Pour mieux faire comprendre son propos, il prend une métaphore sportive, affirmant que : « le rôle du CNRS n’est pas de permettre de se qualifier aux Jeux olympiques, mais de permettre aux qualifiés de gagner une médaille. Autrement dit, le rôle du CNRS est de permettre aux très bons d’être encore meilleurs au niveau international ».
Il poursuit en expliquant que « tout chercheur ou chercheuse a envie d’être le premier. C’est le principe de la recherche. La recherche, c’est la découverte, l’invention de choses que les autres n’ont pas faites. Donc, c’est par définition une forme de compétition. Il faut l’assumer ».
Il m’est impossible de ne pas réagir à de tels propos qui dénotent une vision tout à fait pitoyable de la motivation des chercheurs dont je fus pendant plus de 40 ans. A titre personnel, je me dois de réfuter une telle motivation et de témoigner quelle fut la mienne lorsque j’ai choisi ce métier. Je gage que nombre de mes collègues, jeunes ou expérimentés, partageront le même sentiment.
La motivation première, c’est la quête de connaissances pour comprendre le monde dans lequel nous habitons, nourrie par une curiosité permanente. Cette motivation est très profonde, je dirais d’ordre philosophique. Très résiliente, elle résiste à bien des avatars : un parcours du combattant long et extrêmement sélectif, pour obtenir une thèse de doctorat, puis pour atteindre le statut de chercheur, un salaire notoirement inférieur aux autres métiers à durée de formation équivalente, une perversion du métier induite par l’injonction à trouver des financements qui détourne de la recherche, pour n’en citer que quelques uns. L’objectif de « gagner une médaille » ne résisterait certainement pas à tous ces écueils. Et lorsqu’une médaille est octroyée, ce n’est pas le résultat d’une compétition qui se joue, mais celui d’une reconnaissance, d’ailleurs le plus souvent collective. Il y a un non-sens à vouloir inscrire la recherche dans la compétition qui stimule l’individualisme, alors qu’il s’agit intrinsèquement d’un processus collectif de construction de la connaissance.
La deuxième motivation, au lieu « d’inventer des choses que les autres n’ont pas faites », c’est d’apporter, par la connaissance, des réponses aux défis sociétaux. La course à l’échalotte vers l’invention qui serait faite avant l’autre, « être le premier », stimule un court-termisme de la recherche contraire à sa nature même. Toute découverte est le plus souvent le fruit d’un long cheminement de la communauté qui finit par jaillir sous l’impulsion de l’un ou l’autre. Dans leur grande majorité, les chercheurs en ont tout à fait conscience, il suffit d’écouter les témoignages des prix Nobel et autres « découvreurs » célèbres.
Il est tout à fait symptomatique que le désormais président du plus grand organisme de recherche publique français défende une telle vision de la recherche. Sans doute ne traduit-elle simplement que la vision des dirigeants politiques sur la recherche et les chercheurs, dominée par le court-termisme utilitariste et l’individualisme, car c’est le pouvoir politique qui nomme le président du CNRS. Voir le blog de "En soutien à la candidature d'Olivier Coutard" du 9 novembre 2021 : « 2 279 soutiens aux propositions d'Olivier Coutard pour la Présidence du CNRS ».