Il y a de cela une dizaine de jours, une de mes collègues de travail me racontait, comme l’une de ces anecdotes piquantes de l’Ère nouvelle, qu’un nouveau fichier allait être mis en place pour compenser les accrocs faits à la parure de la belle Edvige. Ce fichier avait été, avec le tact dont nos actuels gouvernants ne manquent jamais de faire preuve, élégamment baptisé Destop, pour Dossier des Enfants Susceptibles de Troubler l’Ordre Public.
On a beau ne pas ignorer qu’aujourd’hui tout est possible, on n’en a pas moins lieu d’être encore assez souvent surpris. J’ai donc voulu en savoir un peu plus et me suis adressé à mon moteur de recherche favori pour retrouver effectivement un billet en date du 18 septembre rédigé par une personne des plus honorables, Jean-Pierre Rosenczveig, juge des enfants, qui nous apportait la bonne nouvelle sur un site des plus honorables, celui du Monde.fr.
http://jprosen.blog.lemonde.fr/2008/09/18/le-destop-remplace-edvige-270/
De quoi accorder quelque crédit à ce qui commençait à ressembler fort à une information. Tout juste pouvait-on trouver dans les commentaires à ce billet l’expression d’un doute sur l’authenticité de l’appellation : « Dites, Monsieur le juge… l’acronyme DESTOP, c’est vous qui l’avez trouvé, ou bien ceux qui nous gouvernent sont-ils à ce point déconnectés de la réalité qu’ils ne connaissent pas les noms de produits à déboucher les canalisations engorgées ? », question demeurée à ma connaissance sans réponse.Ainsi, nous vivons en un temps où une nouvelle aussi ahurissante peut être ingérée par de nombreux commentateurs qui intègrent immédiatement la donnée qui leur est fournie, quitte à manifester leur juste indignation, et où « l’information », reprise en plusieurs points de la Toile pendant quelques jours, circule suffisamment bien en ville pour, par exemple, me parvenir assez vite, au détour d’une conversation.Et ensuite ? Que se passe-t-il ? Pas grand-chose.
De fait, si le fichier Destop existe, s’il ne s’agit pas d’un canular, il mène aujourd'hui une vie paisible et peut tranquillement se déployer.
Cela pose quand même problème. Car enfin, de deux choses l’une !
- Hypothèse 1 : quelqu’un, dans l’appareil d’État a effectivement eu l’idée pas seulement saugrenue, mais positivement abjecte, de baptiser Destop un fichier d’enfants susceptibles (ou non) de troubler l’ordre public et d’envoyer ce message à peine subliminal qui nous dit : « il n’y a qu’une chose à faire, les traiter à la soude, ces sales mômes, et tirer la chasse ; ce ne sont, au font que des déchets dans des banlieues comparables à des égouts et des cités qui ne valent guère mieux que des cuvettes de chiottes (Le Pen, dont cette invention nous rappelle l’humour effectuerait-t-il des vacations pour le ministère de l’Intérieur ?) ; et, indépendamment de la question même de l’existence du fichier et de celle de son contenu, il y aurait quand même de quoi s’affoler en pensant qu’on en est resté là.
- Hypothèse 2 : il s’agit d’une vaste blague, mais qui, pour un certain nombre de gens, a tout de même été porteuse d’une véritable désinformation.
Et, honnêtement, entre les deux, je serais bien en peine de trancher. J’ai essayé de rechercher la trace d’un quelconque document officiel ou, à l’inverse, d’une apparence de démenti ; sans succès. Si quelqu’un avait plus brillamment que moi conduit ses propres investigations, je serais heureux de savoir ce qu’il a découvert.
En attendant, force m’est de constater que dans la surabondance de niouzes qui nous sont dispensées, il est moins que jamais aisé de démêler le vrai du faux.
Ce n’est guère réjouissant.