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Billet de blog 27 février 2014

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Plusieurs saisons sur la nuit

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au bord du monde de Claus Drexel, photographie de Sylvain Leser, produit par Florent Lacaze. L'Escurial, Paris 13e, dimanche 23 février, 11h.

Ce film porte mal son titre, comme beaucoup de films—comme beaucoup de films français, j'ai envie de dire (je pense encore aux Salauds de Claire Denis ou à Grand Central de Rebecca Zlotowski l'an passé, dont les titres étaient une source de malentendus pour le premier, une coquetterie de marketing tout à fait gratuite pour le second). Mais dans ce cas, je suis heureux que le film nous emmène plus loin que la commisération sociale que son sujet (et donc son titre) semblaient annoncer. L'absence totale de marques visibles d'adhésion ou de sympathie ferait d'ailleurs presque oublier ce que c'est—moralement, socialement, physiquement—qu'être dehors, chez soi mais dans un lieu public.

Ce risque d'atténuation des enjeux est aussi lié à ces choix que la critique a désormais coutume de ranger sous la formule "rendre à untel sa dignité esthétique": musique et chant d'opéra en ouverture et en clôture du film, format majestueux et imposant du scope, couleur, cadre à hauteur du sujet qui parle, voire en contre-plongée, vues pour la plupart fixes de Paris, magnifiquement éclairée, monumentale ou proverbiale, belle toujours, en dépit de tout. Les respirations visuelles que ménagent certaines séries de plans aux témoignages denses, difficiles à entendre, de ces quelques personnes depuis longtemps à la rue—ces respirations déséquilibrent par moments le film, le faisant verser un peu vers la carte postale au lieu de le maintenir dans une tension inconfortable mais plus juste.

Pourtant, c'est dans cette zone gênante, ce point limite où le monde de la rue semble se détacher de ce qui l'a produit que je trouve le film le plus original et le plus stimulant (contrairement aux évidences, il se prête très mal à des débats de politique ou de société). Ce qui fait que l'on n'est pas tellement au bord du monde (le nôtre, sous entendu), mais plutôt carrément sur son autre face (voire dans un monde qui serait tout à fait autre), c'est bien sûr d'abord la nuit, qui devient ici un lieu à part entière où passent d'autres temps (ses propres phases, mais aussi les saisons). C'est aussi le choix de ne pas insister sur le passé des personnes interrogées, qui parlent surtout d'ici et de maintenant, jusque dans l'affabulation et le délire. Ces partis pris assez forts changent la donne : il ne s'agit plus de réinsérer ceux qui ont été rejetés ou se sont perdus, mais de se demander d'abord comment on se rend dans ce monde (qu'on appellera "Paris la nuit", faute de mieux), comment on peut le voir et l'entendre, comment on y parle.

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