« Un jour, un poème » (19)
Abordons aujourd’hui une écriture contemporaine avec ce texte de Christian Prigent, né en 1945 :
MADRIGAL
Ainsi pour ton anni ma belle
versaire sévèrement je ne
t’achèterai ni le ci ni le
ça ni la quincaillerie telle
que collier moderne zingué
synchro bichromaté ni une
queue de cochon à visser
ni l’anneau qu’aucune
ne sait de levage femelle
ni moi car pour ton uni
vers ma toute chère il n’y
a cataloguées que bagatelles
de choses mortes et non
La vie profonde la vie sans nom
La poésie est un jeu. Un jeu avec les mots, avec leur sens, avec leurs sonorités, rimes, échos, rythmes. Un jeu avec des règles précises, qu’on accepte, qu’on refuse, qu’on transcende ; qu’on s’impose arbitrairement. Un jeu d’assemblage, puzzle où l’on tente d’emboîter signifiant et signifié, parfaitement ou au contraire en mettant entre eux le plus de distance possible. Un jeu avec la nature, un jeu avec la culture, comme ici.
Il s’agit d’un sonnet en octosyllabes, qui respecte scrupuleusement les rimes (on remarquera « femelle/bagatelle »…). Il s’agit bien aussi d’un madrigal, « pièce de vers au tour galant ou tendre ». Le sujet peut évoquer, vaguement, ces poèmes des précieux et des libertins qui, au XVIIè siècle, célébraient avec plus ou moins d’ironie et d’humour, plus ou moins de respect, plus ou moins d’amertume, de causticité ou de raillerie, leur belle. Tradition respectée donc. Mais ici le langage s’emballe, les mots se coupent, se font échos – « anniversaire/univers (ma toute) chère ») – rejets et coupes sont arbitraires, le trivial (strophe 2) se mêle au sérieux – le dernier vers, qui répond d’ailleurs parfaitement au « cahier des charges du sonnet » soit de finir le poème sur un temps fort – et le lecteur se sent balloté. Le vrai sujet du poème est alors le langage et ses possibilités, la volonté de le faire dérailler, par plaisir, par jeu. On peut être sensible à cette joyeuse déconstruction. Ou pas.