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Billet de blog 13 avril 2022

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L'union de la gauche lors des législatives favorisera-t-elle la victoire en 2027 ?

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Instaurer un rapport de force entre les partis de gauche lors des législatives favorisera-t-il la victoire en 2027 ?

 « Je réunis sous le nom d’arrogance tous les gestes (de parole) qui constituent des discours d’intimidation, de sujétion, de domination, d’assertion, de superbe qui se placent sous l’autorité, la garantie d’un dogmatisme et d’une demande qui ne pense pas, ne conçoit pas le désir de l’autre » 

Roland Barthes, Leçon inaugurale au Collège de France

Un risque d’arrogance menace l’avenir de la gauche. Suite au score de Jean-Luc Mélenchon, l’Union Populaire se place largement en tête de la gauche. Dans certaines villes, notamment dans les quartiers populaires, et dans certains territoires, l’Union Populaire a obtenu des résultats sans appel : 56,2 % des suffrages exprimés en Guadeloupe, 65,4% à Clichy-sous-Bois, 61,13% à Saint-Denis. Un double sentiment saisit alors les militants de l’Union Populaire. D’une part un mélange de tristesse et colère (tristesse de voir l’espoir d’un second tour déçu et colère à l’encontre des cadres dirigeants des autres partis de gauche qui n'ont pas appelé à voter pour l’Union Populaire). D’autre part un sentiment d’exaltation qui risque de se muer en posture arrogante aux effets néfastes.

   L’accusation d’arrogance n’est pas de nature morale : peu importe l’idée selon laquelle l’arrogance serait une attitude morale mauvaise en soi en raison de l’oubli ou l’écrasement d’autrui qu’elle implique. Ici, l’accusation porte en fait sur les conséquences qui résultent de cette posture consistant, comme le note Barthes, à écraser l’autre et à formuler une « demande qui ne pense pas ». Cette demande qui menace l’avenir de la gauche est la suivante : il faudrait, selon certain.e.s militant.e.s, présenter des candidats Union Populaire lors des législatives sans passer par des négociations avec les autres partis de gauche présents sur le terrain et même parfois disposant d’élus à l’Assemblée nationale. Car, dit-on, le rapport de force à l’issue des élections présidentielles permettrait un tel passage en force. La question est alors de savoir si l’instauration d’un tel rapport de force entre les partis de gauche lors des législatives favorisera à l’avenir, lors des prochaines élections présidentielles par exemple, l’union ou la désunion de la gauche et donc la victoire ou la répétition de l’échec de 2022.

   Commençons par présenter les arguments en faveur d’une telle stratégie. (1) Le député sortant, s’il appartient au PCF par exemple et s’il n’a pas appelé explicitement à voter Union Populaire, a contribué indirectement à la défaite au premier tour du candidat capable d’éviter la situation présente opposant un candidat de droite à une candidate d’extrême-droite. Puisque cette inaction est condamnable en raison de la situation qu’elle a produite, il faut mettre à la place du député sortant une nouvelle personne. (2) Étant donné les résultats dans certaines villes, prenons Saint-Denis, il y a de fortes chances qu’un.e candidat.e Union Populaire remporte la victoire même si un.e candidat.e PCF s’oppose à elle ou lui. (3) Étant donné la confiance accordée à l’Union Populaire par la population pour les présidentielles, la présence d’un candidat Union Populaire est nécessaire. En effet, le vote dans les quartiers populaires, à la différence de celui des grandes villes, fut bien un vote de conviction, la figure de Mélenchon étant fort connue et appréciée. Dès lors, il paraît absurde d’appeler aux électeurs de donner leur voix au candidat d’un autre parti qu’ils n’ont absolument pas plébiscité. (4) Un.e candidat.e avec un fort potentiel de mobilisation, notamment auprès des nouvelles générations issues des quartiers, et une exposition médiatique conséquente grâce à la position de député, encouragera les luttes de terrain et garantira à l’avenir des résultats semblables à ceux de 2022. (5) Le fait de présenter un.e candidat.e Union Populaire face à un.e candidat PCF ne rend pas nécessairement impossible une grande coalition de la gauche après les élections législatives. Au contraire, la situation après les élections sera claire : une coalition de la gauche se construira en prenant en compte le rapport de force qui se sera traduit par les forces présentes à l’Assemblée nationale. De ces cinq arguments, il s’ensuit que l’arrogance a bien ses raisons : il s’explique et se justifie.

Cependant, un certain nombre de contre-arguments peuvent être adressés à ceux ci-dessus. (1) Il est prudent de se méfier de la disposition affective dans laquelle se trouvent les militant.e.s suite aux résultats du premier tour. D’une part, les résultats massivement en faveur de Jean-Luc Mélenchon risquent d’induire une certaine folie du sacre : le vote aurait encensé à un tel point l’Union Populaire que celle-ci serait désormais investie d’une mission de transformation sociale. D’autre part, l’imposition sans concertation d’un.e candidat.e Union Populaire pour remplacer les candidat.e.s sortant.e.s peut prendre l’allure d’une attitude quasi punitive à l’encontre de ceux qualifiés de « traîtres », de « coupables » de la défaite de la gauche au premier tour. Dans ce cas, la logique de l’action ne serait plus rationnelle : elle ne viserait pas à produire les meilleurs effets mais résulterait d’un sentiment de ressentiment. (2) La victoire aux législatives n’est pas acquise : l’électorat n’est pas tout à fait le même ; la participation est plus faible ; et l’effet du vote utile ne fonctionnera pas dès le premier tour si un.e candidat écologiste ou communiste se présente face à un.e candidat.e Union Populaire. (3) Quand bien même il serait fort probable que telle circonscription puisse être gagnée malgré la présence de plusieurs candidat.e.s de gauche dès le premier tour, la victoire d’une circonscription sera assombrie par la perte d’autres circonscriptions puisque la logique de l’alliance sera rompue. Ainsi, dans les circonscriptions où la victoire Union Populaire n’est pas assurée s’il manque les alliés des autres partis, le risque sera de perdre dès le premier tour. (4) La désunion aux législatives, couplée au ressentiment chez les militant.e.s et électeurs des autres partis causé par la prise du pouvoir sans concertation de l’Union Populaire, est un mauvais point de départ pour l’union de la gauche qui doit se former lors des cinq prochaines années afin d’éviter une répétition de 2022.

Quelle voie prendre étant donné ces arguments et contre-arguments ? L’objectif de l’Union Populaire, parti « présidentialisé » et « présidentiable » par excellence, est de remporter les élections et gouverner le pays. Pour ce faire, deux solutions sont possibles : ou bien l’Union Populaire, s’adossant à son score écrasant de 2022, agit de sorte à devenir le parti hégémonique de la gauche, si hégémonique que les électeurs de 2027 se déporteront automatiquement vers le mouvement en vue d’éviter l’éclatement des partis de gauche ; ou bien l’Union Populaire devient le parti hégémonique au sein d’une coalition des partis de gauche, ayant pris acte des causes de la défaite de 2022. La première alternative est la solution de l’isolement, la seconde celle du rassemblement. Dans les deux cas, la victoire aux prochaines élections dépend de trois conditions nécessaires : (1) l’Union Populaire doit fidéliser l’électorat de conviction, majoritairement issu des quartiers populaires, si elle veut disposer de votes mais aussi de soutien permanent dans la rue en cas de victoire. Seule une mobilisation constante des classes populaires en soutien à un hypothétique gouvernement de gauche, qui chercherait à imposer des mesures aux forces capitalistes, permettra de mener à bien les transformations sociales nécessaires. (2) L’Union Populaire doit élargir l’électorat en captant les nouveaux électeurs à venir, la jeunesse qui n’a pas voté (et les abstentionnistes de manière générale), et les classes populaires ayant décidé de voter pour le Rassemblement National. (3) L’Union Populaire doit conserver l’adhésion du moins partielle de ceux qui ont voté pour elle alors qu’ils auraient plutôt voté pour les Écologistes, le PCF, le PS.

   Parmi ces conditions, quelles sont celles satisfaites d’une part par la stratégie de l’isolement et d’autre part par la stratégie du rassemblement ? Le fait de présenter sans concertation avec les autres partis de gauche un.e candidat Union Populaire aux législatives (stratégie de l’isolement) satisfera les deux premières conditions. La première sera certainement satisfaite car un.e candidat Union Populaire, s’il ou elle est élu.e, fidélisera et mobilisera les électeurs de 2022. La deuxième condition ne semble pas entièrement satisfaite par la stratégie de l’isolement : rien n’indique qu’une victoire de l’Union Populaire sur telle ou telle circonscription aux dépens des autres candidat.e.s de gauche débouchera sur la mobilisation de nouveaux électeurs. Certes, une plus grande présence à l’Assemblée, qui implique une présence médiatique conséquente, permettra de rendre manifeste l’existence d’un groupe d’opposition actif, mais cela ne suffira en aucun cas à convaincre des électeurs RN de se joindre à l’Union Populaire. En ce qui concerne la troisième condition, celle de la conservation des votes utiles de 2022, la stratégie de l’isolement risque de toute évidence de faire fuir les électeurs écologistes, socialistes et communistes ayant fait le choix de finalement soutenir Jean-Luc Mélenchon. Ainsi, en admettant que la victoire repose sur la satisfaction des trois conditions susdites, la stratégie de l’isolement a pour seul horizon la répétition de la défaite.

Reste alors à examiner la deuxième stratégie, – la stratégie du rassemblement. Le fait de construire dès maintenant des alliances n’empêchera pas de fidéliser les électeurs de 2022 ni d’élargir l’électorat. Au contraire, concéder certaines circonscriptions « gagnables » permettra de mettre en place une dynamique politique qui part de l’unité (les alliances aux législatives dès 2022) et qui vise l’unité (un front commun en 2027). Une opposition de gauche unie, présente en grand nombre à l’Assemblée, martelant les cinq années durant des propositions simples (augmentation du SMIC, retraite à 60 ans, taxation du capital) et couplée à la présence dans les luttes sociales ne peut que ramener davantage de voix. À cela s’ajoute la conservation des électeurs et militant.e.s « par dépit » de Jean-Luc Mélenchon. La concession de certaines circonscription n’équivaut pas à une dissolution de l’Union Populaire : de fait, celle-ci restera hégémonique au sein de la coalition.

   Il faut donc veiller à ne pas formuler des « demandes qui ne pensent pas » et céder à la tentation de rafler la mise d’un coup au risque de tout perdre par la suite. L’enjeu des législatives est de créer les meilleures conditions pour une victoire en 2027. Pour ce faire, il convient de privilégier la discussion entre les partis au niveau national en vue d’une juste répartition des circonscriptions sans que les groupes locaux Union Populaire décident, sans concertation, de présenter leur propre candidat. La justice de la répartition n’étant pas arithmétique, la répartition ne peut être égale au sens où chaque parti disposera du même nombre de députés ; la répartition devra refléter le rapport de force à l’issue des élections présidentielles sans que ce rapport de force soit imposé à la manière d'une punition.

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