Antonio Machado, avec un poème tiré du recueil « Solitudes, Galeries et autres poèmes », regroupant des textes écrits entre 1899 et 1909.
Soleil d’hiver
Il est midi. Un parc.
L’hiver. De blancs sentiers ;
des monticules symétriques,
des branches squelettiques.
Dans la serre chaude,
des orangers en pot,
et dans son tonneau, peint
en vert, le palmier.
Un petit vieillard
dit à son vieux manteau :
« Le soleil, quelle splendeur
Ce soleil !… » Les enfants jouent.
L’eau de la fontaine
coule, glisse et rêve
léchant, quasi muette,
la pierre vert-de-gris.
Quatre courtes phrases pour planter le décor, le temps, l’espace, dans la première strophe ; juste quelques traits, une sensation d’immobilité, une quasi absence de verbe : esquisse à la fois simple et d’une grande précision. Les deux premières strophes s’opposent, mine de rien, le froid le chaleur, le blanc le vert, l’intérieur l’extérieur, la stérilité la vie. On passe d’un lieu indéfini, « un parc » à un autre, familier, « la serre chaude », avec cet article défini qui lui donne valeur de symbole. Et puis l’irruption, légère elle aussi, d’une touche d’irrationnel, ce vieillard anonyme qui parle à son manteau ; l’opposition, continuée, entre la vieillesse, ici apaisée et l’enfance, qui joue. Et l’eau de la fontaine devient l’image personnifiée mais muette du temps qui passe.
Cette concision qui nous place directement au cœur de l’essentiel est une des caractéristiques du style de Machado, quelle que soit la longueur de ses textes. C’est la logique du haïku, et son essence, le détail qui se détache avec une netteté absolue, le banal qui, transcendé, nous fait accéder à l’universel, comme la silhouette de ce chasseur qui prend les allures de personnage mythologique :
Matin d’automne
Une longue route
entre des rocailles grises,
et une humble prairie
Où paissent de noirs taureaux.
Ronces, buissons, halliers.
La terre est mouillée
de gouttes de rosée,
et l’allée dorée
vers la courbe du fleuve.
Au-delà des monts violets
dans le premier éclat du jour,
Le fusil sur le dos,
au milieu de ses fins lévriers,
va un chasseur.
Loin des épanchements du moi, la poésie peut être tout autant, dans sa radicale simplicité, la célébration d’un instant qu’on sauve, par miracle, du cours du temps. Comme le dit si bien René Char, « si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’éternel ».