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Billet de blog 18 mai 2025

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Quand le Monde met 33 ans à remarquer un travail historique...

... est-ce un critère de médiocrité ou de qualité ?

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Pascal Riché écrit dans le Monde des livres  daté du 16 mai 2025 :
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« Sur ordre d’Hitler », de François Delpla : enquête sur la
longue liste des morts suspectes des opposants au Führer


Dans son livre, l’historien décrit la politique d’assassinats ciblés du régime nazi et s’interroge sur des
dizaines de décès d’opposants, un dossier encore peu exploré par les historiens.


En ouvrant Sur ordre d’Hitler (Cerf, 408 pages, 24 euros), de François Delpla, la première
réaction est de se demander si ce spécialiste du nazisme n’a pas perdu son temps : quel intérêt y a-
t-il à enquêter sur des « assassinats ciblés » commis par un homme auteur de crimes de masse bien
plus abominables : 6 millions de juifs, 3,3 millions de prisonniers russes, plusieurs centaines de
milliers de Tziganes, plusieurs centaines de milliers de personnes handicapées…


Pourtant, l’analyse pointilleuse des éliminations d’opposants, souvent décidés par Hitler lui-même, et
les interrogations posées par des dizaines de morts suspectes, éclairent un aspect peu exploré du
régime national-socialiste. Ces crimes froids, planifiés, méthodiques, mais longtemps éclipsés par
l’horreur des massacres et des camps, méritent certainement une place dans le cabinet des horreurs
du IIIe Reich.


Quelques événements sont bien connus, comme la Nuit des longs couteaux en 1934, l’assassinat
du chancelier d’Autriche Engelbert Dollfuss (en 1934 également), ou le suicide imposé au maréchal
allemand Erwin Rommel dix ans plus tard. Mais bien d’autres ont été oubliés. Au terme de son
enquête sur ces « cold cases », François Delpla ne parvient pas toujours à démontrer qu’Hitler a
ordonné toutes ces morts inexpliquées. Mais la longueur de la liste rend peu crédible l’hypothèse de
décès non criminels.


Simples coïncidences ?


L’idée du livre est née de la prise de conscience par l’auteur que trois des quatre hauts diplomates
réputés les plus hostiles au nazisme étaient morts en moins de six mois, entre le
31 décembre 1935 et le 21 juin 1936. L’ambassadeur à Paris, Roland Köster, est mort d’une
pneumonie à l’âge de 52 ans ; pour le coup, il était réellement malade, et Hitler a bénéficié d’un
« heureux hasard », admet François Delpla.


La disparition, trois mois plus tard, de Leopold von Hoesch est plus suspecte : ambassadeur à
Londres, il est emporté à l’âge de 54 ans par une crise cardiaque. Opposé à la remilitarisation de la
Rhénanie, il meurt de façon opportune au plus fort de la crise suscitée par cette décision prise par
Hitler en violation du traité de Versailles. Il est remplacé par un fidèle des fidèles du Führer, Joachim
von Ribbentrop.


Puis, le premier jour de l’été, c’est au tour de Bernhard Wilhelm von Bülow, secrétaire d’Etat du
ministère des affaires étrangères, de mourir, lui aussi, des suites d’une pneumonie, à l’âge de
51 ans. Lors de ses obsèques, l’ambassadeur de France à Berlin, André François-Poncet, blague
auprès d’un de ses collègues allemands : « Pourquoi tuez-vous tous vos meilleurs
ambassadeurs ? » Ces trois morts sont-elles de simples coïncidences ? Sans pouvoir l’exclure,
François Delpla ne semble pas l’imaginer.


De même qu’il ne croit pas que tant d’opposants se soient vraiment suicidés. Le livre commence
ainsi par le récit poignant de la disparition d’une personne discrète : Marie Güntel, la cuisinière du
général Kurt von Schleicher, le chancelier qui a précédé Hitler. Lors de la Nuit des longs couteaux,
des SS le liquident chez lui, sous les yeux de cette employée de 53 ans. Interrogée par un juge, elle
dément par son témoignage la thèse officielle du suicide de von Schleicher. Le magistrat est
rapidement dessaisi et quelques mois plus tard, Marie Güntel est retrouvée noyée dans un lac
voisin, elle aussi « suicidée ».


Autre cas, celui du maréchal Günther von Kluge, qui commandait le front de l’Ouest à partir du
4 juillet 1944. La thèse de son suicide, reprise lors du procès de Nuremberg, reste aujourd’hui
largement acceptée. Il aurait croqué le 18 août 1944 une capsule de cyanure de potassium sur la
route qui le menait à Berlin, où l’avait convoqué le Führer après les défaites en Normandie.
Et pourtant, constate François Delpla, « le moment où Hitler a donné son ordre de meurtre est
documenté, le SS chargé de l’exécution est connu, et Hitler lui-même dévoile, dans une longue
causerie miraculeusement préservée et publiée en 1962, l’utilité de ce décès, à condition qu’il passe
pour un suicide ». Le dictateur a une bonne raison de supprimer von Kluge : il a trempé dans le
complot du 20 juillet 1944 visant à le faire tomber.


La mort de Pie XI en question


François Delpla relate aussi la liquidation de quelques Français (Georges Mandel, Marx Dormoy…)
et porte une attention particulière à la mort d’Henri Mordacq : parti faire une promenade le
12 avril 1943, il tombe du pont des Arts dans la Seine… Version officielle : de nouveau un suicide. La
Résistance dénonce la Gestapo, la presse de Vichy tait l’épisode. Mordacq, retraité, n’est pas un
résistant : c’est un ami de Pétain. Berlin, qui le croit juif, l’a dans le collimateur. Ancien collaborateur
de Clemenceau pendant la première guerre mondiale, il est l’un des artisans du traité de Versailles,
honni par Hitler.


L’enquête de l’historien est parfois frustrante, car il n’arrive pas à prouver l’implication de Hitler dans
de nombreuses morts qu’il évoque. Il va jusqu’à s’interroger sur la mort du pape Pie XI, victime d’un
arrêt cardiaque le 10 février 1939, alors qu’il s’apprêtait à publier une encyclique condamnant
l’antisémitisme. Un trop-plein d’imagination de la part d’un historien emporté par son sujet ? Difficile
de le taxer de complotisme, compte tenu de ce qu’on sait d’Adolf Hitler, de sa paranoïa, de son
absence totale de scrupule. Si son livre n’est pas sans faiblesses, ce thriller a le mérite de poser des
questions légitimes sur ces décès qui, tous sans exception, ont servi les intérêts du Führer. Et
d’ouvrir des dossiers délaissés pendant des décennies par les historiens.


« Sur ordre d’Hitler. Crimes passés inaperçus, 1933-1945 », de François Delpla, Cerf
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Quand j'ai commis au début de 1992 mon premier livre de nonfiction sur Les papiers secrets du général Doumenc, le Figaro l'a remarqué et a confié à Henri Amouroux le soin d'une longue recension, favorable et gentiment critique. Mon best-seller (s'agissant d'un livre d'histoire publié en France) de 1999, une biographie d'Hitler qui demeure à ce jour la seule signée d'un historien français, a fait l'objet dans Le Monde des livres de dix lignes agnostiques de Laurent Douzou. Mais rien de rien sur Aubrac / les faits et la calomnie (1997) dont le sujet était pourtant traité en long et en large par le quotidien du soir, ni sur Montoire (1996), L'appel du 18 juin (2000), Hitler et les femmes (2004), Qui a tué Georges Mandel?  (2008), Hitler et Pétain  (2019), Propos intimes et politiques (2016-2018), etc.

L'article de Pascal Riché est, qu'il en ait conscience ou non, pionnier !
L'idée directrice de tout ce travail procède de la découverte, dans les papiers Doumenc, du talent de chef d'Hitler et de son étrange cohabitation avec une idéologie débile. Non seulement la défaite de 1940, expliquée par une pléthore de facteurs "franco-français" dans l'immense majorité des études, mais toutes les réussites de l'Allemagne nazie, sont dues prioritairement, et à ce talent, et à cette déroutante cohabitation. Le fait même que la volonté d'un seul, un Anglais de 65 ans à la carrière en demi-teinte parvenu juste à temps au pouvoir, ait enrayé un triomphe fort bien parti, concourt à prouver le poids des facteurs individuels dans un phénomène sans précédent et, à ce jour, sans récidive.

L'idée jaillie dans les palabres consécutives au décès d'une souveraine britannique permet une avancée dans l'avancée : ce chapelet de morts suspectes donne une idée du champ qui reste à explorer sur un sujet qu'on croyait rebattu, et des obstacles auxquels se heurte cette exploration, en raison du caractère sournois de la démarche hitlérienne et des destructions d'archives à la veille de l'effondrement. Mais ce début d'inventaire nous apprend déjà beaucoup sur le caractère méthodique et maîtrisé de la politique nazie. Dans un contraste complet avec la démarche stalinienne (à laquelle elle reste quotidiennement assimilée), cette politique manie le meurtre d'individus avec parcimonie, et toujours pour servir des objectifs précis. Ainsi, la liste des épargnés est aussi éloquente que celle des victimes.
S'agissant de la tarte à la crème qu'on nous sert à tous les repas, la collusion entre un "extrême centre" et les droites extrêmes aujourd'hui à l'oeuvre, sous le signe d'une maximisation du profit capitaliste, il est grand temps qu'une idée, comme eût dit Karl Marx, "s'empare des masses" : l'inexistence, aujourd'hui, d'un Hitler comme de la situation géopolitique de l'entre-deux-guerres, rend le problème à la fois plus simple et plus compliqué. Il ne suffit pas de pousser tardivement un homme au suicide après lui avoir laissé le champ libre. Le racisme est toujours aussi répugnant et débile, mais infiniment plus diffus et moins méthodique. La démocratie se sauvera en s'appliquant de mieux en mieux, et non en rééditant une deuxième fois la "der des der" par une résignation devant la nécessité d'une nouvelle guerre. Le pacifisme, qui pouvait avoir dans les années 1930 un côté vicieux, n'en a plus que de vertueux. Il ne s'agit pas de "paix à tout prix", mais d'un évitement des guerres au prix d'une plus grande maîtrise des peuples sur leurs prétendues élites.

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