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Billet de blog 24 novembre 2020

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Lettre ouverte à M. le président de la République française

Les lois récemment présentées par le gouvernement à l'approbation des chambres rompent la confiance accordée par le bulletin que j'avais placé dans l'urne lors du second tour de l'élection présidentielle le 14 mai 2017.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Monsieur le président,

J’ai voté pour vous au second tour de la dernière élection présidentielle.

J’ai apprécié le discours que vous avez prononcé à la Sorbonne le 26 septembre 2017, et notamment l’objectif d’un budget européen.

L’Union, sur ce point, a progressé. Mais ces progrès se heurtent à l’obstination de deux États membres, qui retardent la mise en œuvre des mesures prévues.

Les gouvernements de ces deux États membres sont généralement qualifiés d’illibéraux : ils remettent en question l’indépendance de la justice, et, pour l’un, récemment, le droit à l’avortement – pilier de toute égalité entre hommes et femmes – ; ils mènent aussi une politique communautaire explicitement hostile aux migrants.

Les événements parisiens du 23 novembre témoignent, de quelque façon qu’on les considère, de cette même hostilité.

La pandémie qui fait rage exige la solidarité, et celle-ci, pas plus que le virus du SARS-CoV-2, ne doit connaître de frontières nationales.

Certes, ces frontières, que ce soient celles de notre pays ou celle de l’Union à laquelle il appartient délimitent le domaine de définition de nos lois, nationales ou communautaires. Mais nous sommes aussi signataires en tant qu’État et État membre de l’Union européenne d’un certain nombre d’accords et de conventions, qui, si elles ne sont pas toujours contraignantes, nous obligent.

Ces lois, ces accords, ces conventions s’inscrivent dans des principes moraux autant que politiques, qui définissent l’État de droit et les relations internationales.

Le mépris dans les faits de ces principes, quand bien même le discours les reconnaîtrait, conduirait, selon une célèbre formule, non seulement à la défaite – celle de la démocratie, qui serait celle de la République – mais au déshonneur – pour chacun d’entre nous – sans parler de notre intégrité physique, menacée par l’instabilité géopolitique et par le réchauffement climatique.

Les lois votées ou qui s’apprêtent à l’être portant réforme de l’université et de la « sécurité globale » (je ne doute pas que vous puissiez analyser les conséquences sémantiques de l’adjectif épithète du mot « sécurité ») contreviennent aux principes élémentaires de la liberté de réflexion, d’information et d’expression. Vous savez probablement que leur efficace n’est pas tant pratique ou juridique que politicienne, voire idéologique : la loi de programmation de la recherche est une loi de précarisation, qui fera perdre à la recherche publique française le lustre qui lui reste, quant au récent amendement concernant la tenue dans les locaux universitaires d’événements de protestation, il déroge un peu plus aux principes d’indépendance attachés à la vie et à l’organisation des universités, depuis leur création, au Moyen Âge (il va sans dire que cette indépendance ne saurait comprendre dans la « République indivisible, laïque, démocratique et sociale » les restrictions budgétaires ni la mise en concurrence des établissements) ; la loi sur la sécurité ignore délibérément, à l’échelle cette fois de la cité tout entière, l’existence de lois antérieures, et prend prétexte d’une adaptation de la législation aux évolutions des technologies de la communication pour envoyer un signal conjoncturel aux seules forces de l’ordre (je me permettrais de vous orienter sur ce point vers la conférence donnée par Jacques Derrida à la Cardozo Law School, à New York, en 1989, soit, dans sa version française à l’article « Force de loi » qui en a résulté).

Ces nouvelles dispositions législatives constituent, dans leur formulation actuelle, une rupture de la confiance que mon bulletin avait actée en 2017.

Faute d’une inflexion visible et compréhensible de la politique menée par votre gouvernement, je ne pourrai lors de la prochaine échéance présidentielle, si vous parvenez au second tour et quel que soit le danger représentant pour notre pays votre adversaire, vous accorder une fois encore mon suffrage.

Je vous prie de croire, Monsieur le président, au profond respect que j’éprouve pour la fonction difficile qui est la vôtre.

François Boisivon

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