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Billet de blog 29 mars 2020

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27 août 1933 : HITLER CORROMPT HINDENBURG

Une date clé méconnue

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Très rares sont les biographes de Hitler (et votre serviteur ne fut pas du nombre !) qui, dans la masse des événements, ont sélectionné son voyage à Neudeck à la fin d’août 1933.
Lisons Volker Ullrich :

C’est sur cette solution, consistant à regrouper [à la mort du président von Hindenburg] les fonctions de chancelier et de président du Reich [dans les mains de Hitler] que Hitler et Goebbels tombèrent d’accord lors d’un long entretien de fond, le 24 août. Deux jours plus tard, Hitler se rendit en Prusse-Orientale pour rendre visite à Hindenburg sur ses terres de Neudeck, et organiser avec lui une grande manifestation, le 27 août, devant le monument de Tannenberg [pour l’anniversaire de la bataille de 1914]. (...) À cette occasion, Hitler offrit à Hindenburg le domaine prussien et l’exploitation forestière de Preussenwald -mais il exempta aussi d’impôts la propriété foncière de Neudeck.

(Adolf Hitler. Die Jahre des Aufstiegs 1889–1939. Biographie, t. 1, S. Fischer, 2013, tr. fr. Adolf Hitler/ Une biographie, Paris, Gallimard, 2017, t. I, p. 549-550)

Les journaux donnent du discours de Hitler des extraits d’une grandiloquence appuyée :

Ce ne sont pas seulement les pierres du monument, mais, dans la longue suite des générations, ce sont aussi des témoins vivants, liés à ce sol sacré, qui devront témoigner devant vos grands ancêtres.

«Le gouvernement du Reich allemand a donc, comme dépositaire de l’honneur national et dans l’accomplissement du devoir de reconnaissance de la nation, décidé et décrété que cette propriété , sise dans la province qui est aujourd’hui liée à votre nom, Monsieur le Maréchal, sera exemptée des taxes du Reich et des Länder aussi longtemps qu’elle restera liée à un héritier mâle portant le nom de Hindenburg.

(Freiburger Zeitung, 28/8/1933)

Baldur von Schirach, méditant à sa sortie de prison (tome 3, p. 334-338), sous le feu des questions du journaliste Jochen von Lang, sur les ressorts de l’évolution du Troisième Reich, fait une grande place à la nuit des Longs couteaux. Il incombait, selon lui, au président de réagir avec sévérité, lorsque Walter Funk (ami de Schirach et bras droit de Goebbels au ministère de la Propagande, avant de succéder à Schacht comme ministre de l’Economie puis président de la Reichsbank en 1938-39) était allé le trouver de la part de Hitler au lendemain des meurtres, pour les lui faire avaliser. Schirach fantasme un chef d’Etat jupitérien, usant de ses pouvoirs pour faire traduire les meurtriers en justice. Mais il entremêle ses réflexions d’accusations contre Hindenburg, coupable au premier chef de s’être laissé acheter. En lieu et place d’un tel accomplissement de son devoir, le maréchal-président, âgé mais non sénile malgré ce qu’on dit parfois, avait philosophé devant Funk : “Celui qui fait l’histoire doit aussi voir couler le sang” (Wer Geschichte macht, muss auch Blut fliessen sehen).

Schirach déclare :

Je sais par des membres de l’entourage immédiat de Hitler comme il était nerveux après le 30 juin, [se demandant] comment le Vieux Monsieur allait recevoir la nouvelle de la liquidation de toute l’équipe de Röhm et ce qu’il allait en penser. Il doit s’être écoulé cinq à six heures, d’après ce que j’ai appris ensuite, pendant lesquelles l’entourage de Hitler a tremblé au sujet de la réaction du Vieux Monsieur. Personne d’autre que le couple Funk, en vacances dans la région des lacs Mazures, qui alla trouver Hindenburg, n’a pu débrouiller cette affaire en faveur de Hitler. Il y était tout à fait disposé. Je sais par des conversations dans le jardin de Spandau qu’il était alors fermement persuadé, par le biais d’un appel personnel de Hitler, qu’un coup d’Etat qui aurait conduit le pays à sa ruine avait été contrecarré par lui à la dernière minute.

C’était sa conviction et il a transmis cette conviction, que Hitler lui avait inspirée suggestivement au téléphone, à Hindenburg. Si à ce moment -Schleicher avait quand même été abattu ou, pour le dire dans un langage mesuré, assassiné, conjointement avec sa femme, si Herr von Blomberg était allé à Neudeck voir le Vieux Monsieur et lui avait dit « Jusque là et pas plus loin, il y va de l’honneur de l’armée. Maintenant il faut donner le coup d’arrêt, maintenant ou jamais », le cours du destin aurait changé. Qu’en serait-il résulté ? De tout ce massacre du 30 juin ? Il y aurait eu une enquête nationale diligentée par les plus hautes personnalités du tribunal du Reich et on aurait constaté : que Röhm était homosexuel et qu’aucun coup d’Etat n’avait été préparé. Que Schleicher n’avait préparé absolument aucun coup d’Etat. Que sa femme avait été assassinée, que Klausener avait été assassiné, etc. etc.

Et Schirach de se demander : “Aurait-il dit cela, sans Preusswald ?”

Il n’hésite pas à parler à ce propos de corruption et fait longuement remarquer qu’un supérieur n’a pas à recevoir des dons d’un inférieur. De ce point de vue, le nom de Preusswald évoque dérisoirement celui de Sachsenwald, le domaine offert par Guillaume 1er à Bismarck en récompense de ses services, en 1871. C’est Göring, en tant que chef du gouvernement prussien, qui avait le pouvoir de faire cette donation d’un bien d’État. Mais il n’était pas le supérieur du président du Reich. Ce dernier, dit l’ancien chef des Jeunesses hitlériennes, n’aurait jamais dû accepter. En le faisant, il se plaçait lui-même en position inférieure.
A cette lecture, on ne peut que souhaiter l’inscription de la date du 27 août 1933 en bonne place dans la chronologie du XXème siècle... tout en remarquant qu’en fait, comme le prouve aussi la prise en main de Funk, le nazisme tisse sa toile jour après jour, et corrompt petit à petit tout un pays.

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