Aujourd’hui Maurice Carême :
Il porte un oiseau
Il porte un oiseau dans son cœur,
L’enfant qui joue des heures, seul,
Avec des couronnes de fleurs
Sous l’ombre étoilée du tilleul.
Il semble toujours étranger
A ce qu’on fait, à ce qu’on dit
Et n’aime vraiment regarder
Que le vert calme du verger.
Autour de lui, riant d’échos,
Le monde est rond comme un cerceau
La bise
« Ce sont des feuilles mortes »,
Disaient les feuilles mortes
Voyant des papillons
S’envoler d’un buisson.
« Ce sont des papillons »,
Disaient les papillons
Voyant les feuilles mortes
Errer de porte en porte.
Mais la bise riait
Qui déjà les chassait
Ensemble vers la mer
Loin de l’hermétisme où s’enferme volontairement une certaine poésie pour le meilleur et souvent pour le pire, la poésie de Maurice Carême touche par sa tranquille évidence. Elle a la légèreté d’une aquarelle. Mais cette légèreté n’est jamais dénuée de profondeur et dessine un monde où l’homme fusionne avec l’univers dans la simplicité des choses : « le monde est rond comme un cerceau » pour l’enfant-poète, capable de donner vie à l’inanimé (« feuilles-papillon »). Le vent a beau être froid il n’empêche pas la joie, le rire.
Un art poétique ?
Non, je n’en ai pas.
Et je n’aime pas la métaphysique.
Les mots que j’emploie ?
Tous ceux que ma mère
Disait autrefois
Droite en la lumière.
Et Dieu, que vient-il
Faire en tout cela ?
Me montrer les fils
Que je ne vois pas.
La mort ? Que dit-elle ?
Mais tant que je vis,
Je mange et je ris,
Je suis éternel.
Maurice Carême partage avec La Fontaine une certaine idée de la légèreté, d’un art de vivre les plaisirs simples. Il partage aussi ce redoutable honneur d’être considéré d’abord et avant tout comme un poète pour enfant – il a en effet beaucoup écrit pour eux – alors que l’un et l’autre s’adressent aussi aux adultes. Mais le dilettantisme est parfois mal vu en littérature où le sérieux ne semble pas pouvoir aller sans pathos. L’un et l’autre cependant nous font toucher du doigt la gravité des choses. Témoin ce poème tiré d’un recueil que Maurice Carême consacra à sa mère :
Depuis le jour où tu es morte
Nous ne nous sommes plus quittés.
Qui se doute que je te porte,
Mère, comme tu m’as porté ?
Tu rajeunis de chaque instant
Que je vieillis pour te rejoindre ;
Si je fus ton premier tourment,
Tu seras ma dernière plainte.
Déjà, c’est ton pâle sourire
Qui transparaît sous mon visage,
Et lorsque je saurai souffrir
Longtemps, comme toi, sans rien dire,
C’est que nous aurons le même âge.
Comment mieux dire le temps qui, passant, permet que fils et mère fusionnent, jusqu’à que la disparue regrettée parvienne à se réincarner ? Mine de rien il y a de la magie dans l’œuvre foisonnante de Maurice Carême. Il ne faut pas hésiter à y plonger, à se laisser porter par ses poèmes qui nous donnent des ailes pour mieux toiser les abîmes splendides dont toute vie simple est faite.