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Billet de blog 17 août 2024

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Sans podium ni médaille : comment la gauche a remporté les JO de Paris

Paradoxalement, alors que leur préparation avait été beaucoup critiquée du côté progressiste et écologiste de l'échiquier politique, les JO de Paris 2024 se sont révélé être de formidables alliés dans le combat culturel que mène (et, pour l'instant, perd) la gauche. Retour sur ce basculement que plusieurs avaient prédit.

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Lundi 12 août - Après un peu plus de deux semaines d'une parenthèse hors du temps politique1, l'heure est au bilan de ces Jeux Olympiques de Paris 2024. La gauche elle aussi aurait tout intérêt à le tirer, et à ne pas laisser s'évanouir trop vite l'étincelle de ces derniers jours. 

Posons d'emblée certains constats qui ne doivent pas être écartés mais qui, s'ils nuancent le constat global, ne doivent pas constituer d'œillères nous empêchant de tirer de la période qui s'achève des enseignements cruciaux. Tout d'abord, les JO de Paris ont posé de véritables problèmes écologiques. Le sacro-saint plastique reste omniprésent sur les sites olympiques, avec des bouteilles en plastique (principalement Coca-Cola) servies dans des gobelets en plastique (fut-il réutilisable). Et le bilan carbone reste faramineux, avec l'acheminement par avion de milliers de personnes (sportifs, entourage, touristes...).

Ensuite, les résultats sportifs demeurent un indicateur du niveau de richesse de pays, comme en atteste le haut du tableau des médailles, peu différent dans sa composition d'un G7 voire un G20. Développer des infrastructures et des filières de sélection de haut niveau nécessite en effet des budgets importants, et une population suffisamment à l'aise financièrement (ou au moins une partie de la population) pour s'y investir.

Enfin, pour qu'il n'y ait pas de méprise sur mon propos, il est évident que les Jeux Olympiques de Paris n'ont rien réglé socialement ni politiquement. Un tapis pudique a été mis sur la misère de milliers de personnes, déplacées et cachées pour conserver une image parisienne de carte postale. La crise politique est également toujours présente, provoquée par un Président retranché dans son Fort de Brégançon testant les limites de la Constitution, l'extrême-droite reste aux portes du pouvoir, et les inégalités maintiennent toujours des millions d'individus dans une situation invivable. Crise politique portée également par le gouvernement démissionnaire, qui continue de poursuivre son action de casse sociale, parfois en utilisant les JO2.

Mais les Jeux Olympiques qui s'achèvent (en attendant les Jeux Paralympiques, dont je n'ai toujours pas compris pourquoi ils en étaient séparés) ont marqué un véritable tournant dans le combat culturel, en constituant le prolongement du second tour des élections législatives, qui avait vu le retour surprise de la gauche face à la droite et l'extrême-droite. 

Le virage a eu lieu très précisément lors de la cérémonie d'ouverture, le vendredi 26 juillet dernier. Celles et ceux qui ne connaissaient pas Thomas Jolly (passé sur Instagram d'un peu plus de 30 000 followers à 140 000 désormais, baromètre de l'époque...) pouvaient s'attendre à une nouvelle version kitsch de la cérémonie d'ouverture de la Coupe du monde de rugby 2023, avec un Jean Dujardin coiffé d'un béret, une baguette sous le bras, donnant corps à tous les clichés sur notre pays qui fleurent la naphtaline. A la place, nous avons eu droit à un feu d'artifice mêlant avec talent nos patrimoines historiques immatériel et matériel d'une part, et ce qui constitue notre identité moderne d'autre part.

En l'espace d'une soirée, sous la mine déconfite d'un Président qui a pu mesurer son impopularité, y compris au sein d'un parterre d'invité·es rigoureusement sélectionné·es, Thomas Jolly nous a offert des tableaux qui resteront gravés dans notre imaginaire collectif. A l'opposé d'une vision de l'Histoire chloroformée et ultra-conservatrice véhiculée par le Puy-du-Fou, Lorant Deutsch ou Franck Ferrand, le metteur en scène a su tisser des liens entre notre patrimoine et nos identités actuelles, démontrant avec brio que la France est faite de sa diversité et qu'il n'est pas nécessaire (ni souhaitable) d'opposer ses différentes facettes. A ce titre, je convoque le tableau au cours duquel Aya Nakamura sort de l'Académie française pour chanter avec la garde républicaine, que j'ai trouvé incroyable (alors que je ne suis absolument pas fan de cette chanteuse). 

Mais le véritable tour de force de Thomas Jolly n'est pas d'avoir réussi ce spectacle formidable, qui révolutionne le genre. Sa principale réussite est d'avoir su, autour de cette vision progressiste de notre pays, fédérer (presque) tou·tes ses habitant·es. On a beaucoup parlé des quelques intégristes qui n'ont pas supporté le tableau mimant le Festin des dieux (ou la Cène, quelle importance ?). Mais plus de 85% des Français·es ont trouvé la cérémonie réussie, un chiffre exceptionnelle pour une époque qui est marquée par les fractures. Tout à coup, par un beau (mais pluvieux) soir de juillet, la France s'est découverte unie autour de ce qu'elle est vraiment : diverse, accueillante, dotée d'un patrimoine et d'une Histoire uniques. 

L'atmosphère créée par la cérémonie a fait revivre le sentiment d'unité que les plus ancien·nes avaient pu connaître un certain soir de juillet (déjà) en 1998, et que nous n'avions retrouvé depuis que dans la peine, le 11 janvier 2015. La gauche aurait tort de vouloir trop tôt tourner la page. Alors que la droite (de LREM et de LR) et l'extrême-droite (du RN et de... LR) prospèrent sur les passions tristes, la joie et l'unité portent en elles les passions qui président aux idéaux d'émancipation qui sont les nôtres. "Les jours heureux", "l'avenir en commun", "le futur désirable", autant d'expressions qui nous le rappellent. 

Par ailleurs, il est important également de rappeler que le succès des Jeux de Paris est dû en grande partie à... la gauche. Le projet Paris 2024 avait été initié par François Hollande, et la plupart des mairies impliquées dans les épreuves sont de gauche (et de tout l'échiquier, belle illustration du Nouveau Front Populaire) : Anne Hidalgo à Paris bien sûr, mais aussi Benoît Payan à Marseille, Martine Aubry à Lille, Grégory Doucet à Lyon, Matthieu Hanotin à Saint-Denis, Patrick Chaimovitch à Colombes, Raphaël Adam à Nanterre... C'est le talent de nos élus locaux et de nos élues locales qui a permis à cet événement hors-norme de se tenir dans de bonnes conditions. 

Pour ces raisons, les personnalités politiques qui, à gauche, ont vécu et communiqué sur ces Jeux Olympiques, en célébrant le grand moment d'imaginaire collective qu'ils ont constitué, me semblent avoir pris la mesure de leur importance dans le combat culturel. Y compris via le soutien aux athlètes français·es, qui, loin d'être une facette d'un nationalisme nauséabond comme voudrait le dépeindre nos "radicaux rigides"3, constitue un chauvinisme bon enfant laissant à voir toute la diversité de notre pays. A l'inverse, j'attire notre attention sur le fait que les réactions telles que celle de Cédric Herrou4 (dont le combat incroyable suscite mon admiration totale !), qui disqualifient le sport et la culture au vu de l'urgence sociale (réelle et primordiale), font l'impasse sur tout un volet de l'émancipation telle que nous la défendons, l'impasse sur l'important au profit de l'urgent. Pour paraphraser Churchill, si nous sacrifions la culture (y compris le sport), "mais alors pourquoi nous battons-nous ?".

En conclusion, ces Jeux Olympiques de Paris 2024 n'auront pas constitué un grand soir résolvant les différentes crises auxquelles nous sommes confrontées (et en particulier la crise écologique à laquelle ils ont contribué, dans une moindre mesure que leurs prédécesseurs), mais ils ont constitué une avancée notable dans le combat culturel pour faire progresser la France dans l'acceptation de ce qu'elle est et qui la rend belle. En s'appuyant sur les passions joyeuses, ces Jeux auront sans doute plus apporté aux victoires futures de la gauche que n'importe quelle campagne institutionnelle organisée par notre camp politique. 

Notes :

1 On notera la tentative de coup de communication d'Emmanuel Macron, prétendant "imposer une trêve olympique" à la politique française. Il savait en fait très bien que celle-ci se produirait (indépendamment de toute volonté individuelle), et n'a fait qu'une piètre tentative de récupération en se grimant maître des horloges.

2 Voir par exemple la suppression de 500 postes de contractuel·les (éducateur·trices, psychologues ou encore assistant·es sociaux·ales) dans la Protection juridique de la jeunesse cet été.

3 Sur le radicalisme rigide, voir le livre Joie militante de carla bergman et Nick Montgomery.

4 Exemple sur X : "Désolé de ne pas suivre les JO et ses performances artistiques et sportives, on est occupés à gérer la précarité. Profitez bien de votre complaisance et résilience. Et pensez à nous faire signe quand vous aurez fini de vous divertir . Des bises et vive la France."

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