Ainsi les plus abjects, les plus vils, les plus minces
Vont régner !
Paix ! disent cent crétins. C'est fini. Chose faite.
Il règne. Nous avons voté ! Vox populi. -
˗ Oui, je comprends, l'opprobre est un fait accompli.
Mais qui donc a voté ? Mais qui donc tenait l'urne ?
Mais qui donc a vu clair dans ce scrutin nocturne ?
Où donc était la loi dans ce tour effronté ?
Où donc la nation ? Où donc la liberté ?
Ils ont voté !
Troupeau que la peur mène paître
Sots, qui vous courroucez comme flambe une bûche ;
Qui déclarez, devant la fraude et l'attentat,
La tribune fatale et la presse funeste ;
Fats, qui, tout effrayés de l'esprit, cette peste,
Criez, quoique à l'abri de la contagion ;
Niais, pour qui cet homme est un sauveur ; vous tous
Qui vous ébahissez, bestiaux de Panurge,
Est-ce que vous croyez que la France, c'est vous,
Que vous êtes le peuple, et que jamais vous eûtes
Le droit de nous donner un maître, ô tas de brutes ?
Quand un peuple se laisse au piège estropier,
Le droit sacré, toujours à soi-même fidèle,
Dans chaque citoyen trouve une citadelle ;
On s'illustre en bravant un lâche conquérant,
Et le moindre du peuple en devient le plus grand.
Donc, trouvez du bonheur, ô plates créatures,
À vivre dans la fange et dans les pourritures,
Adorez ce fumier sous ce dais de brocart,
L'honnête homme recule et s'accoude à l'écart.
Dans la chute d'autrui je ne veux pas descendre.
L'honneur n'abdique point. Nul n'a droit de me prendre
Ma liberté, mon bien, mon ciel bleu, mon amour.
Tout l'univers aveugle est sans droit sur le jour.
Fût-on cent millions d'esclaves, je suis libre.
Ainsi parle Caton. Sur la Seine ou le Tibre,
Personne n'est tombé tant qu'un seul est debout.
Le vieux sang des aïeux qui s'indigne et qui bout,
La vertu, la fierté, la justice, l'histoire,
Toute une nation avec toute sa gloire
Vit dans le dernier front qui ne veut pas plier.
Pour soutenir le temple il suffit d'un pilier ;
Un Français, c'est la France ; un Romain contient Rome,
Et ce qui brise un peuple avorte aux pieds d'un homme.
Victor Hugo, "Ils ont voté !" (extrait), in "Les Châtiments", III, 4, 1852.
(merci à Laurent Henninger)
Depuis la rédaction des Châtiments, le suffrage universel s'est consolidé en France et dans le monde. Surtout depuis la victoire sur Hitler que nous fêtons aujourd'hui. Reste à empêcher les illusionnistes de le truquer.
Si on veut que les élections législatives ne soient pas elles-mêmes une mascarade, il n'y a pas une minute à perdre pour faire remarquer l'imposture de l'élu qui affecte de croire que son nauséabond "projet" a été plébiscité... alors qu'il avait pour adversaire, à cause d'un mode de scrutin stupide, une candidate abjecte et qu'il appelait lui-même à lui faire obstacle, couvrant d'opprobre pour cette raison ceux qui prônaient l'abstention, le vote blanc ou la libre décision dans le secret de l'isoloir.