Historiciser le mal : le ridicule commence avec ce titre, qui rompt avec l'édition mère allemande (Munich 2016), laquelle s'intitulait sobrement Hitler Mein Kampf Une édition critique. Mais le ridicule est souvent commun, tant les deux entreprises encadrent excessivement le texte par un appareil qu'on a comparé au sarcophage de Tchernobyl. La métaphore peut être actualisée par celle de "geste-barrière". Plutôt qu'un carcan de notes fastidieusement péjoratives, souvent destinées à illustrer le peu d'inventivité d'Hitler par l'attribution de la paternité de ses idées à tel auteur antérieur, il conviendrait d'étoffer les introductions (générale ou de chapitres) par de fines études de ces emprunts et des inflexions qu'Hitler leur fait subir. Car enfin cet auteur est original, sans quoi prendrait-on toute cette peine ?
Il ne s'agit là que de lourdeurs, qu'on retrouve aussi dans la traduction, certes moins déformante que celle de 1934 mais souvent sottement littérale, dans le dessein de ridiculiser l'auteur par des tournures bizarres en français alors qu'elles ne le sont nullement dans l'original. Par exemple, le mot "Volksgenosse" est sempiternellement traduit par "camarade du peuple" alors qu'il signifie tout bonnement "compatriote". Hitler subit ici un traitement de défaveur inusité dans les autres traductions, qui n'ajoute rien à sa noirceur mais semble fait pour soulager la conscience des auteurs.
Le pire est ailleurs. Dans les chapitres sur la politique extérieure, les anathèmes d'Hitler contre la France et ses projets envers elle sont à peine soulignés et surtout, jamais mis en rapport avec le traitement de ce pays en 1940 et suivantes, alors que l'ouvrage s'occupe, à juste titre, de montrer en quoi ce livre préfigure la politique de son auteur lorsqu'il est devenu chancelier. De même, le projet d'une alliance avec l'Angleterre, non pas pour des raisons d'opportunité mais de cousinage "racial", s'il n'est pas ignoré, est censé n'avoir duré que jusqu'en 1937, le peu d'empressement du Royaume-Uni à saisir la main tendue ayant amené Hitler à le considérer comme un ennemi et à accepter le risque d'une guerre contre lui.
En réalité il s'est rendu compte, on ne sait trop quand, qu'il ne pourrait guerroyer contre la France sans que l'Angleterre, comme en 1914, prenne sa défense, et qu'une alliance ferme avec Londres ne pouvait survenir qu'après la défaite française. Ainsi fut fait : la percée de Sedan, en 1940, mettait la France à la merci d'Hitler tandis que l'Angleterre, peu engagée encore dans la guerre, aurait dû normalement signer la paix aussi. On sait de mieux en mieux que cette issue, combattue par Churchill, faillit bien advenir tout de même car Winston, nommé premier ministre in extremis, fut bien près d'être renversé au profit d'Halifax, fin mai puis fin juin 1940. Il s'ensuit que le projet esquissé dans Mein Kampf, certes audacieux, n'était nullement irréaliste. Car la paix, survenant en 1940, n'aurait été rompue ni par Roosevelt (que rien n'aurait autorisé à briguer un troisième mandat), ni par Staline... mais seulement par Hitler lui-même, dans des conditions beaucoup plus favorables, pour compléter son "espace vital" au détriment des Slaves, que le jeu de quitte ou double tenté le 22 juin 1941 avec l'opération Barbarossa, tandis que les Etats-Unis étaient, sous l'aiguillon de Churchill, transformés en "arsenal de la démocratie".
Mais le nom de l'homme d'Etat anglais qui a fait échouer le projet de Mein Kampf à la veille de son accomplissement est entièrement omis par les auteurs ! Sans quoi ils auraient eu du mal à intituler un sous-chapitre de l'introduction "La promesse d'une catastrophe".