avec les chercheurs de l’IRD et permis ainsi le développement d’une innovation biotechnologique majeure. Elle repose également sur l’absence de partage juste et équitable des avantages découlant des recherches, autre principe et droit reconnu en faveur des États et des communautés autochtones et locales depuis les années 1990.

Les arguments développés par l’IRD offrent un aperçu d’une certaine vision des recherches impliquant les communautés autochtones et locales. Il s’agit d’une position à contre-courant des dynamiques juridiques et éthiques observables en France et à l’étranger depuis les années 1980. D’une part, l’IRD reconnaît l’importance des droits des populations locales avec lesquelles ses chercheurs collaborent, mais d’autre part adopte une position légaliste pour justifier le non-respect de ces droits.

L’importance du consentement libre et éclairé… lorsqu’il est requis par la loi

L’IRD affirme que le respect du « Consentement Préalable et Informé (CPI) » des populations est fondamental puisque « tout manquement en la matière n’est pas conforme aux bonnes pratiques de recherche avec des populations locales ». Il nuance néanmoins sa position en ajoutant que l’absence de CPI n’est problématique que lorsque celui-ci est « légalement requis ». Peu importent donc les codes éthiques de la recherche, les revendications des communautés autochtones et locales ou encore leur droit coutumier.

En l’occurrence, l’IRD soutient « qu’aucun dispositif légal (…) n’obligeait les chercheurs [de l’IRD] à mettre en place le CPI ». Il s’agit là d’une analyse contestable du cadre juridique existant. Les communautés autochtones et locales seraient-elles des catégories de citoyens dont il ne serait pas nécessaire de respecter le consentement dans le cadre de relations contractuelles, quel que soit leur objet ?

Justifier l’absence de Consentement Préalable et Informé

L’IRD se veut néanmoins rassurant en soulignant dans sa réponse que le non-respect du CPI était finalement pour le mieux puisqu’en « l’absence de dispositions légales, mettre en place des CPI (avec les standards légaux de ce type de document) aurait été contraire à l’ordre public, car cela aurait conduit à choisir arbitrairement des ayants droits sur les ressources et connaissances collectées ».

Par cette approche pour le moins originale, l’IRD va à contre-courant des initiatives émergentes depuis les années 1990 à travers le monde et qui consistent notamment pour les chercheurs et les autochtones à négocier ensemble des ententes de collaborations (y compris en l’absence de cadre légal spécifique, par exemple au Canada ou en Nouvelle-Zélande). Dans ces cas les chercheurs ne choisissent pas « arbitrairement » des ayant-droits, mais consultent les communautés et s’appuient sur leur expertise. La situation serait-elle plus complexe avec les communautés autochtones dans les outremers français ?

Non, les savoirs traditionnels ne sont pas en libre accès par définition

Pis encore, l’IRD suggère que la plante Quassia Amara et les connaissances associées appartiendraient au domaine public et seraient donc « en libre accès ». Comment expliquer alors que ses chercheurs aient eu recours à des enquêtes de terrain longues et coûteuses auprès de plus d’une centaine de participants afin de collecter leurs remèdes traditionnels en lien avec le paludisme? De fait, les remèdes collectés n’étaient pas connus en dehors des communautés et ont contribué de manière déterminante au développement de l’innovation biotechnologique objet du brevet, comme le soulignent d’ailleurs les chercheurs associés au projet.

De la gratitude plutôt qu’un partage des avantages

En ce qui concerne l’absence de partage des avantages avec les membres des communautés autochtones et locales et avec la Région Guyane, l’IRD adopte la même posture légaliste en affirmant que « les incitations aux partages des avantages dans le droit international s’adressent aux États ».

Il s’agit là encore d’une vision étriquée du droit. De nombreuses sources, à l’image des « Lignes directrices de Bonn » (2002), visent à « guider à la fois les utilisateurs et les fournisseurs de ressources génétiques sur une base volontaire ». Au travers de multiples textes internationaux et nationaux, les chercheurs sont très fortement encouragés, voire contraints de respecter les droits des communautés autochtones et locales (par exemple lorsqu’un code éthique est intégré au règlement intérieur d’un établissement).

La position de l’IRD est d’autant plus paradoxale que l’Institut indique que ses chercheurs « ont essayé de montrer leur gratitude et de rendre hommage aux populations par l’inclusion de remerciements dans les articles scientifiques ». De la gratitude qui ne coûte rien et ne confère aucun droit.

Mais plus encore, l’IRD souligne qu’il « s’est efforcé d’anticiper les évolutions de la législation française (…) en engageant une réflexion commune en ce sens avec les collectivités territoriales guyanaises ». Il s’agit là d’une approche a priori innovante et proactive… mais qui est intervenue seulement après le dépôt de l’opposition sur le brevet et surtout après la publication d’un article dans Mediapart et une campagne médiatique au cours de laquelle l’IRD a nié toute pratique abusive de la part de ses chercheurs.

La signature d’un accord avec les autorités guyanaises avait été annoncée le 5 février 2016 à l’occasion d’une visite du Secrétaire d’État Thierry Mandon en Guyane. Depuis cette annonce, aucun accord n’a été conclu, ni avec la Région Guyane, ni avec les communautés autochtones et locales qui ne sont par ailleurs pas directement impliquées dans les démarches de l’IRD jusqu’à présent.

Pour justifier les pratiques de ses chercheurs, l’IRD procède à un grand écart entre ses engagements moraux et éthiques en faveur des populations locales, et ce qu’il définit comme le cadre légal existant. L’institut privilégie clairement une interprétation du cadre légal qui lui permet de s’affranchir du respect des droits des communautés autochtones et locales avec lesquelles ses chercheurs ont pourtant collaboré.

Pour en savoir plus, lisez notre décryptage complet (en PDF)

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