Je voudrais maintenant revenir sur le document venu au jour le 3 octobre 2010 par la grâce de Serge Klarsfeld. Il le présente lui-même longuement dans une déclaration filmée devant le mur où sont gravés (largement grâce à lui) les noms des Juifs de France assassinés :
http://www.akadem.org/sommaire/themes/histoire/1/2/module_8583.php
Il est pittoresque de voir un juriste, s'arrêtant une seconde pour chercher le mot juste, émettre celui de "promulgation" pour caractériser l'acte censé (d'après le JO de Vichy et aucune autre source) se dérouler le 3 octobre 1940. La promulgation, c'est précisément la publication au JO de ce texte jusque là inconnu du public, dans sa teneur comme dans son existence. Elle a lieu le 18 octobre.
Pinaillage ? les serviteurs intégristes de Clio ne manqueront pas de le dire. Ma seule ambition est d'attirer l'attention de ses serviteurs méticuleux, et curieux.
Je soupçonne d'ailleurs l'ami Serge d'avoir de bonnes lectures. Ainsi fait-il un rapprochement entre le statut des Juifs et Montoire, que faisait déjà l'unique livre d'historien consacré à cette rencontre, en 1996. Mine de rien, il prend un virage sur l'aile. Son Pétain est un serviteur des Allemands, affairé à leur plaire. De là à dire qu'il fait élaborer ce statut pour placer sous les meilleurs auspices l'audience que dans le même temps il supplie Hitler de lui accorder, il n'y a plus qu'un léger pas... L'abîme qui séparait depuis 70 ans les deux événements devient un ruisseau... devant lequel cependant on s'arrête et recule : SK persiste à dire que le statut est adopté "sans pression allemande" et résulte d'un antisémitisme "autochtone". Il va même jusqu'à dire que sans cet antisémitisme-là "la Solution finale n'aurait peut-être pas eu lieu en France".
Je subodore moi-même que Pétain, âne bâté politique jusqu'aux années 20 incluses, tombe dans les années 30 sous l'influence de Maurras et reçoit alors des cours de rattrapage antisémite. Puis admire de plus en plus le "redressement" de l'Allemagne sous l'autorité de Hitler, en cherche la recette et se demande si la purification ethnique n'y est pas pour quelque chose. Cependant l'histoire des premiers mois de l'Occupation montre (je suis là-dessus Laurent Joly) qu'il y a non pas une pression allemande mais... comment dire... un dialogue, c'est le mot le moins mauvais encore qu'avec le nazisme décidément les noms communs vont mal, tellement tout est momentané et spécifique.
Loin de brûler d'exclure les Juifs par un élan "autochtone", les dirigeants vichyssois (eh oui, c'est là qu'ils habitent...) sont tout occupés à scruter l'oracle berlinois. Pour eux en cet été Churchill est un matamore provisoirement attardé sur un fauteuil gouvernemental et il s'agit d'en profiter pour refiler à l'Angleterre la plus grosse partie de l'ardoise de la défaite, dans la paix générale qui se profile à l'horizon proche. L'automne, qui voit l'Angleterre tenir bon sous les bombes, ne modifie que légèrement la donne : la durée de la guerre devient imprévisible mais l'Allemagne garde tellement d'atouts qu'il reste raisonnable de parier sur elle, et de chercher à se rendre utiles dans sa victoire.
Dans les conversations multiformes entre occupés et occupants, les désirs allemands sont des ordres et, s'il n'y a pas de statut des Juifs plus tôt (alors que l'"antisémite autochtone" Alibert en caresse le projet dès la fin juin), c'est qu'il n'est pas réclamé. La logique consistant à sacrifier les Juifs, autant qu'il faudra, pour le salut du pays, est parfaitement originelle, mais justement, si l'occupant ne demande rien à cet égard, on craint qu'il ne donne rien en échange. Le jeu est tout à fait comparable à celui de la prostituée : par des oeillades prometteuses elle espère exciter le client, et l'inciter à mettre la main au portefeuille. On commence donc par des lois discrètement antisémites, touchant la fonction publique (le gouvernement s'arroge le pouvoir d'en chasser qui bon lui semble), les naturalisations (révisables à compter de 1927) et surtout la création de la cour de Riom, faite pour juger les "responsables de la guerre et de la défaite", c'est-à-dire, si Berlin paye, pour envoyer prestement au poteau d'exécution des gens comme Mandel et Blum.
Dès ce mois de juillet, si Pétain garde quelque dignité et quelque vertu, c'est grâce à Hitler.
PS
sur Montoire :
-le texte de la conversation : http://www.delpla.org/article.php3?id_article=398
- un article : http://www.delpla.org/article.php3?id_article=122
-Daladier prêt à renier la déclaration de guerre : http://www.delpla.org/article.php3?id_article=122