François Delpla

historien

Abonné·e de Mediapart

250 Billets

0 Édition

Billet de blog 3 octobre 2025

François Delpla

historien

Abonné·e de Mediapart

L'histoire en procès à Bobigny le 16 octobre

Ne vous faites pas avoir ! Il ne s'agit pas dans cette polémique d'être pour ou contre Pétain, mais pour ou contre Macron

François Delpla

historien

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.


Jean-Marc Berlière et René Fiévet, coauteurs avec Emmanuel de Chambost du livre Histoire d'une falsification (L'Artilleur, 2023), assignent en diffamation le Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire (CVUH) pour une phrase de trop dans une recensionhttps://lnkd.in/eT6cVKG5 :
" Du point de vue de ces historiens révisionnistes, l’autre est l’ennemi, notamment le juif, étranger par définition selon le point de vue des véritables falsificateurs. "
La falsification qui donne son titre au livre incriminé est évidente et indiscutable : elle a été commise par le président français à Pithiviers le 17 juillet 2022, lorsqu'il a présidé la commémoration de la rafle du Vél 'hiv (16 et 17 juillet 1942) en mettant l'accent sur l'antisémitisme de tradition française, sans nommer ni Heydrich ni Eichmann, les commanditaires, venus en personne à Paris coordonner la manoeuvre conformément aux conclusions de leur conférence de Wannsee, le 20 janvier précédent. Elle-même faisait suite à un ordre de massacre des Juifs donné par Hitler à Himmler dans l'automne 1941.
Aucun membre de ce quatuor n'est nommé dans le discours de Macron ! Pas plus que les Allemands en poste à Paris, comme occupants, Best, Oberg, Knochen, Abetz, Dannecker, Hagen, etc. En revanche, une brochette comprenant Pétain, Laval, Bousquet, et Darquier, dit de Pellepoix, est incriminée à deux reprises.
Ni les auteurs du livre, ni celui de ces lignes ne songent à innocenter ces personnages...
ET NOTAMMENT PAS DARQUIER, agent allemand depuis 1937 (au plus tard) comme Laurent Joly l'a démontré en 2001  dans un article consultable en ligne , puis dans un livre en 2023 . Ce personnage avait été imposé par Werner Best, le 6 mai 1942, comme successeur de Xavier Vallat à la tête du Commissariat général aux questions juives (un ministère créé à Vichy sur l'injonction des Allemands en mars 1941), ainsi que je l'ai établi en 2018 dans mon livre Hitler et Pétain.
C'est le devoir et l'honneur des historiens de ne pas cautionner un pouvoir politique quand il tient des discours infidèles aux faits, et à plus forte raison quand cette prose tend à dévaloriser la patrie, en lui prêtant des actes imposés par un occupant après une défaite militaire.
Encore une fois, le procès ne concerne qu'une phrase aussi vulgaire qu'inexacte, et non l'ensemble des critiques émises par le CVUH, dont la pertinence n'a pas à être jugée par un tribunal.
Je saisis cette occasion pour un rappel hélas nécessaire aujourd'hui, à ce propos et à bien d'autres : toute accusation fausse d'antisémitisme nourrit l'antisémitisme. Ce brouillage de pistes fournit aux vrais coupables un abri inespéré.

Ma propre position d'historien est la suivante : si l'histoire de l'Occupation nourrit encore tant de passions contraires, c'est qu'elle est encore dans l'enfance.
Comme l'est et le sera l'histoire du nazisme, aussi longtemps qu'on sous-estimera l'influence de la personnalité d'Hitler. Du point de vue de sa démence, comme de celui de son talent.
Il est le premier conscient de l'énorme difficulté de maîtriser sa proie française, dans le cadre d'une guerre qui tourne de plus en plus mal pour lui. Il ne sous-estime pas, lui, notre attachement à la République et aux droits de l'homme, ni notre patriotisme. Il a trié soigneusement ses représentants sur place et communique avec eux très fréquemment, par un truchement ou un autre.
Comme toute science, l'histoire a besoin d'institutions universitaires pour engranger ses résultats, et nourrir à leur sujet des débats de bon aloi. Mais ces institutions sont menacées à tout moment de dérives mandarinales, génératrices de scléroses.
Pour prendre un exemple dans le domaine considéré, une percée scientifique de grande portée a été réalisée par Barbara Lambauer en 2000 dans sa thèse sur Abetz : un recensement exhaustif (dans les limites d'une documentation fort lacunaire) des rencontres entre Abetz et Hitler. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les maîtres reconnus de la génération précédente, invoqués tant et plus dans la présente polémique, ne se sont pas précipités sur ces informations pour réviser ou préciser leurs analyses.
L'infortuné président Macron ne doit donc pas porter seul le blâme pour la trop faible attention qu'il accorde au rôle de l'occupant dans la rafle du Vél d'hiv.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.