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Billet de blog 22 octobre 2008

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Prisons meurtrières

Voilà ! Il faut les hasards d’une série noire dans une même région pour nous rappeler à la triste réalité : 90 suicides en prison depuis le début de l’année ! Après une très relative amélioration de la situation en 2006 et 2007, au cours desquelles le nombre des détenus ayant mis fin à leur jours était tombé en dessous de 100, on renoue avec le sombre bilan des années précédentes : à peu près un suicide tous les trois jours depuis la fin des années 1990.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Voilà ! Il faut les hasards d’une série noire dans une même région pour nous rappeler à la triste réalité : 90 suicides en prison depuis le début de l’année ! Après une très relative amélioration de la situation en 2006 et 2007, au cours desquelles le nombre des détenus ayant mis fin à leur jours était tombé en dessous de 100, on renoue avec le sombre bilan des années précédentes : à peu près un suicide tous les trois jours depuis la fin des années 1990.

Bel indicateur, pour nos gouvernants qui en sont tant épris ! D’autant qu’il permet de faire valoir qu’il n’y a là aucune fatalité, puisqu’en 1980, le nombre de suicides en détention n’était encore que de 39, soit trois fois moindre.

Et puisque, pour une fois, nous avons choisi de parler chiffres, notons également ceci : selon un rapport d’enquête du Sénat pour 1999, sur les 13 maisons d’arrêt les plus importantes, le taux de suicide avait varié cette année-là d’une prison à l’autre de 18 à 143 pour 10 000 détenus. Malheureusement, en dehors de cette année 1999, aucune donnée statistique par établissement n’est disponible : est-ce la foi en la pertinence des indicateurs ou le désir de transparence qui est ici pris en défaut ?

Nul doute, pourtant, que l’accès à des données fines sur plusieurs années serait des plus précieuses pour l’interprétation d’un écart aussi considérable entre établissements. On remarque en effet que les très mauvais résultats pour cette année 1999 concernent des établissements de taille relativement modeste (143 suicides pour 10 000 détenus à Rennes, soit 5 pour 350 détenus ; 114 pour 10 000 à Lyon, soit 7 suicides pour 616 détenus), alors que la situation apparaissait sensiblement moins catastrophique dans les plus grosses centrales (18 suicides pour 10 000 détenus à Fleury-Mérogis, soit 6 pour 3333 détenus ; 27 pour 10 000 à Fresnes, soit 5 pour 1854 détenus).

Il ne serait évidemment pas inintéressant de savoir si cette apparente corrélation se retrouve systématiquement d’année en année ; si c’était le cas, on pourrait commencer à poser des questions sur ce qu’elle recouvre : une différence de moyens ? De « services » disponibles ? De mode de direction et de contrôle par l’Administration pénitentiaire ? Tout cela à la fois, sans doute.

Si, en revanche, la corrélation entre taille d’établissement et nombre de suicides devait être infirmée dans la durée, il resterait à observer si certains établissements ne sont tout de même pas abonnés aux bulletins calamiteux. On pourrait aller y voir de plus près, s’interroger sur l’influence éventuelle d’événements plus locaux, par exemple l’arrivée ou le départ d’un nouveau directeur ; l’instauration ou la modification d’un règlement ; l’augmentation ou la stagnation d’une dotation budgétaire.

Mais ce qu’on sait pertinemment, à défaut d’études plus fines, et qu’on se contente de répéter en boucle sans rien y faire, c’est que le risque de suicides croît avec le surpeuplement et le sous encadrement, plus marqué dans les maisons d’arrêt qui reçoivent des prévenus et des condamnés à de courtes peines, ce qui veut dire, en somme, que cette forme originale de peine de mort par suicide touche essentiellement des petits délinquants et des présumés innocents.

Un dernier chiffre : les reconnaissances d’irresponsabilité pour troubles mentaux lors de l’énoncé de verdicts ne cessent de décroître : 5 % des inculpés de 1970 en bénéficiaient contre 0,5 % des mis en examen de 1998. Comme il est évident que ce ne sont pas les troubles mentaux, mais leur reconnaissance qui diminue, cela veut dire que les prisons sont de plus en plus peuplées d’êtres fragiles psychologiquement et qui devraient certainement être ailleurs.

Enfin un domaine, voyons-nous, où il y aurait vraiment matière à évaluation ! Mais, précisément, cette évaluation-là, il ne semble pas qu’on soit très soucieux de la mener à bien, et encore moins de la rendre publique.

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