Tout le monde se souvient de la formule de Milos Forman reprise par Jean Ferrat dans une de ses chansons comparant le bloc soviétique à un zoo et le monde occidental à la jungle. Cette métaphore me paraît rendre compte avec acuité du monde dans lequel nous vivions avant la chute du mur de Berlin.
Si nous pouvions communiquer avec les animaux enfermés dans nos jardins zoologiques que pensez vous qu'il nous diraient ? Est-il préférable de vivre à l'abri des grilles où en pleine liberté ?
Je ne suis pas sûr de ce que serait leur réponse.
Prenons l'espérance de vie qui est si chère à nos démographes. Il est clairement établi que les animaux enfermés dans les zoos à condition qu'ils le soient dans de bonnes conditions ont une espérance de vie nettement supérieure à celle de leurs congénères restés sauvages. Une nourriture abondante et équilibrée, des soins vétérinaires, l'absence de prédateurs ou de combats entre mâles de la même espèce expliquent aisément cette longévité.
D'un autre côté il existe des espèces qui refusent de se reproduire en captivité, comme s'ils refusaient de voir leur progéniture vivre dans les mêmes conditions qu'eux et des individus qui présentent des comportements proches des maladies mentales qui frappent certains humains. Diable le choix n'est pas facile à faire.
Ce propos introductif pour en venir à ma préoccupation. L'Amérique latine nous offre aujourd'hui le spectacle d'un laboratoire politique grandeur réelle. Un peu partout sur le sous-continent fleurissent des régimes politiques se réclamant de la gauche, plus ou moins radicale et mettant en œuvre des programmes en rupture plus ou moins avec le capitalisme tel qu'il se pratique dans cette zone du monde.
Mais les plus radicales comme le chavisme au Venezuela se heurtent à des résistances économiques et politiques internes et externes qui les fragilisent de plus en plus. Comment dans ces conditions poursuivre des transformations radicales de la société ? Faut-il durcir la répression contre les opposants ? Administrer l'économie ?
La manne pétrolière qui a permis de redistribuer les revenus de la collectivité au bénéfice des plus pauvres a permis des avancées significatives vers une plus grande égalité entre les citoyens. Nul, à gauche, ne pourrait contester qu'il est plus conforme aux buts du socialisme de profiter des surplus générés par l'exploitation des richesses naturelles au bénéfice de la collectivité que de laisser un petit groupe les accaparer pour s'enrichir au détriment du plus grand nombre. C'est pour cela qu'il me paraît hasardeux de critiquer cet aspect des politiques menées au Venezuela ou en Bolivie dans leur essence.
Mais le problème est posé lorsque la distribution plus juste de ces ressources dispense de penser l'organisation globale de la société. C'est souvent là que le bât blesse. La vraie difficulté est de modifier en profondeur un système économique qui ne peut vivre qu'en générant des inégalités, parce que c'est sa raison d'être et tous les discours lénifiants n'y pourront rien.
Sacré défi que cette transformation dans un monde où les économies sont interdépendantes et interpénétrées à un point jamais atteint dans l'histoire de l'humanité. Comment résister aux pressions économiques de ceux qui ne peuvent pas accepter la remise en cause du système ? Le maintien du statu-quo leur est indispensable, il ne faut surtout pas réveiller des espoirs pouvant conduire leur propre peuple à réclamer autre chose. Ne rêvons pas, aucun changement ne peut se faire sans douleur. De l'organisation de la pénurie de biens de consommation courante à l'utilisation de tous les moyens politiques permettant la déstabilisation des régimes non conformes aux souhaits du « Marché », rien ne sera négligé pour ramener les peuples aventureux à la raison.
Dans ces conditions la tentation de l'abandon des règles démocratiques est grande, de « pas de liberté pour les ennemis de la liberté » à la « dictature du prolétariat » l'histoire est pleine de ces tentatives de cadenasser des sociétés pour les mettre à labri de ceux qui sont désignés comme l'ennemi. Ces dérives autoritaires ont toujours rencontré un soutien parmi ceux qui veulent voir changer le monde. Autrefois c'était la défense de l'URSS au nom de la difficulté de construire le socialisme dans un pays en butte à « l'agression impérialiste » aujourd'hui c'est le soutien à Chavez puis à Maduro lorsqu'ils limitent la liberté d'expression.
Le problème est, l'homme étant ce qu'il est, que la limite entre une défense légitime contre une agression et la mise en place d'une dictature insupportable même pour ceux au bénéfice desquels elle est officiellement mise en place devient plus ou moins rapidement insupportable. Surtout si elle s'accompagne d'une restriction de l'accès aux biens de consommation auxquels tout une humanité aspire. Pour l'instant ces tentatives ont invariablement abouti à un échec après que les peuples aient enduré des souffrances plus ou moins importantes.
A l'autre bout de l'échiquier de la gauche, les sociaux-démocrates, ne changent rien au système tentant simplement de le rendre plus humain, plus social, au fond plus acceptable par tout un chacun. En contrepartie de leur « réalisme » ils n'auront pas à affronter les tentatives de déstabilisation auxquelles les « radicaux » sont confrontés, mais pour quel résultat ?
Je ne fais que poser des questions certes, mais il me semble urgent pour tous ceux qui estiment que le monde tel est ne peut plus durer de penser aux moyens de le changer. Le changer dans le respect des droits de l'homme, de la démocratie, protégeant les plus faibles sans faire subir une contrainte insupportable aux autres. Éradiquer la pauvreté sans paupériser les classes moyennes, assurer l'autonomie de décision des peuples sans détruire les tentatives de fédérer les états pour en finir avec la xénophobie et les guerres.
En d'autres temps Lénine à écrit « Que faire ? » Les solutions qu'il préconisait ne sont plus de notre temps, il faudrait répondre à sa question, l'Amérique latine nous en offre peut être l'occasion. La sécurité du zoo ne doit pas nous faire refuser la liberté de la jungle.