... stratège,
offre, si on le regarde les yeux ouverts, une vue imprenable sur un siècle d'erreurs dues à la sous-estimation d'une personne.
Tout d'abord le corps du délit, actuellement visible en replay.
L'introduction écrite, sur le site de la chaîne, annonce bien la couleur la grisaille :
Adolf Hitler a laissé à la postérité l'image d'un stratège militaire hors pair. L'invasion foudroyante de l'Europe occidentale (Belgique, Pays-Bas et France), déclenchée le 10 mai 1940, a marqué les mémoires en ce sens. Pourtant, dès cette campagne victorieuse, le dictateur nazi montre ses limites. Alors que le plan échafaudé par le général Erich von Manstein a conduit à l’encerclement des troupes françaises et britanniques dans la poche de Dunkerque, le Führer, par frilosité, manque l’occasion d’écraser définitivement ses ennemis. Néanmoins galvanisé par cet exploit qui n’est pas le sien, il lance une nouvelle guerre éclair à l’Est. Le 22 juin 1941, 3,5 millions de soldats allemands déferlent sur l'URSS, accompagnés par les Einsatzgruppen en charge de l’extermination des Juifs. Là encore, de l'enlisement du siège de Leningrad à l'offensive ratée de Koursk en passant par les batailles de Moscou et de Stalingrad, où ses troupes butent sur le terrible hiver russe et la résistance acharnée de l’Armée rouge, Hitler, aveuglé par l'orgueil et son idéologie mortifère, ruine par ses erreurs tactiques l’avantage colossal initialement acquis.
Relecture nuancée
Avec le temps, les travaux des chercheurs révèlent une réalité souvent plus nuancée que les idées communément admises. De l’imposture militaire d’Hitler aux lourdes contreparties du plan Marshall (...).
Henry Rousso a forgé en 1987 le mot "négationnisme" pour caractériser la petite secte qui niait la Shoah, en professant que l'usage de chambres à gaz pour un génocide était techniquement impossible. Ce concept mérite une plus large extension. La prédication du caporal Hitler à partir de 1919, tellement radicale qu'elle paraissait sans prise sur le réel, y a trouvé non seulement un point d'application mais a produit des effets gigantesques qui perdurent jusqu'à nos jours, en raison précisément d'un "avantage colossal" acquis par la destruction de la puissance française en quelques jours de mai 1940.
La part personnelle d'Adolf Hitler dans cette histoire tarde à être cernée. Contrairement à ce qui est écrit, peu d'études ont vu en lui "un stratège militaire hors pair". Surabondent en revanche les explications sociologiques, qui déplacent la question sans la résoudre. Ici, ce seraient les militaires de carrière qui auraient permis les succès, et l'ancien caporal qui les aurait gâchés.
Il se trouve que le cinéma, voici un an, a fait entendre à un large public un son de cloche différent. Le film Darkest Hour de Joe Wright (scénarisé par Anthony McCarten), en dévoilant la peine de Winston Churchill à maintenir le Royaume-Uni dans la guerre en mai 1940 (malgré la déroute de ses troupes en France et la perte de tout allié d'envergure), dessine en creux une vérité jusque là peu entrevue : Hitler est passé tout près d'une victoire totale et durable, au terme d'un parcours sans faute, du moins tout au long des années 1930.
Ce constat avait été dressé pour la première fois par l'historien John Lukacs en 1990 dans son livre The Duel / The Eighty-Day Struggle Between Churchill and Hitler.
Cette victoire manquée d'un cheveu ne saurait être le fait d'un mauvais stratège !
Plutôt que de se polariser sur les lacunes, effectivement béantes, de sa formation militaire, il convient de prendre la mesure de son projet, dans lequel la guerre n'est qu'un moyen de la politique, et de se demander quelle paix il visait. Non pas de simples conquêtes, comme son prédécesseur Guillaume II, mais un rééquilibrage du monde sur la base d'un mythe racial.
Il devait être dominé par un aigle aryen à deux têtes, l'une à Berlin et l'autre à Londres. Cela passait par un écrasement de la France... dans un processus où l'armée anglaise, si précieuse pour dominer à jamais les peuples de couleur, devait laisser le moins de plumes possible.
C'est cela que la venue au pouvoir, in extremis, de Churchill fait échouer de justesse.