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Billet de blog 24 novembre 2012

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"That's a damn good artist!"

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous étions en avril 1988, mon père allait bientôt mourir. Il avait été hospitalisé le 30 mars après une hémiplégie survenue au sortir d’une sieste. En ce mois d’avril, et après avoir passé plusieurs semaines à ses côtés délaissant mes cours, un jour, je me rendis à l’hôpital avec une de ses œuvres pour voir s’il la reconnaissait. Il avait été confus les derniers temps, évoquant des souvenirs anciens, ceux de Rome et de sa Piazza Navona. Lorsque je mis devant lui l’œuvre apportée, il me dit, sans l’ombre d’une hésitation : « That’s a damn good artist ! ».

Cette phrase, joyeuse, m’accompagne depuis toujours. C’est elle qui, après plus de dix ans de labeur analytique, m’est revenue. C’est elle, et elle seule, qui aujourd’hui me donne l’énergie de poursuivre le travail. C’est elle qui m’indique que même si, comme tout artiste, mon père doutait de la forme que prenait son œuvre, sur le fond, il doutait peu. Cette assurance, il me l’a insufflée. Je crois comprendre que c’est une histoire de temps. Et si, comme le travail de l’analyse, le temps de l’œuvre était non linéaire ? Le temps d’une œuvre, cela existe ?

Parfois, j’ai le sentiment que nous en sommes encore aux répétitions. Nous encadrons, nous mettons sur châssis, nous préparons une entrée en scène attendue et souhaitée. Je disais, il y a peu, à une restauratrice venue regarder des tableaux, que je sais que l’œuvre de mon père change avec le temps. La regarder hier ou la regarder aujourd’hui, ce n’est pas la même chose. Certains tableaux des années 60 et 70 paraissent si modernes en ce moment. Ce qui apparaissait, il y a quelque temps, comme « discordance » des couleurs est aujourd’hui une harmonie et une force.

Hier soir, je parlais à une amie qui est la fille d’un artiste plus reconnu et je ne sais pas ce qui nous a pris mais tout d’un coup nous sommes parties d’un fou rire irrépressible, et avouons-le, un peu nerveux. Nous nous sommes imaginées mettre en place des réunions sur le modèle des Alcooliques Anonymes où les fils et filles d’artistes pourraient se soutenir et partager leur souffrance. Nous en sommes arrivées à la conclusion que nos morts nous narguent et qu’ils sont, en réalité, d’éternels vivants. Nos morts à nous sont des vivants.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.