LE TON ET LE MENTON
24 MAI 2015 FRANCETTE LAZARD LAISSER UN COMMENTAIRE MODIFIER
Francette Lazard
Un billet d’humeur sur ce blog ? Pourquoi pas, me suis-je dit en lisant la semaine dernière celui de René Piquet. D’autant plus que la photographie qui l’introduit se présente aussi comme une banderole d’humeur : « A quand une vraie réforme » ? Oui, vraiment, à quand.
L’humeur, comme l’humour, peut percuter les raisonnements les plus élaborés, atteindre l’essentiel, inviter à réfléchir sous un angle inhabituel. Ecoutez par exemple, jour après jour, nos gouvernants parler des « valeurs républicaines ».
C’est à qui lèvera le ton et le menton.
La «République» est invoquée comme jamais. Chaque leader cherche à capter le mot, voire à se l’approprier comme une marque abusivement déposée. Mais soyons attentifs. Sous le couvert du mot, les actes d’«autorité» contredisent de plus en plus frontalement l’expression démocratique et la souveraineté républicaine.
Retournons dix ans en arrière. Chacun s’en souvient : le 29 mai 2005, les électeurs sont interrogés par référendum sur un projet de Constitution européenne. La réponse est à une nette majorité « non », sans équivoque. Les artisans du « oui », l’UMP et le PS, vont tenir ce vote pour nul et non avenu et ratifier, ensemble sous les ors du château de Versailles, le traité de Lisbonne qui entérine le texte constitutionnel.
Je m’en indigne à l’époque, comme bien d’autres. Mais je mesure mieux aujourd’hui les effets politiques dévastateurs de ce cynisme d’Etat.
D’un côté, l’on invoque avec solennité le respect des valeurs républicaines. De l’autre, l’on en sape la crédibilité en déniant l’expression de la volonté citoyenne. La « politique » devient théatre d’ombres, hors de portée du débat et du choix démocratiques.
Sous couvert de « réformes », un despotisme qui se prétend « éclairé » s’installe insidieusement.
Après avoir escamoté en 2005 les résultats d’un référendum, on va opposer en 2010 la légitimité des « urnes » à la « rue », pour contrecarrer l’exceptionnelle puissance des manifestions contre la réforme des retraites.
La fracture qui se creuse entre le peuple souverain et les institutions nourrit une crise majeure de la représentation nationale. L’abstention, devenue massive, fragilise les fondements de la République et les valeurs qui la fondent.
Depuis 2012, la tentation despotique, que la nouvelle Présidence prétendait corriger, s’accentue encore. La loi Macron contredit les engagements qui ont fondé la majorité présidentielle ? Peu importe ! Un opportun 49.3 soumet le parlement. Puis, sous couvert de « l’esprit du 11 janvier », on met en place une loi liberticide sur le renseignement. Un projet de « réforme » des collèges s’annonce très largement contesté ? Eh, bien là, le cynisme se teinte d’arrogance avec la publication d’un décret d’Etat provocateur, au petit matin, qui suit une première mobilisation des enseignants concernés.
Fi du vote, fi de la rue ?
Va-t-on maintenant mobiliser les sondages pour justifier le contournement de l’expression démocratique ? Les récentes élections britanniques incitent poutant à ne pas confondre enquètes d’opinion et suffrage universel. Mais Manuel Valls, devant un parterre de patrons à Munich, n’hésite pas à soigner sa mise en scène de leader lucide et déterminé, capable de bousculer des oppositions disqualifiées : « Je pense que les Français sont en réalité favorables aux réformes, souvent plus que leurs dirigeants et leurs élites ».
N’en doutons pas, les scénarios d’une accélération autoritaire des « réformes » se mettent en place. Les citoyens sont priés de s’abstenir, au propre ou au figuré, jusqu’au rendez-vous formaté de 2017. Les « communiquants » sont déjà mobilisés pour ce jour J en lequel se résumerait l’alpha et l’oméga de la politique. Et tant pis si les résignations et les colères se conjuguent. Il s’agit de tout polariser vers un nouveau « blanc-seing » délégué pour cinq nouvelles années au sommet de l’Etat.
Ajoutez les slogans qui se rodent. Face à son prédécesseur qui se coiffe en « Républicain », l’actuel Président teste une nouvelle expression à Carcassonne: « la réussité partagée » ,
On croît réver. au moment où les inégalités explosent. Je lis le titre du Monde de ce week-end : « les partis politiques s’étiolent, les militants désertent ». Cherchez le lien .
La raison d’Etat exlut la politique.
Mais rien ne se passe jamais comme prévu dans les turbulences de l’histoire. Et si la République se ré-inventait, dans un partage inédit des pouvoirs politiques ?