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Billet de blog 5 janvier 2022

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Etre jeune militant CGT : Construire du lien et accepter l'héritage

Ce billet reproduit l'article publié dans la revue Les cahiers de l'Atelier (n°559) où je témoignais de mon expérience militante à la CGT. Je m'interrogeais sur la capacité à être en phase avec les revendications du salariat et celle des structures syndicales à proposer des réponses à ces préoccupations.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a quatre ans, les Cahiers de l'Atelier m'avaient sollicité pour écrire un témoignage sur "l'intergénérationnel dans l'engagement syndical". Si ce travail m'avait demandé des réflexions sur la genèse de mon engagement, je n'y avais pas trouvé de frein rédhibitoire sur le plan générationnel. Aujourd'hui, en tant que salarié, n'ayant plus de mandat, je n'en enlève pas un mot, et j'accepte les limites de ce papier. Celui-ci visait avant tout à proposer un rapport d'étonnement de mes premières années de militantisme et de tracer des voies pour un débat plus collectif et moins entravé par les peurs institutionnelles qui peuvent exister dans les organisations syndicales. Je reproduis ci dessous cet article, tel qu'il a été publié dans la revue "Les cahiers de l'Atelier" (n°559) en 2018, tout en ayant modifié le titre.


François Dos Santos est secrétaire suppléant du Comité Central d'Entreprise EDF SA.

À partir de son  propre parcours et de son expérience du syndicalisme, François Dos Santos interroge la transmission, la vocation et la pratique militantes aujourd’hui, et son potentiel intergénérationnel.


L’intergénérationnel n’est qu’une des dimensions qui peuvent expliquer les mutations de l’engagement militant. À leurs coté, les mutations économiques, l’avènement d’un libéralisme accru, de nouveaux modes de gestion des entreprises, la tertiarisation des métiers, une nouvelle forme du rapport au travail et l’augmentation du niveau de qualification, sont aussi un ensemble d’évolutions qui ont modifié le syndicalisme mais aussi la perception qu’ont les plus jeunes de l’engagement syndical.

 Une utilité remise en cause, mais certaine

On lit régulièrement dans la presse des sondages qui rapportent que « moins d'un Français sur deux juge les syndicats utiles ». De leur côté, les entreprises et le management ont plutôt tendance à ne pas reconnaître l’utilité ni la charge de travail que représente le militantisme syndical. L’affaiblissement des institutions représentatives du personnel, et leur dé-légitimation par l’entreprise sont une démarche continue depuis une vingtaine d’années. Cela me fait dire que devenir militant syndical ne va pas de soi, qu’il ne s’agit certainement pas, de prime abord, d’une position confortable.

Pourtant, plusieurs choses me laissent à penser que le syndicalisme a toute sa place. L’immense majorité des salariés partagent des valeurs : celle de l’égalité de traitement entre eux, de reconnaissance du travail fourni, la volonté d’avoir des conditions matérielles de travail digne, que le harcèlement moral ou sexuel ne peut pas exister dans l’entreprise, que les richesses du travail doivent être équitablement réparties. L’immense majorité des salariés considèrent aussi qu’ils sont des professionnels, qu’ils connaissent leur travail et que leur avis sur la manière de travailler, qu’il s’agisse d’une nouvelle procédure ou d’une réorganisation, mérite d’être entendu et pris en considération.

Il existe même un paradoxe car en refusant de voir la relation de travail comme une relation « d’exploitation », les salariés expriment l’idée qu’il doit être émancipateur. Je pense pourtant que ces deux affirmations ne sont pas totalement incompatibles. Toutefois, cette notion d’émancipation fait intervenir la question centrale du sens du travail : faire un travail utile, de qualité, respectueux des salariés, du reste de la société et de son environnement.

Bref, il existe un socle de valeurs concrètes partagées par l’ensemble du monde du travail, de tous milieux et de tous âges. Il existe un ensemble de thèmes qui peuvent faire débat. Il existe une aspiration à être citoyen au travail. Le défi posé est d’arriver à partager les analyses, consolider et pourquoi pas construire des actions pour porter collectivement nos aspirations à l’employeur. L’espace syndical est l’espace naturel pour construire cette démarche.

Le « pourquoi » et le « comment »

Cette démarche se heurte pourtant à de nombreux freins. Comment comprendre les aspirations très diverses des salariés, comment maintenir une proximité suffisante, quels outils mobiliser pour écouter, consolider, proposer ? En somme, comme on dirait dans l’éducation populaire, comment permettre à un salarié d’être acteur de son espace professionnel ?

Ainsi, tous les principes évoqués plus haut semblent faire consensus et ne posent pas un « problème » intergénérationnel. C’est donc davantage le « comment » que le « pourquoi » qui représente un défi. C’est une question que le syndicalisme se pose assez peu. Il considère que notre cause commune, la fraternité et la solidarité entre militants, complétée par de la formation syndicale, permet de réussir.

Pour ma part, quand j’ai accepté d’assumer mes premières responsabilités syndicales, je pensais que le « pourquoi » était une condition suffisante. Je le pense toujours. Car l’espace syndical, contrairement à ce que l’on pourrait croire, est un espace large d’expérimentation. Il n’y a pas de programme préétabli chaque matin, c’est à nous de construire ce que nous voulons faire. Mais pour faire les bons choix, il nous faut être nombreux, avoir des remontées, pouvoir nous réorienter, nous dire quand ce que l’on a fait a été perçu comme pertinent ou non, savoir nous rappeler quand on a pu restituer de manière incorrecte ce qui était exprimé par les salariés. Savoir l’entendre aussi.

Bref, être militant peut revêtir de multiples formes : on peut juste donner un coup de main pour rédiger un tract, on peut aider à le distribuer ou l’afficher dans les panneaux dédiés, on peut représenter ses collègues face à l’employeur, on peut aussi tout simplement commenter, faire des remarques, des propositions, remonter des informations de terrain.

La raréfaction des vocations a parfois conduit certains militants à être dans une posture personnelle, à considérer qu’ils représentaient à eux seuls le syndicalisme et qu’ils pouvaient être des « super héros » qui ne se trompent jamais. Plusieurs militants dans une telle démarche peuvent parfois se heurter, être en désaccord, conduire à des conflits personnels complexes. Le « juge de paix » est pourtant, dans ce cas-là, l’avis des adhérents. L’autre dérive que cette personnalisation génère, c’est de ne pas favoriser le partage d’information, le partage des tâches, des réflexions. Bref, cela n’encourage pas à être acteur.

Finalement, si j’ai accepté une responsabilité syndicale, c’est que c’est la seule modalité que l’on m’avait proposé à ce moment-là pour être acteur. J’ai bien quelques souvenirs passés, où j’aidais le soir après le travail à imprimer des tracts, où je faisais quelques tâches logistiques sans grande importance mais très utiles, où l’on rédigeait des tracts syndicaux pour les vœux 2011. Mais quand je suis arrivé à Lyon, être candidat aux élections professionnelles était bien la seule modalité qui m’avait été proposée. Je dois bien dire qu’après avoir accepté, je souhaitais me rétracter mais le représentant d’alors avait réussi à me convaincre de rester. Peut-être est-ce aussi ce qui peut faire peur à certains collègues : que le syndicalisme soit un espace qui « aspire » et n’écoute pas toujours suffisamment les choix de ses membres.

Savoir entendre

Bref, une fois élu, on rentre à ce moment-là dans un milieu militant, en général convivial et bienveillant, mais où l’on considère que la transmission des savoirs se fait beaucoup par l’observation ou l’imitation. On constate que l’on hérite d’une situation existante, marquée entre l’histoire du syndicat, l’histoire de l’entreprise, l’histoire personnelle du « leader » ou du collectif du moment. Et il est assez difficile de la comprendre et de la questionner. Étrangement d’ailleurs, quand on va voir les salariés pour la première fois avec notre casquette de syndicaliste, l’on doit assumer, faire nôtre toute cette histoire, où en tous cas la représentation que les salariés en ont. Car ils ne nous regardent plus tout à fait de la même façon.

Je dois bien dire que j’ai globalement eu un accueil favorable de mes collègues, mais je me suis ensuite posé la question de les rendre acteurs à leur tour, eux qui étaient mes collègues de bureau. Suis-je là simplement pour les rassurer, pour faire de l’information descendante ? Ils me demandent souvent « alors qu’est-ce qu’il se passe en ce moment » alors que c’est moi qui voudrais leur poser cette question. Certains parlent, d’autres pas. Bien sûr qu’il y a quelques remontées, des questions, mais cela ne foisonne pas. On pourrait croire qu’ils n’ont rien à dire. Et je me vois toujours surpris quand mes collègues m’invitent à boire un verre en fin d’après-midi et qu’ils parlent de travail sans discontinuer de 17 heures à 20 heures. Bref, ces mêmes salariés que l’on trouve peu dans les réunions d’information ou qui s’y expriment modérément, trouvaient naturel d’en parler après le travail, et collectivement. Et pourtant, ce n’était pas un outil mis en place par le syndicat.

J’ai aussi été surpris de voir émerger sur les réseaux sociaux des groupes de salariés qui échangent tous les jours et posent des questions sur leurs droits, sur l’outil informatique qui ne fonctionne pas pour la énième fois et tant d’autres sujets. L’un de ces groupes compte plus de 15 000 membres. Parfois ils partagent des tracts syndicaux. Parfois je poste des choses pour alimenter les réflexions. Dans les commentaires – très nombreux aussi –, on débat, on donne les différences de point de vue, on s’écharpe parfois. Des retraités de l’entreprise interviennent également. Mais là aussi ce n’est pas un outil du syndicalisme.

Bien évidemment, je ne crois pas qu’il faille résumer l’enjeu du syndicalisme à la seule utilisation du numérique. Il peut être un support, un lieu où l’on partage entre deux rencontres physiques, mais ne saurait s’y substituer.

Le point commun de ces deux exemples, c’est qu’il s’agit de démarches informelles, en dehors de cadres syndicaux. Ils démontrent la volonté, le besoin pour nombre d’entre nous de parler autrement du travail. Il existe bien de quoi travailler ensemble, de la « matière ». Mais il faut bien constater que ces exemples posent un problème majeur, c’est que les sujets ne sont jamais approfondis ou tranchés et qu’il ne s’agit pas d’un espace d’action. C’est d’ailleurs bien pour ça que le syndicalisme existe : organiser les salariés.

Dans le syndicalisme, on peine à décider ensemble de la place des outils, et de leur rôle et du soin particulier que l’on doit avoir quand on les anime. Le recours au courriel se fait d’une manière parfois trop archaïque, en considérant que l’on a fait son travail en envoyant un fichier « .pdf » de 8 pages à tout le personnel. Est-il lu, compris ? Comment le mettre en débat ? Correspond-t-il aux préoccupations du moment ? Il me semble que le soin apporté à la qualité de la relation que l’on construit avec les salariés est déterminante sur la légitimité qui nous sera attribuée.

Il n’existe pas de solution toute faite pour permettre l’engagement de jeunes salariés. Je ne suis pas un partisan du « jeunisme » et au fond, l’intergénérationnel n’est à mon sens pas un problème indépassable. Mais je suis certain que l’on ne récolte que ce que l’on aura tenté de semer. Il faut donc investir tous les espaces où les salariés peuvent s’exprimer et proposer notre démarche syndicale, donc proposer d’en être acteur. Si l’on prend le temps de l’observation, si l’on est à l’écoute, si l’on ose la créativité que permet le syndicat comme lieu d’expérimentation collective, si l’on considère le collectif des salariés comme central dans notre démarche, le reste ira de soi.

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