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Billet de blog 15 septembre 2008

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Contretemps

Et voilà ! Un nouveau blog.Mais qu’est-ce qui les (je devrais dire “nous” désormais) fait courir, ces blogueurs ? Mon correcteur d’orthographe a beau froncer les sourcils quand je tape ces deux mots (“blog”, “blogueur”) et m’obliger à les ajouter au dictionnaire pour ne pas voir ma page marquée d’infâmants soulignements en rouges, je sais bien qu’ils sont de plus en plus en nombreux.Comme j’aime bien compter un peu tout, je fais un crochet par Gou-gueule pour avoir une idée de combien ils sont (nous sommes !). Je découvre ainsi que le nombre de blogs est passé de 8 à 72 millions entre mars 2005 et mars 2007 et qu’il se créait à cette date environ 120 000 blogs par jour, soit trois toutes les deux secondes (source la Tribune) !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Et voilà ! Un nouveau blog.

Mais qu’est-ce qui les (je devrais dire “nous” désormais) fait courir, ces blogueurs ? Mon correcteur d’orthographe a beau froncer les sourcils quand je tape ces deux mots (“blog”, “blogueur”) et m’obliger à les ajouter au dictionnaire pour ne pas voir ma page marquée d’infâmants soulignements en rouges, je sais bien qu’ils sont de plus en plus en nombreux.

Comme j’aime bien compter un peu tout, je fais un crochet par Gou-gueule pour avoir une idée de combien ils sont (nous sommes !). Je découvre ainsi que le nombre de blogs est passé de 8 à 72 millions entre mars 2005 et mars 2007 et qu’il se créait à cette date environ 120 000 blogs par jour, soit trois toutes les deux secondes (source la Tribune) !

La question ne saurait donc raisonnablement être éludée au moment de se lancer dans l’aventure. Pourquoi ouvrir son blog ? Besoin de s’épancher ? De se défouler ? Ou conviction un peu audacieuse qu’on a quelque chose à dire qui n’a jamais été dit ou du moins qui ne l’aurait pas été dans les termes où l’on estime qu’il conviendrait de les dire ?

Après tout, c’est la question qu’on serait sans doute en droit de poser à tous ceux qui se piquent d’écriture. Mais, là, tout de même ! Dans le bruit produit par tant de voix qui s’expriment en même temps, au prix du brouillage, parfois, des messages qui pourraient être les plus percutants, pourquoi vouloir joindre la sienne au concert et participer de la cacophonie ambiante ? On dira toutefois que cette cacophonie n’est vraiment sensible qu’au surfeur fou qui, de clic en clic, se laisse surprendre par tous les blogueurs en embuscade sur son parcours. Après tout, si vous suivez vaillamment votre chemin, sans trop regarder sur les côtés, vers le but que vous vous êtes fixé, à supposer que vous en ayez un, et que vous ne vous contentiez pas de flâner sur la Toile, le nez au vent, vous ne courrez pas grand risque de vous laisser détourner.

Mais il y autre chose : quelque type de blogueur que vous représentiez (blogueur didactique qui aime à expliquer le monde ou blogueur poète qui n’aspire qu’à partager ses rêveries ; technicien, diagnosticien, professionnel compétent vous gratifiant de ses analyses subtiles et conseils pratiques ; séducteur qui ne cherche qu’à plaire ou narcisse auquel il suffit de se plaire ; militant qui prétend n’avancer que pour faire avancer la Cause ; maniaque qui tient en solitaire la comptabilité des visiteurs de son blog ou dialogueur éperdu qui n’écrit que pour répliquer à ceux qui lui auront répondu ; pervers toujours sur le point d’ouvrir son grand manteau…) vous avez mis le doigt dans l’engrenage fatal du débat !

Car, blog ou pas, on débat, sur la Toile, beaucoup !

Et voici un exemple récent parmi d’autres, qui me concerne un peu, en tant qu’ingénieur de recherche au CNRS, rayon des Sciences dites humaines et sociales (SHS pour les intimes).

Nous sommes sur le site de Libé.fr.

Ce jour-là, la directrice des Sciences humaines et sociales, justement, vient de se faire proprement remercier ; avec cette brutalité avec laquelle on ne risque que trop, en ces premières années du règne de Sarkozy 1er, dit le Pieux, de finir par s’habituer.

Ses directeurs adjoints, à l’exception de l’un d’entre eux qui a pris le parti d’accepter de la remplacer, ont démissionné collectivement, à la fois par solidarité et pour manifester leur inquiétude sur l’avenir de leurs disciplines (c’est vrai, quoi ! « Humaines » et « sociales », cela fait un peu tâche!).

Un texte relate les faits et renvoie notamment à un autre texte qui expose les positions des protagonistes : simple affaire de limite d’âge pour la Présidente du CNRS ; inexplicable anticipation d’une mesure dont l’application en janvier aurait permis un désignation du successeur dans des conditions offrant plus de sérénité. Chacun se perd en conjectures sur les tenants et aboutissants de cette sombre histoire. Tout de même, cela a bien une allure de fin d’été pourri.

Mais les internautes eux, réagissent, nombreux : image frappante de la diversité de notre beau pays !

À l’une des extrémités du spectre de cette « pensée » expansive, voici un petit florilège de ce que l’on peut glaner :

L'interdisciplinarité des SHS avec les sciences dures est une mauvaise plaisanterie. L'essentiel de la recherche en SHS se fait effectivement à l'université, et non au CNRS, dont le département SHS est un repaire de planqués pour l'écrasante majorité de ses "chercheurs". Le gouvernement a parfaitement raison de faire un ménage vigoureux au CNRS, qui en a grand-besoin depuis fort longtemps.On s'en tamponne des sciences sociales. On ferait mieux de donner cet argent pour le développement de nos entreprises.Les sciences sociales", pipeau, pipeau, et repipeau, joué sans talent par un ramassis de gauchistes qui tord les chiffres pour qu'ils servent leurs idéologies mortifères. Sans sciences sociales, l'Amérique d'en bas se porte mieux que la France du caniveau ! Ce qui m'étonne le plus c'est le terme science, le terme de discipline ou autre conviendrait davantage. La science c'est la rigueur, pas la poésie!C'est vrai que le terme "discipline" ne convient pas non plus aux SHS; on devrait dire indiscipline ou vague ou élucubrations pour rester poli. Discipline veut quand même un peu dire rigueur...Perso, je commencerai à respecter le département SHS du CNRS le jour où il cessera de ressembler à un think-tank de la LCR faisant de la science à la Diafoirus. PS : Saint-Pierre, peux-tu STP définir clairement et sans verbiage la notion de "science citoyenne" ensuite, je voudrais que tu montres en quoi cela se distingue des "sciences occultes" et des "sciences astrales".

Quand, à l’autre bout du spectre, un autre internaute rétorque :

Bon, c'est vraiment un ramassis de conneries ce forum. A croire que tous les fachos se donnent rendez-vous ici pour casser de l'intello (intello = expression inventée par l'extrême droite durant l'affaire Dreyfus). Et oui, c'est vrai, aux USA, les sciences humaines sont florissantes, on y étudie Debord, Marx, Foucauld, etc. avec encore plus d'assiduité qu'en France. Finalement les américains vont bientôt être les vrais héritiers de nos éminents intellectuels passés, et par conséquent, sûrement plus inventifs... C'est affligeant de voir à quel point ceux qui s'expriment ici et cassent les Sciences humaines, peuvent être poujadistes dans leur raisonnement…

il se fait répondre à son tour :

Mon pauvre Laurent : Et allez, on se lâche... Tu critiques les SHS du CNRS, et tu deviens dans le désordre d'apparition sur scène 1) un facho 2) un anti-dreyfusard 3) un sale capitaliste américanophile et 4) un poujadiste. Dans ta prose, tu as oublié les qualificatifs de "criminel de guerre nazi" et de "génocidaire serbo-croate (ou rwandais)". Je te conseille de revoir ton texte pour pallier ces manques.

Précisons que le dit Laurent faisait partie de tous ceux (nous y reviendrons) qui avaient, auparavant, tenté d’intervenir de façon circonstanciée et argumentée dans le débat.

Le lendemain, on lira encore en réponse à un article plus synthétique :

En même temps ça me parait normal que la place des SHS soit limitée puisque ça ne sert quand même pas à grand chose les SHS, il vaut mieux donner les moyens des SHS à des trucs utiles comme la physique, la médecine, la biologie, etc. Mais pourquoi donc avons-nous des centaines de milliers d'ingénieurs en Californie et quasiment ZERO chercheurs US au CNRS??? Moi je te démantèlerais tout ca et mettrais d'office tout le monde a la retraite. Et on recommence à zéro avec ceux qui le veulent vraiment sur des bases strictement FINANCIERES, car dans ce bas monde, c'est la monnaie qui dirige le monde (…)! Le CNRS ne sert quasiment a rien, point barre.… Avec, bien entendu, plus de réactions, encore, dans le sens opposé.Mais là n’est pas la question. Il ne s’agit pas d’un sondage ou d’un référendum. Il ne s’agit pas non plus de savoir si le lectorat de Libération (ou tout au moins celui de liberation.fr) est à ce point « vulgarisé » qu’il peut désormais exprimer des points de vue qu’on rencontrait naguère davantage, me semble-t-il, dans le courrier des lecteurs de Minute.Non, serais-je tenté de dire, le problème, c’est le voisinage des autres textes du forum (ce mot dit tout : nous sommes sur la place publique, foule joyeusement bigarrée) ! Sur fond de propos de comptoirs à l’heure bien avancée de l’apéritif (celle du troisième ou quatrième verre), ou du café crème après une mauvaise nuit (passée peut-être à faire le calcul de ses impôts, montant de ses emprunts et autres charges), s’élèvent de nombreuses voix qui tiennent des propos sérieux, documentés, argumentés. On ne peut manquer alors de s’interroger sur le curieux effet de nivellement ainsi produit.Cette rencontre insolite sur un même terrain entre l’expression d’une rancœur, de frustrations accumulées, d’affects troubles et une pensée tout simplement rationnelle ne produit-elle pas en quelque sorte un effet de légitimation?Magie de l’internet ! On peut y voir une victoire de la démocratie. Mais quitte à passer pour odieusement élitiste, ou même à me faire traiter, horresco referens ! de quasi Finkielkrautien, je serais tenté de dire que ce triomphe est payé au prix fort : par la validation de l’idée implicite que toutes les pensées se valent exactement, pour peu que l’on croie avoir quelque chose à dire : citoyen, je suis ton égal ! Pas seulement en naissance et en droit, mais également en capacité de juger de tout et de rien.J’en vois déjà soulignant la contradiction : après tout, j’écris moi-même ces lignes sur internet, j’y lance une forme de provocation au débat. Je pourrais couper court à ce reproche en m’engageant à ne pas le poursuivre. Ce serait sans doute sage et un minimum cohérent. Mais je ne veux pas me priver de l’éventuel plaisir d’en découdre. On verra bien ; d’ailleurs ; peut-être que personne ne me lira jamais.Je préfère donc revendiquer le droit à la contradiction, voire le devoir de contradiction, meilleur antidote à la Pensée Unique. Je lance donc pour ce premier billet un appel à tous mes co-résidents du net : méfiez-vous du net ! Prenez de temps en temps un bon bouquin ! Allez-voir un bon film ! Accordez-vous des moments de vraie réflexion ! Descendez voir ce qui se passe dans la rue…

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