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Billet de blog 23 juillet 2022

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SUR LES COMMÉMORATIONS OFFICIELLES DE LA RAFLE DU VÉL D'HIV

La carence principale, accentuée de quinquennat en quinquennat, porte sur le rôle du nazisme : « Pas un soldat allemand n'a participé » : cette phrase était la seule allusion à l'existence d'une occupation étrangère nazie dans le discours de François Hollande en 2012 et celui d'Emmanuel Macron en 2017. Je ne sais pas si les protestations...

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SUR LES COMMÉMORATIONS OFFICIELLES DE LA RAFLE DU VÉL D'HIV ET PLUS GÉNÉRALEMENT SUR LE RÉGIME DE VICHY, SUR LE PÉTAINISME, LE NAZISME ET HITLER

La carence principale des commémorations officielles de la rafle du Vél d'Hiv, accentuée de quinquennat en quinquennat, porte sur le rôle du nazisme :

« Pas un soldat allemand n'a participé » : cette phrase était la seule allusion à l'existence d'une occupation étrangère nazie dans le discours de François Hollande en 2012 et celui d'Emmanuel Macron en 2017.

Je ne sais pas si les protestations (les miennes étant exprimées par un billet quasi-annuel sur mon blog) ont fini par porter, mais le président Macron, le 17 juillet 2022, tout en reprenant la même antienne, l'a fait précéder quelques lignes plus haut de l'idée que des « Juifs français et étrangers (...) furent victimes de l'Allemagne nazie et de la France de Vichy ». Après ce service minimum, le caractère français du crime s'est étalé sans vergogne :

« ... pas un seul soldat de l'Allemagne nazie ne prit part à la rafle des 16 et 17 juillet 1942. Tout cela procédait d'une volonté et d'une politique gangrenée par l'antisémitisme, initiée dès juillet 1940 et dont les racines plongeaient dans les décennies de notre histoire qui précédaient. Le 3 octobre 1940, de sa propre initiative, l'Etat français avait institué un statut particulier des Juifs, un statut que le maréchal PÉTAIN, de sa main même, avait rendu encore plus odieux. »

Emmanuel Macron aurait pu ajouter : « Hitler ? Je ne connais pas ! ».

C’est en effet ce qu’enseigne le premier magistrat de France, tout en prétendant sacrifier à un « devoir de mémoire ».

Il ne le précise pas mais il suggère, tout comme le font ses mentors, qu’un coup d'Etat des antidreyfusards aurait eu lieu dans l'Hexagone les 16 et 17 juin 1940. Cette suggestion lancinante jamais énoncée ignore le contexte militaire et politique, intérieur et extérieur, de la France et des dirigeants politiques, administratifs et militaires français, à ces dates.

Il se vante aussi de respecter le travail des historiens et de s'en inspirer.

Or trois auteurs d'expression française, Barbara Lambauer, Laurent Joly et Tal Bruttmann, ont depuis le début de ce siècle tempéré l'approche paxtonienne, hégémonique depuis les années 1970, d'un Vichy prenant des mesures antisémites indépendamment de l'Allemagne.

Ils ont montré que dans l'élaboration du premier statut des Juifs (du 18 octobre et non du 3 octobre 1940), l'occupant surveillait de près les choses et mettait plus que son grain de sel dans ces affaires-là.

J'ai pour ma part, après des affirmations du même ordre dans mon livre sur Montoire (1996), développé cette analyse dans un ouvrage de 2019 en mettant en lumière le rôle majeur du très haut dirigeant SS Werner Best, en poste à Paris début août 1940, pour deux ans.

Sous les habits d'un dirigeant de haut rang de Wehrmacht en France basé à Paris, Werner Best est non seulement SS mais surtout l'un des co-fondateurs avec Reinhard Heydrich du SD.

C'est clairement l'homme d'Hitler à Paris pour coiffer la zone nord et la zone sud. C’est l’homme d'Hitler en France. C’est un relai en ligne directe.

L'antisémitisme existait en France bien avant l'Occupation, comme il existait en Russie, en Pologne, dans les pays anglo-saxons ... et en Allemagne avant le nazisme.

Ce dernier a apporté une innovation, sans laquelle la rafle du Vél d'Hiv, décidée par les nazis, était tout simplement inconcevable : l'idée que les Juifs sont par nature des ennemis du genre humain. Ils seraient nuisibles à tous les peuples et la « solution » ne pourrait être qu'un meurtre, universel et exhaustif, comme en témoigne un chapelet de métaphores médicales ou agricoles : bacilles, tumeur, parasite, vermine, phylloxéra, etc. A cela s'ajoute un sentiment d'urgence : les Juifs, selon les nazis, aspirent à la domination mondiale, ce qui provoquerait la disparition de l'humanité elle-même comme celle de tout organisme dominé par son parasite ; la défaite allemande de 1918 les a mis sur le chemin de cette domination ; Hitler est, selon lui-même, le chirurgien désigné par la Providence pour traiter ce cancer, en phase terminale mais encore opérable.

Ce délire pathologique est hélas secondé par une habileté politique hors du commun.

C'est ainsi que l'Allemagne, qui a besoin impérativement d'une guerre, et même de plusieurs, pour accomplir le programme hitlérien, tire l'épée en septembre 1939 avec un différentiel de préparation et de détermination maximal par rapport à ses adversaires. De quoi écraser la France après la Pologne, pour peu qu'un coup militaire audacieux sur la Meuse soit couronné de succès. Ce qui advient. Hitler est alors bien parti pour mourir ... de vieillesse.

Car il comptait, après avoir crucifié l'armée française, rétablir la paix générale en obtenant la résignation de l'Angleterre. C'est ce qu'empêche le remplacement in extremis de Chamberlain par Churchill, pour des raisons politiques et institutionnelles britanniques.

Churchill n’était qu’un premier ministre de transition qui n’était même pas président du parti conservateur. Halifax devait être le Premier ministre appeaser, sans la volonté de Chamberlain de garder la présidence du parti. Hitler comme Paul Reynaud attendaient Halifax. Hitler se résigne à envahir le territoire français mais il compte bien, en imposant à la France un armistice à la fois dur et doux, signé le 22 juin mais en vigueur le 25, obtenir le retour au pouvoir à Londres des appeasers et, enfin, la paix. Churchill sauve de justesse son gouvernement et l'état de guerre. Dès lors l'armistice franco-allemand, d'une menace contre Londres, se mue en un carcan durable pour la France. Laquelle aurait tout intérêt à renouer son alliance avec l'Angleterre : il s'agit de l'en dissuader par un mélange de menaces et de promesses, dosé au jour le jour.

Dans le cas du retour de la paix en 1940, que seraient devenus les Juifs ? C'est assez facile à savoir, grâce à des documents allemands montrant que le traité anglo-franco-allemand aurait comporté la cession de Madagascar, colonie française, afin d'y créer un « État juif ». Mais celui-ci aurait vu toutes ses relations extérieures contrôlées par les SS, également encasernés sur place pour parer à toute révolte : un « grand ghetto », disent encore ces textes. À coup sûr, il se serait agi d'un mouroir, d'envergure planétaire.

Ces acquis relativement récents de la recherche (notamment dans un livre de 1997 sur le « plan Madagascar ») tracent leur chemin dans un maquis de préjugés solidement enracinés, et entachés de préoccupations politiciennes.

Concernant Vichy, la sous-estimation des qualités de chef d'Hitler fait de grands ravages : comme on ne veut pas comprendre qu'il surveille la France comme du lait sur le feu, on a tôt fait de concevoir un Vichy autonome, héritier direct des antidreyfusards, mu par un antisémitisme bien de chez nous ... en passant sous silence le fait que ses parrains intellectuels, de Fourier à Maurras en passant par Proudhon, Toussenel, Baudelaire et Drumont, étaient loin de nourrir des projets de meurtre systématique, et bien plus loin encore de conduire une action politique dans ce sens.
La présentation officielle des faits concernant la rafle du Vél d'Hiv, omet pour l'instant une distinction essentielle entre l'exécution de la rafle sur le terrain, par des personnels de nationalité française, et la décision. La décision est exclusivement allemande, comme l'est un encadrement de SS invisible au public, mais très attentif. Ainsi, la vision, longtemps dominante, cependant aujourd'hui totalement obsolète, du régime nazi comme une « polycratie », est poussée à un degré inouï si on pense que le pouvoir résidait aussi sur les bords de l'Allier. Pétain était-il un polycrate quasi nazi qui aurait imposé sa volonté politique et idéologique à Hitler ? Il n'y avait pas davantage de polycrate nazi à Berlin qu'à Vichy. Hitler était aux manettes.

Une vision exacte d'Hitler, ne minorant ni sa folie ni ses talents, voit lentement le jour. Il devient urgent de prendre la mesure du personnage pour mettre au point des stratégies contre les racismes d'aujourd'hui, beaucoup plus étendus, multiformes et élémentaires.

Ces racismes sont solubles dans la démocratie, pour peu qu'on en porte haut le drapeau en cherchant et en publiant la vérité historique, sans tabous ni dissimulation.

La dégénérescence idéologique et ahistorique des thèses paxtoniennes n'est que l'avatar d'une histoire scientifique mal conduite et reprise par les politiciens et les idéologues.

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