Passons un peu de temps avec les Précieux et les Libertins du XVIIè siècle. Un poème de Charles Cotin qui fut aumônier de Louis XIII – et le modèle du Trissotin de Molière dans « Les femmes Savantes »... Oublié aujourd’hui, il mit à la mode le poème énigme :
Énigme
Mon corps est sans couleur comme celui des eaux,
Et, selon la rencontre, il change de figure.
Je fais plus d’un seul trait que toute la peinture
Et puis, mieux qu’un Apelle, animer mes tableaux.
Je donne des conseils aux esprits les plus beaux
Et ne leur montre rien que la vérité pure.
J’enseigne sans parler autant que le jour dure,
Et la nuit on me vient consulter aux flambeaux.
Parmi les curieux j’établis mon empire
Je représente aux rois ce qu’on n’ose leur dire
Et je ne puis flatter sans mentir à la cour.
Comme un autre Pâris je juge les déesses
Qui m’offrent leurs beautés, leurs grâces, leurs richesse
Et j’augmente souvent les charmes de l’amour
NB : Apelle est un peintre grec qui a vécu au IIè siècle avant JC, loué par les Anciens et dont on n’a conservé aucune peinture.
La poésie classique obéit peu ou prou au « cahier des charges » que lui assignait La Fontaine : plaire et instruire. Nous sommes ici sur le versant du plaire. Notons que les plus grands (Racine, Corneille, Molière et La Fontaine bien sûr) ce sont prêtés à ces jeux de Cour et de Salon. Ces textes reflètent, selon Michel Nuridsany, « un état d’esprit qui conduira à la philosophie des Lumières…Si leurs excès les ont fait abondamment moquer, n’oublions pas que [leurs auteurs] furent les défenseurs du féminisme, du savoir, et de la liberté des plaisirs ». Ce sont des écrivains « épris d’un langage raffiné, des sceptiques, tenants courageux de la « libre » pensée ». Certains d’entre eux joueront avec le feu, au propre comme au figuré, Théophile de Viau ayant de peu échappé au bûcher, le texte suivant pouvant aisément expliquer pourquoi…
Phylis, tout est foutu, je meurs de la vérole,
Elle exerce sur moi sa dernière rigueur :
Mon vit baisse la tête et n’a point de vigueur
Un ulcère puant a gâté ma parole
J’ai sué trente jours, j’ai vomi de la colle,
Jamais de si grands maux n’eurent tant de longueur,
L’esprit le plus constant fût mort à ma langueur,
Et mon affliction n’a rien qui la console.
Mes amis plus secrets ne m’osent approcher,
Moi-même en cet état je ne m’ose toucher :
Phylis le mal me vient de vous avoir…foutue.
Mon Dieu, je me repends d’avoir si mal vécu
Et si votre courroux à ce coup ne me tue
Je fais vœu désormais de ne foutre qu’en cul.
NB : Phylis est un prénom générique désignant, dans ce genre de poème, la femme à qui on l’adresse. Ici, l’allusion à une certaine maladie sexuellement transmissible, est transparente…
Humour et raillerie, trait qui blesse et/ou qui fait mouche, allusions plus ou moins explicites – le premier tercet d’ « Énigme » est un portrait en creux de l’atmosphère d’hypocrisie qui règne en Cour…– il s’agit là aussi de jouer avec les règles, de la prosodie, du (bon)goût et des conventions sociales d’un milieu particulier ; le tout étant étroitement lié. Redonnons pour terminer la parole à Charles Cotin pour la solution de notre « énigme » :
À un miroir
Cristal d’amour, onde solide,
Où se mire un plus beau soleil
Que n’est l’astre dont le réveil
Chasse la nuit humide ;
Arbitre ingénieux des triomphants appas
Dont l’Olympe est pourvue,
N’est-il pas vrai que celui qui l’a vue
Ne doit plus rien voir ici-bas ?
(Bibliographie : « Précieux et Libertins », Michel Nuridsany, Orphée/ La Différence)