Le ver est déjà dans le titre : il n'y a pas de monde nazi, mais un monde défié par le nazisme et s'en dépatouillant plutôt mal, avant de trouver péniblement la parade.
Ce monde est bien absent ici et les considérations géopolitiques se font attendre comme la pluie dans le désert.
UNE VISION INDIGENTE DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE NAZIE
L'examen de l'index offre de nombreuses surprises. Témoin l'omission du vol de Rudolf Hess (un ministre dont toute mention disparaît à partir de la page 188 et de l'année 1934) et le fait que Churchill, dans la seule occurrence de son nom en 568 pages, est censé n'avoir fait échouer le projet nazi que sur un point : le projet de transfert des Juifs à Madagascar, rendu impossible à l'automne 1940 par sa maîtrise des mers.
Dans le ch. 8 "La politique extérieure nazie 1933-1939", le nazisme est censé tâtonner vers l'est en testant les réactions occidentales. Pas un mot sur la progression méthodique de ses revendications, ni sur son agressivité foncière envers la France sous un déluge de paroles de réconciliation.
Une agressivité déjà ignorée -un comble !- dans les éditions récentes de Mein Kampf (2016 en RFA, 2021 en France), Ingrao et Patin ayant collaboré à la française... tandis que Chapoutot s'y refusait car d'Hitler il ne veut littéralement pas entendre parler.
Cette omission entraîne la répétition d'une erreur canonique : Hitler serait surpris et déçu que la France lui déclare la guerre le 3 (et non le 4 !) septembre 1939.
Rien d'étonnant à ce que la comédie de l'été 1939
où Hitler affecte de croire que l'Occident ne réagira pas à son agression contre la Pologne,
abuse encore ces auteurs après avoir mystifié les contemporains.
Hitler a BESOIN QUE LA FRANCE SOIT EN GUERRE POUR L'ÉCRASER, est-ce si difficile à comprendre ?
Il ne lui avait laissé aucune autre issue,
et croire qu'il ne s'en rendait pas compte, c'est lui prêter une nullité absolue en stratégie, en diplomatie et en droit.
Une contradiction, p. 303, tend à montrer qu'on ne s'est même pas relu :
l'Allemagne occupe Memel
"une semaine à peine après l'entrée de la Wehrmacht à Prague, sans réaction de la communauté internationale. (...) alors que, en réaction à l'annexion de Memel, le Royaume-Uni a donné des garanties de sécurité à la Pologne ..."
En réalité, c'est l'affaire de Prague (le 15 mars) qui a entraîné le (platonique) durcissement de la politique de Chamberlain... qui se traduit par l'annonce de la garantie par Londres des frontières de la Pologne... le 31 mars.
L'OMISSION LA PLUS GRAVE : LA RUSE NAZIE
La marche à la guerre n'est donc pas présentée comme un ballet bien réglé, mais comme une suite d'improvisations. Ainsi, le pacte germano-soviétique (23/8/1939) n'est pas le brusque aboutissement, au moment où Hitler en a besoin, d'un jeu de chat et de souris. Ribbentrop fonce soudain à Moscou où Français et Britanniques négocient à loisir pour permettre "d'éviter une guerre sur deux fronts" tandis que Staline satisfait des aspirations territoriales anciennes, renouant avec le partage de la Pologne au XVIIIème siècle (d'une façon générale, le livre se réfère beaucoup trop au passé et aux traditions pour expliquer des décisions et des projets motivés par des préoccupations présentes).
En fait, Hitler a affiché depuis 1933 l'anticommunisme le plus résolu -au point qu'un rapprochement entre Berlin et Moscou semble improbable aux chancelleries occidentales-, pour faire craindre à Staline un assaut contre lui dans la foulée de la campagne de Pologne. Ce que voyant Staline pose des jalons vers un pacte dès janvier 1939 mais Hitler lui tient la dragée haute, et ne cède aux revendications soviétiques sur les Etats baltes (vitales pour la sécurité de l'URSS, vu les terribles incertitudes de l'heure) que quelques jours avant le 23 août, créant un effet de surprise essentiel pour empêcher Paris et Londres de se préparer adéquatement à soutenir la Pologne.
Le refus de voir à quel point tout est planifié et calculé, et quelle débauche de ruse et de comédie Hitler déploie pour créer des illusions et de la perplexité, n'altère pas seulement les pages sur la politique extérieure. Sur le plan gouvernemental également, même si l'anarchie que croyait voir Chapoutot dans ses derniers livres est ici tempérée et Hitler bien présent au gouvernail, beaucoup trop de structures et de décisions sont attribuées à des rivalités mortelles entre dirigeants.
C'est ainsi que les relations d'Hitler avec les SA sont vues au prisme d'un rapport de forces entre lui et leur chef d'état-major Ernst Röhm. La façon dont Hitler, en plusieurs années, accule Röhm dans un coin du ring avant de le mettre KO, en se réservant notamment de découvrir et de châtier son homosexualité au moment opportun, échappe complètement aux auteurs.
L'histoire du nazisme ne doit pas être prisonnière des documents. Sous un tel chef, il faut d'abord y soupçonner un sens caché, quitte à conclure qu'on peut en définitive les prendre pour argent comptant. C'est après un tel examen, et tous ensemble, qu'ils prennent sens, en dessinant des trajectoires.