Le rock alternatif avait ouvert son underground et les "Fanzines", ces sortes de mini-magazines souvent mal imprimés voir même photocopiés en noir et blanc sur un antique Xerox 450, fleurissaient à chaque coin de comptoir. Dans le monde de l'avant (avant Internet), c'était sur ces torchons passionnants que l'on apprenait les dates de concerts, le circuit des tournées, la naissance de nouveaux groupes, la sortie d'un album, etc.. ces informations étaient aussi relayées par quelques succulentes émissions rock diffusées par les Radios libres, bien loin des francs succès de Philippe Manoeuvre (Les Enfants du Rock) et de "Rapido", savamment orchestrée par Antoine de Caunes.
Le vrai rock alternatif naissait là, au bout du comptoir du "bar des vieux rockeurs", du "Louisiane" ou du "Modern bar", dans des villes aussi improbables qu'Angers, Rouen, Le Havre, Orléans, Montpellier ou Poitiers.
Les concerts s'organisaient un peu "à l'arrache" dans la salle de sport aux panneaux de basket relevés de la MJC Jean Villard ou dans d'anciens cinémas, mais parfois dans de vrais espaces comme le "Confort moderne" (de Poitiers), le "Théâtre Barbey", "le "Chat Bleu" (bordeaux), le "Majestic" (Nantes) et pour les plus illustres formations : "la Loco" ou le "Gibus".
Pendant qu'à Paris battait le bruit de "Pigale", des "Béruriers Noirs", des "Garçons bouchers" ou de "Los Carayos", et plus loin de La "Mano Negra" et des Négresses vertes", Angers donnait naissance à des monuments tels que les Thugs (avec l'incroyable Eric Sourice et son frère Christophe), "les Stepping Stones" (avec Hervé Legeay), puis les Noodles et les infatigables Happy Drivers.
La Rochelle nous confectionnait "Les Pistones" et Tours les "Unknown pleasures".
Le port du Havre nous comblait avec les "Fixed Up", les "City Kids", les "Roadrunners" et l'éternel "Little Bob" (allias Roberto Piazza) pendant que les faubourgs de Rouen nous offrait "les Dogs" (avec son premier chanteur Dominique Ladoubée et avant que le guitariste Tony Truant rejoigne les Wampas)
Dispersés sur le reste du territoire, on retrouvait les rois du punk français pur et dur comme "les Rats" (avec Jess et Patrice que l'on croirait tout juste sortis d'un BD de Frank Margerin) perdus au milieu de la Seine et Marne, "les Sheriffs" (les héros de l'Hérault) avec Olivier Téna, "La Souris Déglinguée" (LSD) de Versailles et leurs presque voisins des "Satellites", les parisiens de "Parabellum", Olaf et ses fous furieux de "Ludwig Von 88", l'hystérique "Gogol Premier" (Jacques Dezandres), et peut-être les plus excentriques d'entre tous : les "Jad Wio" de Dennis Bortek.
Pendant ce temps là, la belle endormie (Bordeaux) nous livrait No One is Innocent et le kid Pharaon.
Tout ce petit monde se retrouvait dans les arrières-cuisines des illustres labels Rock français de l'époque, qui s'appelaient "Closer", "Gougnaf Mouvement", "New Rose", "Black et Noir" ou "Boucherie Production".
J'en oublie bien sûr des dizaines et des dizaines que ma mémoire a occulté.
C'est dans ce brouhaha général, mêlant créativité, subtilité, grossièreté, fraternité, violence et provocation... que le phénomène des cadets de Noir Désir a éclos.
