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Billet de blog 11 novembre 2012

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Charles Pollock et le "white elephant"

Depuis presque vingt ans maintenant, je trie, je range, j’organise les œuvres et les archives de mon père, l’artiste Charles Pollock. Cet archivage ne se fait pas sans questionnements, sans remise en cause, sans interrogations. Parfois légères ou douloureuses, c’est au gré d’une trouvaille que vient le sentiment. Sentiment d’une rencontre au-delà de sa disparition, lui qui parlait si peu.

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Depuis presque vingt ans maintenant, je trie, je range, j’organise les œuvres et les archives de mon père, l’artiste Charles Pollock. Cet archivage ne se fait pas sans questionnements, sans remise en cause, sans interrogations. Parfois légères ou douloureuses, c’est au gré d’une trouvaille que vient le sentiment. Sentiment d’une rencontre au-delà de sa disparition, lui qui parlait si peu.

Le nom de Charles Pollock ne vous dit sans doute pas grand chose. Charles était le frère aîné de Jackson, ils étaient cinq garçons. Charles est né en 1902 à Cody, Wyoming et est mort à Paris le 8 mai 1988 après y avoir passé les dix-sept dernières années de sa vie. Son œuvre s’étend sur presque un siècle, du réalisme social (jusqu’en 1945) à l’abstraction.

Il y a peu, un rêve est venu hanté ma nuit, un rêve où je visualisais que le lieu où sont entreposées toutes ses œuvres avait brulé et que tout avait disparu… C’est un rêve récurent et angoissant. Un rêve qui me rappelle ce que nous avait dit mon père juste avant de mourir. « My sweethearts, I am leaving you a white elephant ». Ce « white elephant » ce sont ces œuvres, possession encombrante qu’il nous faut rendre plus légère. Et c’est ce que nous faisons. Chaque livre publié, chaque exposition réalisée est un allégement. Pourtant, toujours à l’horizon cette question : pourquoi certains artistes figurent-ils dans l’histoire de l’art et d’autres pas ?

Charles Pollock ne figure pas dans l’histoire de l’art car son œuvre a peu été vue. D’après ce que j’en conclu, il semble avoir été jugé ou ignoré à la lumière de son absence à des moments cruciaux où s’écrivait l’histoire. Charles Pollock était un idéaliste, un homme qui portait haut le sens du collectif. Dès les années 20, peu après son arrivée à Los Angeles pour y faire ses études, il évoque une admiration sans borne pour les muralistes mexicains. Dans une lettre à son frère Jackson datée de 1929 il dit ceci : « Connais-tu le travail de Rivera et Orozco à Mexico City ? C’est la meilleure peinture qui ait jamais été faite, je crois, depuis le seizième siècle ». Un peu plus tard, à New York, il ne se passionne guère pour le débat qui anime les jeunes artistes de savoir quel nom donner à leur mouvement, discussions qui aboutiraient au terme « expressionisme abstrait ». Charles Pollock, ce qui l’intéresse et ce qui le touche, c’est le peuple. C’est ce que les artistes doivent au peuple, ce qu’ils ont à lui rendre. Et c’est donc dans ce New York des années 30, aux côtés de sa première femme Elizabeth Feinberg, alors jeune journaliste et encore plus militante que lui, qu’il se jette sur l’opportunité offerte par le gouvernement américain à Washington de raconter, en art, la vie des travailleurs et, plus tard, d’orner les bâtiments publics d’œuvres racontant au peuple son histoire.

Dans la retranscription d’une interview à la radio le 2 juin 1943, retrouvée récemment, Charles Pollock, qui est alors en pleine réalisation d’une fresque murale intitulée : « We assure freedom to the free » (titre qui reprend la célèbre phrase du Président Lincoln : « In giving freedom to the slaves we assure freedom to the free ») dit ceci : « Nous devons une fière chandelle au gouvernement mexicain d’avoir donné à Orozco et Rivera la possibilité d’orner les murs de bâtiments publics à Mexico City. […] Lorsque j’ai eu à choisir ce que je voulais peindre, j’ai voulu évoquer, en termes picturaux, la vision, le courage, la force de conviction du Président Lincoln et de nos ancêtres qui se sont battus et qui sont morts, pour nous offrir une bonne vie -  une société libre et égalitaire. […] Les millions de jeunes qui se battent actuellement dans le Pacifique et en Europe témoignent du fait que notre but n’a pas été atteint ; mais il est aussi un témoignage que notre compréhension et notre foi dans les principes démocratiques ne s’est pas atténué ; c’est la volonté de notre peuple, de nos alliés, de toutes les races, que ces principes soit rendus suprême. […] L’artiste vient du peuple et ses deux sources d’enseignement sont les grandes œuvres du passé et le temps présent. La première lui apporte les modèles, les outils et les techniques de son art ; la seconde lui apporte la force émotionnelle ainsi que les nouveaux concepts de forme et de sens. Alors je vous invite tous à venir voir la fresque. Elle est à vous. Elle est à votre image. Elle a beaucoup d’importance pour moi mais n’aura aucune valeur tant qu’elle n’en aura pas également pour vous ».

En 1945, après un séjour en Arizona, Charles Pollock renonce définitivement à la figuration. Sa conception du rôle de l’artiste a changé. Il se met alors à enseigner dans le Michigan et, d’un point de vue artistique, s’engage pleinement dans l’abstraction. Mais l’histoire de l’expressionisme abstrait avait déjà été écrite, et il n’était pas dedans. Cela ne saurait peut-être tarder, mais c’est un effort quotidien qui mobilise désir et croyance.

www.charlespollockarchives.com

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