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Billet de blog 2 juin 2025

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Des non-alignés aux Brics : la longue marche des peuples contre le colonialisme…

L’année 2025, marque le 70ème anniversaire de la tenue de la conférence qui réunit les pays non-alignés à Bandung du 18 au 24 avril 1955 qui pour la première fois s’exprimait le rejet de l’alignement et de la politique des blocs. Les progressistes du monde entier se remémorent cet événement majeur du 20ème siècle. Diagne Fodé Roland analyse la Contribution de Bandung à la création des BRICS.

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Illustration 1
Salle des conférences réunions plénières de la Conférence de Bandung 18 24 avril 1955
Des non-alignés aux Brics
 : la longue marche des peuples contre le colonialisme… le néocolonialisme et l'hégémonisme fasciste !

Contribution de Bandung 1955 aux BRICS

Du 18 au 24 avril 1955, il y a 70 ans, 29 pays d’Asie et d’Afrique plus des mouvements de libération nationale se réunissaient en Indonésie pour exiger la fin du colonialisme et un ordre international de paix respectant les souverainetés nationales.

Dans la première décennie du XXIème siècle, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud fondent les BRICS pour exiger le respect des souverainetés nationales et la fin de l’hégémonisme prédateur Otano/UE/G7/Israël piloté par l’impérialisme US.

Les contradictions inhérentes à l’impérialisme stade suprême du capitalisme se manifestent de plus en plus ouvertement faisant prendre conscience au peuple de leur existence que l’hégémonie unilatérale des impérialistes US flanqués de l’UE/G7/Israël étouffait à leurs yeux.

 BANDUNG ETAIT UN FRONT UNI CONTRE LE COLONIALISME ET LE NEOCOLONIALISME

L’interprétation la plus répandue de Bandung est le « non alignement » sur les « deux blocs en guerre froide » qu’étaient les camps capitalistes et socialistes. Ce n’est là qu’une demi-vérité qui ne doit pas nous cacher qu’il s’agissait aussi d’un front uni des pays, nations ex-colonies contre le colonialisme et le néocolonialisme dont la majorité était bourgeoisie à l’exemple de l’Inde, de l’Indonésie et la minorité appartenant au camp socialiste comme la Chine.

C’est ce que pointait fort justement le Manifeste du PAI : « A l’heure historique de Bandung et de la désintégration du système colonial de l’impérialisme, à l’heure où la confusion politique submerge l’Afrique Noire sous domination française, notre devoir d’Africains nous oblige à porter devant les masses de notre pays le problème de l’indépendance nationale et de la transformation socialiste de notre économie » (Manifeste du PAI, Thiès 15/09/57).

Les 23 signataires du Manifeste du PAI énonçaient « une situation qui plaide pour le seul mot d’ordre juste : L’INDÉPENDANCE NATIONALE », laquelle situation était caractérisée par le fait qu’« après la deuxième guerre mondiale avec l’apparition du camp du socialisme sur un tiers du globe, une immense vague démocratique a déferlé sue le monde entraînant tous les peuples dans la lutte pour le socialisme, l’indépendance nationale et la paix. C’est ainsi que la Chine Populaire instaurait le socialisme pour 600 millions d’hommes, que le Vietnam, l’Inde, l’Indochine, la Syrie et le Liban secouaient pour toujours le joug des impérialistes étrangers… l’Afrique bouge… la chaîne des indépendances africaines a prouvé que notre pays n’était pas à l’écart des grands courants de pensées mondiaux ».

Le « non alignement » était donc une tactique permettant d’allier les bourgeoisies, les petites bourgeoisies et les communistes à l’échelle étatique et des mouvements de libération nationale contre le colonialisme et le néocolonialisme.

Il faut dire que les impérialistes ont réussi à contenir cette tactique frontiste indépendantiste pour imposer le néocolonialisme en Afrique en massacrant (Thiaroye, Madagascar, Cameroun), en assassinant les leaders radicalement indépendantistes (Abane Ramdane, Krim Belkacem, Ben Mhidi, Lumumba, Um Nyobé, Félix Moumié, Osende Afana, Ernest Ouandié, Ben Barka, Eduardo Mondlane, Thomas Sankara, etc.), en organisant des coups d’états contre Sylvanus Olympio, Kwame Nkrumah, Modibo Kéita ou en isolant par blocus Sékou Touré.

La tenue de la Tricontinentale associant à l’Asie et l’Afrique l’Amérique du sud en 1966 montrait les limites à cette alliance frontiste en tant que réponse des révolutionnaires indépendantistes au délitement réformiste du « non alignement » différenciant puis opposant « voie capitaliste » et « voie non capitaliste » de sortie du sous-développement colonial et néocolonial. Les révolutionnaires communistes représentaient les classes laborieuses ouvrières et paysannes alors que le national-réformisme représentait les classes bourgeoises et les petites bourgeoisies enclines aux compromissions.

C’est le tournant révisionniste à la tête de l’URSS à la fin des années 50 et début 60 qui va engendrer à la fois la division du Mouvement Communiste International (MCI) et l’éloignement puis le renforcement de l’anti-communisme des bourgeoisies et de la petite-bourgeoisie dans les semi ou néo-colonies et dans les pays dépendants. Les révisionnistes ayant développé des tendances à soutenir les bourgeoisies nationales dont certaines n’hésitaient pas à naviguer sous un faux drapeau communiste.

C’est ainsi qu’en Afrique, se sont installées des régimes néocoloniaux contre lesquels ont émergé les organisations révolutionnaires petites bourgeoises d’orientations marxistes-léninistes mais qui, malgré leur division, vont être les chevilles ouvrières de toutes les luttes sociales, syndicales et démocratiques qui vont permettre des conquêtes sociales et démocratiques.

Ces révolutionnaires marxistes vont ensuite être happés par le système bourgeois et petit bourgeois néocolonial pour les intégrer à la gouvernance libérale consécutive à la défaite du camp socialiste d’Europe et de l’URSS. La « lutte des places » dans les gouvernements néocoloniaux va remplacer la « lutte des classes » pour la « rupture et la transformation systémique » contre la domination impérialiste. Un vide sidéral va s’installer dans l’espace politique qui fera progressivement réagir les résistants de la gauche communiste traumatisés par la défaite externe et interne du communisme. Comme nous l’écrivions en 2008 « La victoire temporaire de la contre-révolution bourgeoise a, dans un premier temps, accéléré les abandons, les reniements, les capitulations au sein des forces de la gauche révolutionnaire partout dans le monde. L’Afrique et le Sénégal n’ont pas échappé à cette débandade qui a conduit un libéral bourgeois apatride comme le président A. Wade à se moquer parlant de ses alliés du PIT, de la LD/MPT et de And Jëf : : « Pour moi, c’était des gens qui jouaient un jeu, l’histoire avait fait qu’ils avaient basculé dans un camp qui les soutenait. Ceux qui recevaient des subsides de Moscou, il fallait qu’ils jouent les communistes, comme ceux qui recevaient des armes aussi » (Chronique d’une Alternance - Malick Diagne - p.64-édition Xamal-juillet 2000) ».

Entre temps, les illusions du totalitarisme de la pensée unique libérale vont peu à peu se volatiliser sous les effets d’une aggravation de la paupérisation des masses laborieuses alors que la gestion de l’appareil d’État néocolonial fabriquait des milliardaires et que les firmes monopolistes impérialistes s’emparaient des secteurs économiques stratégiques, d’une émigration forcée meurtrière et l’esclavage sans papiers pour les rescapés, etc.

La nature ayant horreur du vide, l’espace politique abandonné par les renégats de la gauche historique va être rempli par la rébellion d’une jeunesse intellectuelle souverainiste civile et militaire dans nos différents pays d’Afrique, jeunesse qui cherche à accomplir sa mission de libérer l’Afrique.

LES BRICS SONT UN FRONT UNI CONTRE L’HEGEMONIE IMPERIALISTE SUR LA MONDIALISATION CAPITALISTE

Les guerres impérialistes contre l’Irak, l’Afghanistan, la Yougoslavie, la Libye, la Côte d’Ivoire et les effets socialement dévastateurs des plans d’ajustement structurel du FMI et de la BM sous prétexte de la dette ont été les principaux facteurs d’une prise de conscience de la nature intrinsèquement barbare de la domination impérialiste sur le monde. Comme nous l’écrivions en 2008 au « colloque commémoratif des 50 sur L’actualité du Manifeste du PAI : Quelle perspective de reconstruction d’une gauche ouvrière et anti-impérialiste au Sénégal ? » : « La crise générale de surproduction du système capitaliste fait découvrir à l’humanité ce que décrivait Karl Marx : « Le capital a horreur de l'absence de profit. Quand il flaire un bénéfice raisonnable, le capital devient hardi. A 20% il devient enthousiaste ; à 50% il est téméraire ; à 100% il foule au pied toutes les lois humaines et à 300% il ne recule devant aucun crime... » (Le Capital). Les peuples et les travailleurs expérimentent dans la douleur l’enseignement de Lénine selon lequel l’impérialisme stade suprême du capitalisme « a développé les forces productives au point que l’humanité n’a plus qu’à passer au socialisme ou bien à subir pendant des années et même des dizaines d’années la lutte armée des grandes puissances pour le maintien artificiel du capitalisme à l’aide de colonies, de monopoles, de privilèges et d’oppressions nationales de toute nature » (Le Socialisme et la Guerre) ».

Les crises financières, notamment celle de 2008 ont accéléré le transfert à l’échelle de certains États de cette prise de conscience des peuples. C’est cela qui donne les BRICS et aujourd’hui les BRICS + avec de plus en plus de candidats à l’adhésion à cette alternative multilatérale à l’OTAN/UE/G7/Israël.

Les BRICS sont donc un front défensif anti-hégémonique qui associe pays, nations bourgeoises comme l’Inde, le Brésil et pays, nation communiste comme ce rescapé du camp socialiste qu’est la Chine Populaire. Si l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud sont d’anciennes colonies comme le fut en partie la Chine, la Russie bourgeoise bénéficie, après avoir été temporairement vassalisée par les impérialistes vainqueurs, de toute l’édification scientifique, technologique, industrielle, culturelle de la défunte URSS.

Ce front défensif fondé sur l’intérêt commun d’en finir avec l’hégémonisme impérialiste et la nécessité d’un monde multipolaire n’est certes pas éternel, mais contribue objectivement à l’obtention de la souveraineté nationale des pays et nations du monde.

La domination économique, financier, commercial, scientifique, technologique, culturel et militaire de ce que d’aucuns appellent « Occident global » est remise en cause par les puissances alternatives économique, scientifique, technologique, culturelle et militaire qui constituent les BRICS +. A ceux-là, il faut ajouter la formidable résistance de la Corée du Nord puissance militaire nucléaire, Cuba puissance médicale et pharmaceutique qui explique le blocus injuste dont la petite île fait l’objet du géant US, le Vietnam puissance industrielle, tous des pays, nations communistes rescapés du camp socialiste. En fait, à y regarder de plus près, les bourgeoisies des BRICS opposent plus ou moins radicalement le « capitalisme d’état » au libéralisme débridé de la « mondialisation capitaliste » piloté par les USA/UE/G7 alors que les rescapés du camp socialiste Chine, Vietnam, Corée du Nord, Cuba maintiennent le cap sur le « socialisme de marché » parce que le « marché » qui est antérieur au capitalisme obéit à des lois à prendre en compte dans toute société l’échange existe.

L’évolution du rapport des forces entre hégémonisme et anti-hégémonisme contribue ainsi objectivement à l’exercice de leur souveraineté à nos pays et nations en construction de l’AES et du Sénégal et du coup fait apparaître plus nettement qu’avant la vassalisation néocoloniale de l’UEMOA/CEDEAO.

Compter avant tout d’abord sur ses propres forces tout en prenant en compte l’existence des BRICS sont les deux mamelles des politiques de souveraineté nationale et panafricaine.

Les bourgeoisies nationales tout comme les classes laborieuses africaines doivent forger des alliances stratégiques sur ce qui les unit, à savoir la souveraineté nationale, tout en appliquant la politique d’unité, critique, unité pour surmonter les contradictions secondaires et frapper ensemble l’ennemi principal l’impérialisme.

Les formules de Mao Tsé Toung « unité, critique, unité » et « contradictions secondaires et contradictions principales » ou encore de « contradictions non antagoniques et contradictions antagoniques » sont une boussole indispensable pour maintenir l’unité du front jusqu’à la victoire contre l’ennemi principal. Appliquer cette tactique à portée stratégique, c’est démocratiser le mouvement souverainiste et permettre l’expression des courants représentant les classes sociales qui le composent, c’est favoriser que les bouches dans notre camp souverainiste et panafricain s’ouvrent dans le cadre du maintien de l’unité d’action commune pour régler la contradiction principale qui est celle de la contradiction antagonique du moment. Le débat démocratique d’idées est une force du camp souverainiste qui précède la mise en œuvre du centralisme dans l’action commune. C’est cela le vrai sens du centralisme démocratique.

Une fois cet objectif du moment atteint, vont éclore les nouvelles contradictions et les tâches y afférentes que prépare d’ailleurs la nécessaire libre expression démocratique des tenants du front uni souverainiste.

Nos expériences souverainistes en cours au Sénégal et dans l’AES doivent s’abreuver de connaissances scientifiques des expériences multiformes et protéiformes tant de la première phase de libération nationale dans les rapports de ses forces internes des classes sociales que dans les rapports qui furent tissés à l’échelle africaine et internationale qui ont été des jalons de la longue marche en cours de Bandung aux BRICS.

Illustration 2
Diagne Fode Roland

Diagne Fodé Roland

18 avril 2025

Illustration 3
60° Anniversaire de la conférence de Bandung organisé à Bandung le 24 avril 2015

 ARCHIVE

COMMUNIQUE FINAL DE LA CONFERENCE AFRO-ASIATIQUE DE BANDOENG

24 avril 1955

Le 24 avril 1955, un communiqué final informe le monde des principes adoptés par les délégations des vingt-neuf pays d'Afrique et d'Asie réunis à la conférence internationale de Bandung (Indonésie).

24 avril 1955

Une Conférence des Nations Afro-Asiatiques convoquée par les gouvernements de Birmanie, de Ceylan, de l'Inde, d'Indonésie et du Pakistan s'est réunie à Bandoeng du 18 au 24 avril 1955. Outre les pays promoteurs, les Etats suivants ont participé à la Conférence :

Afghanistan, Cambodge, République populaire de Chine, Egypte, Ethiopie, Côte-de-l'Or, Iran, Irak, Japon, Jordanie, Laos, Liban, Liberia, Libye, Népal, Philippines, Arabie saoudite, Soudan, Syrie, Siam, Turquie, République populaire du Vietnam (Vietminh), Etat du Vietnam et Yémen.

La Conférence afro-asiatique a étudié le rôle de l'Asie et de l'Afrique et a examiné les moyens grâce auxquels les peuples des pays représentés peuvent réaliser la coopération économique, culturelle et politique la plus étroite.

A - Coopération économique

1. La Conférence afro-asiatique reconnaît la nécessité urgente d'encourager le développement économique de la zone afro-asiatique.

Les pays participants ont exprimé le désir général d'une coopération économique sur la base des intérêts mutuels et du respect de la souveraineté nationale.

Les propositions concernant la coopération économique entre les pays participants n'excluent pas le caractère désirable ou la nécessité d'une coopération avec les pays en dehors de la zone afro-asiatique, y compris les investissements de capitaux étrangers.

Il a été reconnu que l'assistance reçue par certains des pays participants dans le cadre d'accords internationaux ou bi-latéraux - assistance émanant d'Etats extérieurs à la zone afro-asiatique - a représenté une contribution appréciable à la réalisation des programmes de développement des bénéficiaires.

2. Les pays participants décident de s'accorder une assistance technique, dans toute la mesure du possible, sous forme :

D'experts, de projets pilotes, de matériel de démonstration, d'échanges de documentation, d'établissement d'instituts de recherche et de formation nationaux et - si possible - régionaux qui prodigueront leurs connaissances techniques et scientifiques en coopération avec les organismes internationaux existants.

3. La Conférence afro-asiatique recommande :

L'établissement sans retard d'un fonds des Nations Unies pour le développement économique.

L'allocation par la Banque internationale de reconstruction et de développement d'une plus grande partie de ses ressources aux pays afro-asiatiques.

La fondation rapide d'une corporation internationale financière qui devrait inclure dans ses activités l'engagement de procéder à des investissements.

D'encourager l'organisation de projets communs entre les pays afro-asiatiques, dans la mesure où cela correspondra à leurs intérêts communs.

4. La Conférence afro-asiatique reconnaît la nécessité vitale de stabiliser le commerce des marchandises dans la zone afro-asiatique.

Le principe de l'élargissement du domaine du commerce et des paiements multilatéraux a été accepté. Cependant il est admis que certains pays devront recourir aux mesures commerciales bilatérales en raison de leurs conditions économiques.

5. La Conférence afro-asiatique préconise une action collective des pays participants pour stabiliser les prix internationaux et la demande des marchandises essentielles par le jeu de dispositions bilatérales et multilatérales. Dans la mesure où cela est possible et désirable, les pays participants devraient adopter une ligne de conduite unifiée à l'égard de ce problème à la Commission consultative permanente des Nations Unies pour le commerce international des marchandises ainsi que dans les autres organisations internationales.

6. La Conférence estime que les pays d'Asie et d'Afrique doivent varier leurs exportations en manufacturant leurs matières premières toutes les fois que la chose est économiquement réalisable. Des foires commerciales inter-régionales doivent être organisées et il faut encourager l'échange de délégations commerciales et de groupes d'hommes d'affaires, l'échange d'informations et d'échantillons.

Des facilités doivent être accordées pour le transit aux pays n'ayant pas de débouchés sur la mer.

7. La Conférence attache une importance considérable à la navigation et s'inquiète du fait que les compagnies révisent fréquemment les tarifs, souvent au détriment des utilisateurs. Elle recommande l'étude de ce problème et une action collective pour amener les compagnies de navigation à adopter une attitude plus raisonnable.

8. La Conférence estime qu'il faut encourager l'établissement de banques nationales et régionales et de compagnies d'assurances.

9. La Conférence estime que l’échange d'informations dans le domaine du pétrole peut aboutir à l'élaboration d'une politique commune.

10. La Conférence souligne l'importance du développement de l'utilisation pacifique de l'énergie atomique. Elle se félicite de l'initiative des Puissances principalement intéressées qui ont offert de fournir des informations dans ce domaine. Elle souhaite un établissement rapide de l'Agence internationale de l'Energie atomique, avec une représentation convenable des pays asiatiques. Elle recommande que les gouvernements asiatiques et africains exploitent les facilités offertes par les Puissances préconisant le développement pacifique de l'énergie atomique.

11. La Conférence a décidé de désigner des officiers de liaison auprès des pays participants, pour l'échange d'informations dans les questions d'intérêt commun. Elle recommande une utilisation plus complète des organisations internationales qui existent actuellement. Elle souhaite que les pays qui ne sont pas membres de ces organisations le deviennent lorsqu'ils sont qualifiés.

12. La Conférence préconise des consultations sur le plan international pour favoriser dans la mesure du possible les intérêts économiques des pays participants, mais la formation d'un bloc régional n'est pas son objectif.

B- Coopération culturelle

1. La Conférence est persuadée que le développement de la coopération culturelle figure parmi les moyens les plus puissants d'entente entre les Nations. L'Asie et l'Afrique ont été le berceau de grandes religions et de grandes civilisations qui ont enrichi d'autres cultures et d'autres civilisations. Ainsi la culture asiatique et africaine est basée sur des fondements spirituels universels. Malheureusement, les contacts culturels entre les pays asiatiques et africains ont été interrompus au cours des siècles passés.

Les peuples d'Asie et d'Afrique sont maintenant animés d'un désir sincère de renouveler leurs contacts culturels et d'en développer de nouveaux dans le cadre du monde moderne. Tous les gouvernements participants ont confirmé leur intention de travailler pour une coopération culturelle plus étroite.

La Conférence a pris note du fait que l'existence du colonialisme en de nombreuses régions d'Asie et d'Afrique, quelle que soit sa forme, entrave la coopération culturelle ainsi que le développement des cultures nationales.

2. Certaines Puissances coloniales ont dénié aux peuples coloniaux les droits fondamentaux dans le domaine de l'éducation et de la culture, ce qui entrave le développement de leur personnalité ainsi que les échanges culturels avec d'autres peuples asiatiques et africains.

Cela est particulièrement vrai dans le cas de la Tunisie, de l'Algérie et du Maroc, où le droit fondamental des peuples d'étudier leur propre langue et leur propre culture n'est pas respecté.

Des discriminations semblables ont été pratiquées dans certaines régions du continent africain contre d'autres peuples.

La Conférence estime qu'une telle politique équivaut à un déni des droits fondamentaux de l'homme, retarde le progrès culturel dans cette région et entrave la coopération culturelle sur le plan international. La Conférence condamne ce déni des droits de l'homme dans le domaine de l'éducation et de la culture dans certaines parties de l'Asie et de l'Afrique par cette forme et d'autres formes d'oppression culturelle.

En particulier, la Conférence condamne le racisme en tant que moyen d'oppression culturelle.

3. Ce n'est pas en se plaçant à un point de vue d'exclusivité ou de rivalité avec d'autres Nations, d'autres civilisations et d'autres cultures, que la Conférence considère le développement de la coopération culturelle dans les pays africains et asiatiques. Fidèle à une tradition séculaire de tolérance et d'universalité, la Conférence estime que la coopération culturelle asiatique et africaine doit se développer dans le contexte plus large de la coopération mondiale.

Les pays d'Asie et d'Afrique désirent développer les contacts culturels avec d'autres pays, pour enrichir leur propre culture et contribuer à la paix et à l'entente mondiale.

4. Il existe de nombreux pays en Asie et en Afrique qui n'ont pas encore pu développer leurs institutions techniques, scientifiques et culturelles. La Conférence souhaite que les pays asiatiques et africains mieux placés à ce point de vue accordent des facilités aux étudiants des pays moins favorisés.

Ces facilités doivent aussi être accordées aux peuples asiatiques et africains en Afrique auxquels on refuse à présent les moyens d'accéder à une éducation d'un niveau plus élevé.

5. La Conférence estime que l'effort de coopération culturelle des pays asiatiques et africains doit avoir pour but l'acquisition de leurs connaissances mutuelles, des échanges culturels, et des échanges d'information.

6. La Conférence estime qu'à l'heure actuelle les meilleurs résultats dans le domaine de la coopération culturelle peuvent être obtenus par des accords bilatéraux et par des initiatives individuelles de chaque pays, toutes les fois que la chose est possible.

C- Droits de l'Homme et auto-détermination

1. La Conférence afro-asiatique déclare appuyer totalement les principes fondamentaux des droits de l'homme tels qu'ils sont définis dans la Charte des Nations Unies et prendre en considération la Déclaration universelle des Droits de l'Homme comme un but commun vers lequel doivent tendre tous les peuples et toutes les Nations.

La Conférence déclare appuyer totalement le principe du droit des peuples et des Nations à disposer d'eux- mêmes tel qu'il est défini dans la Charte des Nations Unies et prendre en considération les résolutions des

Nations Unies sur le droit des peuples et des Nations à disposer d'eux-mêmes, qui est la condition préalable à la jouissance totale de tous les droits fondamentaux de l'homme.

2. La Conférence afro-asiatique déplore la politique et les pratiques de ségrégation et de discrimination raciales qui forment la base du système politique et des rapports humains dans de vastes régions d'Afrique et dans d'autres parties du monde. Un tel comportement est non seulement une violation grossière des droits de l'homme mais encore une négation des valeurs essentielles de la civilisation et de la dignité de l'homme.

La Conférence exprime sa profonde sympathie et son appui pour l'attitude courageuse prise par toutes les victimes de la ségrégation raciale, particulièrement par les peuples d'origine africaine, indienne et pakistanaise en Afrique du Sud ; approuve chaleureusement tous ceux qui soutiennent leur cause ; réaffirme la détermination des peuples asiatiques et africains d'extirper toute trace de racisme qui pourrait exister dans leurs propres pays, et s'engage à user de toute son influence morale pour mettre en garde ceux qui courraient le danger d'être victimes du même fléau dans leur lutte pour l'extirper.

3. Considérant la tension existant au Moyen-Orient, tension qui est causée par la situation en Palestine, et considérant le danger que cette tension constitue pour la paix mondiale, la Conférence afro-asiatique déclare appuyer les droits du peuple arabe de Palestine et demande l'application des résolutions des Nations Unies sur la Palestine et la réalisation d'une solution pacifique du problème palestinien.

D - Problèmes des peuples dépendants

1. Conformément à la position qu'elle a prise sur l'abolition du colonialisme, la Conférence afro-asiatique soutient l'interprétation indonésienne des passages des accords entre les Pays-Bas et l'Indonésie relatifs à l'Ouest d'Irian (Nouvelle-Guinée Occidentale).

La Conférence afro-asiatique presse le gouvernement néerlandais de rouvrir aussitôt que possible les négociations pour accomplir ses obligations découlant des accords mentionnés ci-dessus, et elle exprime l'espoir le plus ardent de voir les Nations Unies aider les parties intéressées à trouver une solution pacifique du différend.

2. En ce qui concerne la situation instable en Afrique du Nord et le refus persistant d’accorder aux peuples d’Afrique du Nord leurs droits de disposer d’eux-mêmes, la Conférence afro-asiatique déclare appuyer les droits des peuples d’Algérie, du Maroc et de Tunisie à disposer d’eux-mêmes et à être indépendants, et elle presse le gouvernement français d’aboutir sans retard à une solution pacifique de cette question.

E- Mesures en faveur de la paix et de la coopération mondiales

1. La Conférence afro-asiatique, prenant note du fait que plusieurs Etats n'ont pas encore été admis aux Nations Unies ; considérant que pour une coopération efficace pour la paix mondiale les Nations Unies devraient être universelles, fait appel au Conseil de Sécurité pour qu'il appuie l'admission de tous les Etats qui ont les qualités requises par la Charte pour être membres des Nations Unies. Selon le point de vue de la Conférence afro-asiatique, les pays qui y participent (Cambodge, Ceylan, Japon, Jordanie, Laos, Népal, les Etats du Sud-Vietnam et la République populaire du Vietnam après leur unification), ont ces qualités.

La Conférence considère que la représentation des pays de la région asiatique et africaine au Conseil de Sécurité est inadéquate, compte tenu d'une équitable distribution géographique. En ce qui concerne la répartition des sièges des membres non permanents, la Conférence est d'avis que les pays asiatiques et africains qui, selon les dispositions de l'accord conclu à Londres en 1946, sont écartés de la possibilité d'y être élus puissent apporter une contribution efficace au maintien de la paix et de la sécurité internationales.

2. La Conférence afro-asiatique ayant considéré comme dangereuse la situation de tension internationale et les risques devant lesquels la race humaine tout entière se trouve par suite du danger de l'explosion d'une guerre totale dans laquelle le pouvoir destructif de tous les types d'armement, y compris les armes nucléaires et thermonucléaires, serait employé, porte à l'attention de toutes les Nations les terribles conséquences qui en résulteraient si une telle guerre devait éclater.

La Conférence considère que le désarmement et l'interdiction de la production, de l'expérimentation et de l'utilisation des armes de guerre nucléaires et thermonucléaires sont des nécessités impératives pour sauver   l'humanité et la civilisation de la peur et de la perspective d'une destruction totale. Elle considère que les Nations d'Asie et d'Afrique assemblées ici ont le devoir envers l'humanité et la civilisation de proclamer leur soutien pour le désarmement et pour l'interdiction de ces armes, et fait appel aux Nations principalement intéressées et à l'opinion mondiale pour réaliser une telle interdiction.

La Conférence considère qu'un contrôle international effectif devrait être établi et maintenu pour mettre en vigueur une telle interdiction et que des efforts rapides et déterminés devraient être faits dans ce but. En attendant la prohibition de toute fabrication d'armes nucléaires et thermonucléaires, la Conférence fait appel à toutes les Puissances intéressées pour réaliser un accord afin de suspendre les expériences avec de telles armes.

La Conférence déclare qu'un désarmement universel est une nécessité absolue pour le maintien de la paix et demande aux Nations Unies de poursuivre leurs efforts : elle fait appel à tous les intéressés pour réaliser la réglementation et la limitation, le contrôle et la réduction de toutes les forces armées, de tous les armements, y compris l'interdiction de la production, de l'expérimentation et de l'utilisation de toutes les armes de destruction massive, et établir un contrôle international effectif dans ce but.

3. La Conférence afro-asiatique appuie la position du Yémen dans l'affaire d'Aden et des parties méridionales du Yémen connues sous le nom de protectorat et presse les parties intéressées d'arriver à un règlement pacifique du différend.

F- Déclaration sur les problèmes des problèmes des peuples dépendants

La Conférence afro-asiatique a discuté les problèmes des peuples dépendants et du colonialisme et des maux résultant de la soumission des peuples à l'assujettissement de l'étranger, à leur domination et à leur exploitation par ce dernier. La Conférence est d'accord :

1) Pour déclarer que le colonialisme, dans toutes ses manifestations, est un mal auquel il doit être mis fin rapidement ;

2) Pour déclarer que la question des peuples soumis à l'assujettissement à l'étranger, à sa domination et à son exploitation constitue une négation des droits fondamentaux de l'homme, est contraire à la Charte des Nations Unies et empêche de favoriser la paix et la coopération mondiales ;

3) Pour déclarer qu'elle appuie la cause de la liberté et de l'indépendance de ces peuples ;

4) Et pour faire appel aux Puissances intéressées pour qu'elles accordent la liberté et l'indépendance à ces peuples.

G- Déclaration sur les mesures en faveurs de la paix et de la coopération mondiales

La Conférence afro-asiatique s'est penchée anxieusement sur la question de la paix mondiale et de la coopération. Elle a pris note avec une profonde inquiétude de l'état de tension internationale et du danger de guerre atomique mondiale. Le problème de la paix est le corollaire du problème de la sécurité internationale. A cet égard, tous les pays devraient coopérer, particulièrement par le truchement des Nations Unies, pour amener une réduction des armements et l'élimination des armes nucléaires sous un contrôle international efficace. C'est de cette manière que la paix internationale peut être assurée et l'énergie nucléaire utilisée exclusivement à des fins pacifiques. Cela contribuerait à répondre aux besoins particuliers de l'Afrique et de l'Asie, car elles ont un besoin urgent de progrès social et d'un meilleur niveau de vie, ainsi que d'une plus grande liberté. Liberté et paix sont interdépendantes. Le droit à disposer de soi doit être accordé à tous les peuples, et la liberté et l'indépendance doivent être accordées dans les délais les plus courts possibles à ceux qui sont encore soumis.

En vérité, toutes les nations devraient avoir le droit de choisir librement leurs propres systèmes politique et économique et leur propre mode de vie, conformément aux principes et aux buts des Nations Unies.

Libérées de la méfiance, de la crainte, faisant preuve de bonne volonté mutuelle, les Nations devraient pratiquer la tolérance, vivre en paix dans un esprit de bon voisinage et développer une coopération amicale sur la base des principes suivants :

DIX PRINCIPES

1) Respect des droits humains fondamentaux en conformité avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies ;

2) Respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de toutes les Nations ;

3) Reconnaissance de l'égalité de toutes les races et de l'égalité de toutes les Nations, petites et grandes ;

4) Non-intervention et non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays ;

5) Respect du droit de chaque Nation de se défendre individuellement ou collectivement conformément à la Charte des Nations Unies ;

6) a) Refus de recourir à des arrangements de défense collective destinés à servir les intérêts particuliers des grandes Puissances quelles qu'elles soient ; b) Refus par une Puissance quelle qu’elle soit d'exercer une pression sur d'autres ;

7) Abstention d'actes ou de menaces d'agression ou de l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un pays ;

8) Règlement de tous les conflits internationaux par des moyens pacifiques, tels que négociation ou conciliation, arbitrage ou règlement devant des tribunaux, ainsi que d'autres moyens pacifiques que pourront choisir les pays intéressés, conformément à la Charte des Nations Unies ;

9) Encouragement des intérêts mutuels et coopération ;

10) Respect de la justice et des obligations internationales.

La Conférence afro-asiatique proclame sa conviction qu'une coopération amicale, conforme à ces principes, contribuerait effectivement au maintien et à la consolidation de la paix et de la sécurité, cependant qu'une coopération dans les domaines économique, social et culturel, contribuerait à donner la prospérité et le bien- être à tous.

La Conférence afro-asiatique a recommandé que les pays promoteurs envisagent la prochaine réunion de la Conférence en consultation avec d'autres pays intéressés.

Sources :

https://www.cvce.eu/obj/communique_final_de_la_conference_afro_asiatique_de_bandung_24_avril_1955-fr-676237bd-72f7-471f-949a-88b6ae513585.html  

https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1955_num_1_1_3260

Illustration 4
Carte des vingt neuf pays participant à la Conférence de Bandoeng du 18 au 24 avril 1955

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