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Billet de blog 2 septembre 2014

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De Ferguson à São Pau

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De Ferguson à São Paulo

Par NINJA

Texte de Jaime Amparo Alves pour Revista Guerrilha GRR

J’ai hésité à écrire à propos de l’assassinat de Michael Brown, à Ferguson, dans l’État du Missouri, le 9 août dernier. Il n’y a rien de nouveau dans les images télé d’un jeune noir de 18 ans abattu par arme à feu dans les rues d’une ville quelconque. En fin de compte, pendant que Michael Brown était assassiné à Ferguson, au sud du continent d’autres jeunes noirs trouvaient la mort entre les mains de la police militaire.

De l’autre côté de l’Atlantique, la communauté noire se souvient du massacre de Marikana, quand le 16 août 2012, la police sud-africaine a assassiné 34 travailleurs noirs qui protestaient pour de meilleurs salaires. Celles là et tant d’autres morts encore à venir sont la réitération d’une « vérité raciale » qui ne laisse aucun doute sur la place  du corps noir dans « nos » sociétés.

Peut être que ce fut Franz Fanon qui a le mieux exprimé par des mots l’impossibilité noire dans notre monde social. Pour lui, nous les noires et les noirs habitons une zone qu’il appelle « la zone de non-être ». Nous sommes pour ainsi dire, civilement/socialement morts et c’est cette mort ontologique (l’impossibilité que nous avons d’être reconnu(e)s comme faisant partie de la communauté humaine) et c’est ce qui rend possible l’existence civile blanche.  Dès lors il n’est pas étrange que la solidarité dans la lutte anti-raciste retombe toujours dans l’impossibilité blanche de penser ce que Fanon appelle « l’exclusivité réciproque ». Selon son expression : «il n’y a pas de réconciliation possible parce que des deux termes (le blanc et le noir) un est superflu » (1963, 39). Lequel ? 

Je laisse pour une prochaine occasion la question de la complicité blanche avec la mort noire, un champ théorique incisif – il me vient à l’esprit le travail innovant de Lourenço Cardoso – qui s’est occupé de ça quand il a montré comment les blancs  gagnent avec leurs identités. Je m’attacherai a l’autre aspect : l(a)’(im)possibilité de résister à la violence de l’État racial. Depuis samedi, quand Michael Brown a été assassiné, les États-Unis connaissent des révoltes urbaines qui rappellent les protestations violentes de Los Angeles en 1992, quand les caméras vidéo avaient surpris en flagrant délit des policiers en train de passer à tabac un jeune noir dans une banlieue de la ville.

Les révoltes dans les villes des États-Unis nous renvoient à l’absence d’espace politique pour la question noire dans la société civile. Les canaux traditionnels de manifestations par ci par là ne suffisent pas à donner des réponses aux défis des personnes noires. En vérité ils semblent faire partie du problème. Dans ce sens, les protestations pacifiques des blancs progressistes et de ces noirs qui ont réussi à se faire une place au soleil, contrastent avec les manifestations furieuses du « basta » d’une jeunesse parquée dans les ghettos.

Il faut souligner l’autre côté de l’Amérique de Barack Obama : Il y a au moins 2 millions de personnes en prison. Dans beaucoup de banlieues, il y a plus de noirs incarcérés que de noirs dans les universités.Les projections les plus optimistes montrent qu’en 2020 1 jeune noir sur 4 sera derrière les barreaux .

Selon le National Poverty Center, aux moins 15% des américains vivent dans la pauvreté e d’après le Département du Travail des États-Unis, le taux de chômage des noirs est de 11,4% (contre 6,2% pour la moyenne de la population). Il n’est pas necéssaire de dire que la situation des noirs aux USA reflète la situation dans laquelle se trouvent les noirs au Brésil, en Colombie, en Afrique du Sud, dans le monde.

Ici entre nous, la police tue dans les mêmes proportions que la police sud-africaine à l’époque de l’apartheid ; comme en Colombie, les femmes noires occupent le même espace qu'à la période coloniale : à la cuisine des seigneurs blancs ; nos bidonvilles sont le miroir du régime de ségrégation raciale sud africain et américain. Le corps noir habite la zone de la mort (physique, symbolique, ontologique) et, quand les balles de la police l’atteigne, son élimination physique n’est « que » la réitération des multiples morts. Est-il possible de concevoir l’idée que quelqu’un puisse mourir plusieurs fois ?

Ce que l’assassinat de Michael Brown, Travin Martin, Claudia Ferreira, Amarildo Silva et de tant d’autres nous rappelle c’est que la mort noire n’est pas une tragédie. Il lui manque un registre politique pour être considérée comme telle. Ni l’État, ni la société civile peuvent nous aider pour ce « registre » car ils font tous deux partie d’un  projet racial qui requiert une guerre permanente contre nous les noirs et les noires.

C’est dans ce sens que deviennent ridicules les termes de notre débat (je m’y inclu) autour de personnages noirs qui cherchent à sauver la république et à extirper les défauts de naissance de l’État , comme si le corps noir qui occupe ces espaces n’allait plus être lu à partir du registre de la négation ontologique. Où résiderait la possibilité de résistance à qui on nie la possibilité d’être ? Existe-t-il de fait, la possibilité de politiser la mort noire si la mort noire n’obtient jamais, vis à vis de la société, le statut d’assassinat ?

Comme cela devient visible dans les manifestations que l’on voit dans  les villes américaines maintenant, qui ont explosé dans les balieues de Paris en 2005, dans le quartier de Soweto en 2012, et qui continuent avec les émeutes de la jeunesse noire dans tout le Brésil, la politisation de la mort noire n’est possible qu’à travers une pratique radicale et autonome. La mort crée les conditions de possibilités pour une communauté politique constituée dans la violence légitime, dans la douleur et dans la rage.

Comme nous le rappelle João Costa Vargas, la diaspora africaine est une supra-géographie de la violence et de la résistance, un espace du génocide noir et de la rébellion permanente. Pourvu que ces morts et tant d’autres soient alors les germes d’une communauté politique dans laquelle les noires et les noirs ici et là se sentent responsables pour la vie de chacun(e) et de tous. Capão Redondo, Soweto, Aguablanca, Présent!

Jaime Amparo Alves, docteur (Phd); est chercheur visitant à l’African Research Center, Penn State University (EUA) et chercheur associé du Centro de Estudios Afrodiasporicos (Universidad Icesi). Il milite aussi à l’Uneafro-Brasil. 

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