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Trente-deux années de recherches et de réflexions sur Hitler et son régime (depuis qu'en novembre 1990 les héritiers du général Doumenc, troisième personnage de l'armée vaincue en 1940, m'avaient chargé de publier ses archives sur l'événement) ne m'avaient pas suffi pour pour mettre en doute la "crise cardiaque" qui avait emporté Leopold von Hoesch, ambassadeur d'Allemagne au Royaume-Uni, le vendredi 10 avril 1936, soit 34 jours après la très audacieuse et dangereuse remilitarisation de la Rhénanie par son gouvernement.
La stimulation produite par les débats consécutifs à la mort de la reine Elizabeth y a très récemment pourvu.
Après avoir sobrement expliqué le décès du diplomate par une crise cardiaque, la presse allemande, le 13 avril, donne les détails suivants, fournis par l'ambassade (source : Freiburger Zeitung, édition du matin https://fz.ub.uni-freiburg.de/show/fz.cgi?cmd=showpic... ) :
"Le défunt ambassadeur souffrait du coeur depuis quelques années et avait connu il y a un an une sévère attaque, qui avait suscité de l'inquiétude. Mais Herr von Hoesch n'avait pas pris la maladie au sérieux et avait insisté pour que son travail ne connût aucune interruption. Jeudi soir il dit qu'il ne se sentait pas bien, mais vendredi matin il se leva comme d'habitude. En s'habillant il fut pris de vertiges et se fit recoucher par son serviteur. Un médecin fut appelé, mais ne put rien faire de plus. La mort de l'ambassadeur survint peu après."
Un article de l'historien anglais Esmonde Robertson (1923-1986) https://www.ifz-muenchen.de/heftar.../1962_2_4_robertson.pdf , écrit en 1962 à la faveur d'un séjour à l'Institut für Zeitgeschichte de Munich, donne beaucoup de détails sur les sentiments du corps diplomatique allemand avant et après la remilitarisation, en fouillant hélas plus le côté italien que le versant britannique. Il apparaît néanmoins que Hoesch et son attaché militaire, Geyr von Schweppenburg, n'en menaient pas large et redoutaient, au moins pendant une semaine, une sévère réaction de Londres. Peut-être n'avaient-ils pas une confiance illimitée envers le "go between" (selon l'expression de Karina Urbach https://www.amazon.fr/Go-Betweens-Hitler.../dp/019870366X ) Carl Eduard von Coburg, qui assurait en février et mars, par de nombreuses navettes, une liaison entre Hitler et le nouveau (et éphémère) roi Edward VIII.
Sitôt reçue la nouvelle, le New-York Times (daté du 11 avril) avait titré :
"VON HOESCH DIES / GERMAN DIPLOMAT /Ambassador to London / Under Strain Since Locarno Coup / Succumbs to Heart Attack"
La remilitarisation était perçue comme une entorse au traité de Versailles mais aussi et surtout à celui de Locarno, que l'Allemagne avait signé sans pression ni menace en 1925. Le quotidien new-yorkais avalise non seulement la cause officielle du décès (sans doute avant d'en connaître les détails, donnés le lendemain), mais en fournit aussitôt une explication : le malheureux était "sous pression depuis le coup de Locarno".
Curieusement, dans cette période de tension, l'ambassadeur n'est pas remplacé immédiatement : Hitler attend le 11 août pour nommer son successeur en la personne de Joachim von Ribbentrop, spécialiste des relations germano-anglaises mais à l'intérieur du Parti nazi et non du ministère, dirigé depuis 1932 par le conservateur Konstantin von Neurath. Le corps diplomatique en général est un bastion de la droite non nazie, comme en témoignent notamment le maintien, à l'ambassade de Rome, du futur résistant Ulrich von Hassell, nommé en 1932, et l'envoi à Vienne de Franz von Papen, en juillet 1934. Tous deux seront débarqués, ainsi que leur ministre, le 4 février 1938, jour où Ribbentrop quittera ses fonctions londoniennes pour diriger le ministère.
Le remplacement de Hoesch par Ribbentrop à Londres apparaît donc comme une première brèche importante, mais pratiquée avec une sage lenteur, dans le monopole conservateur sur les canaux officiels de la diplomatie allemande. Était-ce là, pour autant, le fruit d'un complot au long cours, passant par le meurtre du précédent titulaire ? Ce qui est sûr, c'est qu'Hitler n'avait aucun scrupule à se débarrasser des gens qu'il estimait gênants et disposait pour cela d'un corps de dévoués serviteurs, les SS, dont il avait testé l'obéissance aveugle à des ordres d'assassinat lors de la nuit des Longs couteaux (30 juin-2 juillet 1934). Il avait pu les infiltrer à toutes fins utiles dans divers secteurs de l'appareil d'Etat, par le biais du Sicherheitsdienst (SD) que dirigeait Heydrich.
En attendant, peut-être, que des archives privées ou publiques permettent de vérifier les allégations de l'ambassade sur la santé précaire de Leopold von Hoesch, on peut dès maintenant tirer d'importantes leçons de la naïveté des médias et des milieux politiques internationaux.
Hitler est déjà un criminel notoire, mais il ne suscite ni interrogations ni enquêtes sur des décès inattendus qui le servent.