Après avoir édicté, le 25 novembre 2008, que les anciens premiers ministres seraient élevés à la dignité de grands-officiers s’ils avaient été en poste deux ans (ce qui prive son rival Villepin du bénéfice de la mesure, à deux semaines près !), Sarkozy s’est surpassé fin décembre en laissant son ami Karoutchi publier une liste de nouveaux admis au grade de chevalier comprenant deux journalistes, sans leur avoir demandé leur avis. Il s’agit de Marie-Eve Malouines, chef du service politique de France-Info (une radio de service public, dont le P-DG devrait être nommé par l’Elysée, et limogeable avant la fin de son contrat, en vertu d’une loi actuellement en discussion), et de Françoise Fressoz, du Monde. Mais surtout, le président a pris personnellement l’initiative de réserver un traitement voisin à Michèle Audin, fille de Maurice, un militant communiste arrêté par l’armée française en Algérie en juin 1957, et disparu depuis. La distinction a même été annoncée par le Journal officiel, en dépit d’une lettre de refus polie de l’intéressée, souhaitant que le président réponde d’abord à une autre lettre qui, au début de son mandat, lui demandait de faire en sorte que le sort de son père fût enfin connu et reconnu. <!--break-->
Cette décoration faite pour inciter à se surpasser dans le service de l’Etat, notamment aux armées, est devenue au fil des ans et des régimes, essentiellement, une prime à la soumission et au conformisme. Et son refus un sport, parfois un peu snob, prétexte à des bons mots parfois excessifs. On connaît celui de Prévert sur Aragon : "C’est bien de la refuser, encore faudrait-il ne pas l’avoir méritée !" Ou celui, mieux venu, de Satie sur Ravel : "Monsieur Maurice Ravel refuse la Légion d’honneur mais toute sa musique l’accepte". <!--break-->
Sarkozy introduit ici, comme il l’avait promis avec légèreté dans tant d’autres domaines, une certaine "rupture". Avec moins de discrétion que ses prédécesseurs il promeut ses courtisans (comme le comédien Christian Clavier, dont la villa corse bénéficie de surcroît d’une protection spéciale -cf. ici) et frustre ses ennemis. Surtout, dans les trois cas précités, il fait de la décoration un instrument de corruption. Il n’a pas dû concevoir une seconde, en particulier, qu’une journaliste de l’audiovisuel public ose lui faire l’affront d’un refus, en un moment où il est en passe de régner en maître sur son gagne-pain.