Une heureuse prédestination m'a fait naître à Braunau-am-Inn, bourgade située précisément à la frontière de ces deux Etats allemands dont la nouvelle fusion nous apparaît comme la tâche essentielle de notre vie, à poursuivre par tous les moyens.
L'Autriche allemande doit revenir à la grande patrie allemande et ceci, non pas en vertu de quelconques raisons économiques. Non, non : même si cette fusion, économiquement parlant, est indifférente ou même nuisible, elle doit avoir lieu quand même. Le même sang appartient à un même empire. Le peuple allemand n'aura aucun droit à une activité politique coloniale tant qu'il n'aura pu réunir ses propres fils en un même Etat. Lorsque le territoire du Reich contiendra tous les Allemands, s'il s'avère inapte à les nourrir, des besoins de ce peuple naîtra son droit moral d'acquérir des terres étrangères. La charrue fera alors place à l'épée, et les larmes de la guerre prépareront les moissons du monde futur.
Rarement le début d’un livre aura aussi bien condensé son contenu, et jamais il n’aura tracé aussi exactement quelques traits essentiels de l’histoire mondiale des décennies suivantes. Il n’est pas jusqu’à la fatale insuffisance de la traduction française de 1934, la seule encore publiée à ce jour, qui ne s’y trouve illustrée de la plus éclatante manière. « Une heureuse prédestination m'a fait naître » gomme en effet des mots essentiels, ici en italiques, de la phrase « Als glückliche Bestimmung gilt es mir heute, dass das Schicksal mir zum Geburtsort gerade Brunau-am-Inn zuwies. » Le traducteur, sans doute chauvin et pressé de présenter l’auteur comme un barbare inhumain, ne s’arrête pas aux traits d’humanité dont précisément cette prose déborde. Au lieu d’une froide, impersonnelle et luthérienne prédestination, nous nous trouvons devant un véritable dédoublement : l’auteur n’agit pas, il est agi par une puissance personnelle, le Destin (Schicksal), qui lui a assigné (zuwies) une place précise pour venir au monde. Surtout, il n’en a pas toujours eu conscience : c’est aujourd’hui (heute) que le destin lui semble avoir donné à son existence, en la faisant débuter là, une « chanceuse inauguration » (glückliche Bestimmung).
Les premières lignes de Mein Kampf avertissent donc l’Allemagne que celui qui veut la gouverner en autocrate n’est pas tout seul. Il n’est qu’un ambassadeur de l’au-delà, qui a pris récemment conscience de sa mission. Or c’est faux, du moins espérons-le ! Donc c’est fou : tout se passe dans sa tête.