... Et presque tous se fondaient sur la réputation antérieure des commettants : ils n'avaient jamais, ni livré une pochade bâclée, ni accumulé les erreurs factuelles, donc ils ne pouvaient l'avoir fait cette fois-ci. Hé si ! Le constat de Loez, tous comptes faits plutôt indulgent, et le livre lui-même, offrent une excellente occasion de prendre conscience d'une tare beaucoup plus générale : Hitler reste très méconnu, et les analyses du nazisme ont énormément souffert de cette carence, pendant bientôt un siècle.
Voici tout d'abord des liens permettant de connaître les échanges d'aménités:
Sur le site des Inrockuptibles
Sur un forum
Dans Le Monde
Je ne voudrais pas me faire l'avocat des deux diablotins, mais, tout de même, prendre quelques distances avec la critique et la réponse du Monde.
Il y a deux bouts à une lorgnette, et André Loez a choisi le petit : les erreurs factuelles, dont effectivement il n'a donné qu'un aperçu. J'en ai relevé bien d'autres et pourrais en parler longtemps. Mais l'essentiel est dans la démarche, et notamment dans cette phrase d'une salariée de l'éditeur, dont les auteurs se réclament dans l'interview des Inrocks :
JC - je crois qu’il faut citer l’attachée de presse des PUF, Camille Auzeby, qui a, je crois, trouvé la bonne expression pour notre livre : "ce livre est la biographie qui vous fera oublier Hitler".
Il en croit, des choses, cet homme ! Et ne croit sans doute pas si bien dire : la démarche est de type religieux. Et elle jette une lumière cruelle, non seulement sur l'oeuvre des deux auteurs, mais sur une foultitude d'ouvrages sur le nazisme -y compris ceux de Kershaw, qui a beaucoup travaillé et évité, à quelques bavures près, les erreurs factuelles. Je trouverais tragique que ces deux-là soient en définitive des boucs émissaires, alors que leurs précédents livres en valent bien d'autres.
L'idée que Hitler n'est pour rien dans un grand nombre d'actes où il est pour quelque chose est en effet la grande limite des visions diverses et variées, de l'extrême droite à l'extrême gauche en passant par l'extrême centre, qui ont cours depuis 98 ans (à l'origine, dans la presse bavaroise socialiste ou catholique de 1920) et, donc, bientôt, un siècle, à moins que...
que ce livre déclenche une prise de conscience universelle !
Les deux grands juges de paix sont, là-dessus, l'incendie du Reichstag et le vol de Rudolf Hess : l'implication de Hitler est évidente si on considère le pouvoir dont il jouissait, et pour ordonner, et pour effacer les traces. Il n'y a certes pas de documents qui le montrent la main dans le sac... mais pas non plus qui suivent constamment sa main pour démontrer qu'elle ne touche jamais au sac ! Et pourtant la thèse de sa non-implication est encore aujourd'hui majoritaire, même si elle est en recul. Elle s'étale notamment chez Kershaw.
Ce que j'appelle une démarche religieuse, c'est le fait de considérer a priori que Hitler n'est pour rien dans une décision quand on n'a pas sous la main un document qui atteste qu'il l'a prise. Qu'on m'entende bien : il ne s'agit pas d'affirmer sans preuve, mais seulement de ne pas exclure. Et aussi, bien sûr, de rechercher avec une patience et une acuité de détective les preuves de son implication quand elle est hautement vraisemblable.
La recherche a pris un très mauvais pli à l'époque du fonctionnalisme (1960-1990, en gros), comme avec un fer à repasser, en insistant cent fois pour qu'il soit définitif : attribuer le plus possible la politique et l'idéologie du Troisième Reich à la société allemande et à la conjoncture du moment, sans que le moindre projet nazi d'ensemble soit évoqué. Nos duettistes poussent cette logique tellement à fond que leur entreprise vaut démonstration du contraire, par l'absurde.