Il y a pour les artistes diverses façons d'exprimer leur vision du monde. "Frère Animal, Second Tour", "roman social chanté" selon les auteurs Florent Marchet et Arnaud Cathrin fait partie de la catégorie des spectacles de salubrité publique, par les textes, la musique, les artistes et l'énergie vitale qu'ils propulsent.
L'histoire est la suite de "Frère Animal" satire cinglante du monde de l'entreprise, rappelée en intro par Nicolas Martel. Quatre "frères animaux", Thibault et sa petite amie Julie, Renaud, frère du premier et leur copain, Benjamin.
Huit ans après, Thibaut (Florent Marchet), le héros qui avait mis le feu à l'usine, tout juste sorti de prison retrouve Julie (Valérie Leulliot), sa petite amie partie avec un autre. Renaud (Arnaud Cathrin), son grand frère, marié avec un garçon et Benjamin (Nicolas Martel), leader du Bloc Identitaire. A la recherche de travail, il est éconduit de partout. Mais la providence se présente... Benjamin. Ce dernier va le prendre sous son aile, l'aider à retrouver sa "dignité" face à une France où les étrangers "te piquent ton boulot". C'est à ce moment que le spectacle prend toute son ampleur dans une mécanique implacable qui met en évidence la force des discours de l'extrême-droite en jouant sur la haine de l'autre, le besoin de reconnaissance et surtout sur la désespérance de Thibault en l'occurrence, qui incarne ici ceux qui ont peur de perdre leur travail, les chômeurs, les ballottés de Pôles Emploi en Pôles Emploi, les rejetés..
"Je suis seul, il fait peur mon pays...
Faudrait pouvoir se barrer
Ou balancer un pavé"... (extrait du clip "Vis ma vie" https://www.youtube.com/watch?v=93HArxsqgcU)
Pas de didactisme, pas de morale politique, un constat, une relation des faits bruts de la France qui va mal. Et fatalement, la désespérance, le chômage,le mépris, accentués par des discours démagogiques, entraînent vers la haine, déchaînent des actions violentes diligentées par le BI chez ces êtres perdus dont les discours ambiants ont annihilé la conscience.
Les textes, tantôt déclamés avec virulence dans les discours de Benjamin, tantôt chantés, murmurés par Julie, se répondant aussi parfois sous forme de listes à la Perec, se mélangent subtilement à la musique de Florent Marchet. Le spectateur est pris aux tripes mais aussi au cœur par cette fable édifiante dans laquelle les artistes habités excellent dans tous les domaines : la voix, la maîtrise des instruments, leur présence sur le plateau, dans une mise en scène sobre mais efficace. Les tableaux s'enchaînent, découpés par des noirs pendant lesquels le spectateur a tout juste le temps de reprendre haleine.
On ne ressort pas indemne de la salle car ce "Second Tour" nous met face à nos responsabilités citoyennes : que fait-on face à la xénophobie qui gagne du terrain ? Que fait-on face à l'impunité des plus grands truands ? Que fait-on face aux violences contre ceux qui combattent pour plus de justice, pour la reconnaissance des différences, contre l'intolérance ? Que fait-on face au venin de discours formatés incitant à la haine ? Que fait-on face aux mensonges, aux promesses non tenues ? L'anaphore pourrait ainsi se poursuivre, les (mé)faits ne manquent pas...
"Frère Animal Second Tour" ne donne pas de réponses mais incite à y réfléchir. Et c'est dans cette optique-là que la Culture trouve toute sa dimension politique et humaine.
Un spectacle qui réveille les consciences, à voir ABSOLUMENT.
Lieux et dates du spectacle, voir lien ci-dessous.
https://fr-fr.facebook.com/frereanimal/
SORTIE DE L'ALBUM le 21 octobre