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Billet de blog 18 oct. 2022

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Les Klarsfeld et Louis Aliot

Une dérive assez logique

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Le célèbre couple a mérité ce titre d'un journal régional :
"Louis Aliot, maire RN de Perpignan, a décoré, jeudi 13 octobre, Serge et Beate Klarsfeld, à l'occasion de l'inauguration d'un local associatif mémoriel."

Serge a justifié cette démarche par son souci d'aider Aliot à supplanter Bardella dans la course à la succession de Marine Le Pen à la direction du Rassemblement national.
La compréhensible levée de boucliers devrait s'accompagner d'une recherche d'éventuels signes avant-coureurs. J'en suggère deux, dont l'un vieux, ce mois-ci, de dix ans :

- l'exhibition, façon avocat sortant une preuve de sa manche, du brouillon de statut des Juifs annoté (et considérablement aggravé) par Pétain, pour en conclure avant tout examen sérieux qu'il était plus antisémite que ses ministres et autres secrétaires.

- une adhésion, plus marquée cette année que jamais, au masochisme présidentiel français qui fait de la rafle du Vél d'hiv, cette plate obéissance à un occupant (plate et éphémère, car l'occupant se gardait de trop exiger : il avait surtout besoin d'affirmer son autorité et de salir la France) le produit d'un antisémitisme français.

Une logique, dans tout cela ?
Tout d'abord, la sacralisation de la question juive. Ensuite, une propension à mettre les Juifs et Israël au service de l'Occident, et réciproquement. Aliot ne serait pas sanctifié (ou absous) malgré ses complaisances envers les nostalgiques de l'Algérie française, mais, aussi, à cause d'elles.
D'où un numéro d'équilibriste : il faut à la fois que la France et sa civilisation soient honorables (d'où l'idée que les Juifs qui ont survécu à la Shoah le doivent à sa population... et à ses Eglises) et que le concours prêté par Vichy aux rafles soit le fait d'une minorité antisémite ancienne et enracinée. Au détriment d'un examen minutieux des faits... que permet pourtant l'édition honnête par SK, en 1983, de la documentation disponible, dans Vichy-Auschwitz : la rencontre décisive entre Bousquet et Knochen le 2 juillet 1942, qui voit le premier, après un refus catégorique, céder au second qui exige la participation de la police française aux rafles, est censée prouver une faute personnelle d'un Bousquet mû par l'opportunisme et le carriérisme. Or ce qui le fait céder, c'est l'affirmation par Knochen qu'un refus risquait fort de mécontenter Hitler. Une menace aussi vague, dit SK, n'aurait pas dû impressionner un négociateur tel que Bousquet. Mais ce vague était, précisément, terrible !
Pétain, le 17 avril, avait rappelé le germanophile Laval à la tête du gouvernement en raison d'une menace de durcissement de l'occupation. Ce que dit là Knochen, c'est que l'opération est sur le point d'échouer si Vichy choisit de protéger les Juifs. Donc, que le durcissement que Laval avait permis d'éviter redevient d'actualité.
C'est alors que Bousquet fait une contre-proposition : d'accord pour le prêt de la police française, mais à condition que les Juifs arrêtés ne soient pas de nationalité française. Moyennant quoi, pour permettre d'atteindre les chiffres demandés, les Juifs étrangers seront aussi raflés en zone sud.
On voit, ou on devrait voir, que cette nauséabonde cuisine ne doit rien à l'antisémitisme, et tout au souci d'amadouer un occupant aussi puissant que menaçant.
Ainsi, la présence des Klarsfeld, en juillet dernier, au premier rang des commémorations du Vél d'hiv est cohérente avec leur exhibition à Perpignan. Ils cautionnent  le discours macronien, qui met l'accent sur l'antisémitisme français comme cause primordiale de la rafle et amalgame Pétain, Laval et Bousquet avec l'agent nazi Darquier de Pellepoix. Loin d'un acquiescement à une hégémonie sur l'Europe de l'Allemagne nazie, ces quatre mousquetaires seraient mus seulement par un nationalisme français coupable de ne pas intégrer les Juifs dans la communauté nationale. Une dérive heureusement enrayée à l'automne par la réaction des évêques et les réflexes humanistes de la population.

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